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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
17 septembre 2009

Le Gabon, l'Afrique francophone et la démocratie

                          Le Gabon, l’Afrique francophone

 

                                         et la démocratie

 

Carte_du_Gabon

 

           Les récentes élections présidentielles et les affrontements qu’elles ont engendrés nous obligent à une sérieuse réflexion sur l’idée que nous nous faisons de la démocratie en Afrique et les moyens à mettre en œuvre pour la réussir.

            Afin de faciliter la compréhension de la démarche que je vous propose, éliminons momentanément la pieuvre Françafrique et retrouvons le socle nu de la chose gabonaise et africaine. Dès lors, posons-nous ces quelques questions : le peuple gabonais, dans sa majorité, était-il désireux de tourner la page de la famille Bongo ? Les leaders de l’opposition au régime qui a toujours dirigé le pays désiraient-ils sincèrement un changement du mode de fonctionnement et de gouvernement de l’état ?

            A la première question, on peut répondre sans hésiter par l’affirmative au regard  des totaux des voix de l’opposition. A la deuxième, je suis bien obligé de répondre par la négative. Car, quoi ? Malgré des années d’opposition, les adversaires d’Omar Bongo n’ont-ils jamais pensé à la nécessité d’une coalition pour affronter celui que tout le monde savait qu’il serait l’héritier du père ? 17 candidats, drainant chacun ses partisans - et donc en rangs dispersés - à l’assaut d’un pouvoir qui semblait déjà détenu par Ali Bongo, voilà le spectacle qu’il nous ont offert. Signe que cette opposition n’était point sérieuse et donc absolument pas crédible. En privilégiant l’égoïsme et l’opportunisme, elle a démontré que le seul objectif qu’elle poursuivait était s’asseoir sur le trône du roi afin de jouir à son tour des honneurs et de tous les autres avantages attachés à cette fonction. S’il s’avère qu’ils ont été loyalement battus (malgré quelques tricheries), les opposants ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.

            Mais dans cette entreprise électorale, un autre maillon incroyablement faible a été la commission nationale chargée de sa gestion. Qu’il y ait des fraudes dans une élection d’une telle importance n’est nullement un signe de sous-développement puisqu’elles sont courantes sous tous les cieux. Mais que la commission électorale ne soit pas capable de juger de l’ampleur de la fraude pour invalider le vote de telle ou telle circonscription ou pour déclarer l’invalidité des élections pour fraude généralisée est la preuve même d’une incapacité à assumer une charge dans une structure qui se veut démocratique. La commission électorale gabonaise a-t-elle joué la transparence ? A-t-elle pris toutes les dispositions pour que le doute ne soit pas jeté sur son action ? La clarté et la fermeté à ce moment crucial d’une élection sont absolument nécessaires. A ce sujet, je voudrais saluer ici l’intégrité de la commission électorale de la Côte d’ivoire lors des élections de 2000 au cours de laquelle son président a refusé de se plier aux injonctions du pouvoir du général candidat, l’obligeant à s’autoproclamer élu avant d’être chassé par la rue.Gabon_les_3_pr_tendants

            Ce qui manque en effet à la base des élections troubles africaines, c’est cette assise solide des institutions. Mais je reconnais qu’avant d’être l’œuvre du temps, cette solidité doit avant tout être l’œuvre de la ferme volonté de quelques individus capables de faire abstraction de leurs intérêts personnels pour se sacrifier sur l’autel des idées républicaines. C’est par la volonté des hommes que commence la force des institutions. L’habitude ou le temps ne fait que leur donner la respectabilité nécessaire à leur ancrage dans le paysage politique d’une nation.

 

Le poids de la relation avec la France

            Mais voilà que dans le cas de l’Afrique francophone, un joug pèse lourdement sur les événements politiques et les font apparaître comme la chaleur d’une marmite qui tente vainement de se débarrasser de son couvercle pour laisser voir la réalité de son contenu. L’Afrique francophone est aussi malade de sa relation excessivement exclusive avec cette France dont les institutions interdisent à son peuple et à ses élus d’avoir un droit de regard sur ce que son président et ses hommes d’affaire font sous d’autres cieux. Ce qui autorise une manipulation sans borne de l’opinion publique via les médias.

            Un fois n’est pas coutume. Alors qu’elle a fermé les yeux devant le pétrissage des institutions ivoiriennes dans le giron chiraquien sur les bords de la Seine, alors qu’elle est restée muette devant les images des urnes togolaises en fuite sur les épaules des militaires, la presse française cette fois n’a pas hésité à montrer du doigt la nébuleuse Françafrique qui a accentué l’opacité des élections gabonaises à travers les propos de ses multiples intervenants. Voilà qu’on ose enfin déclarer publiquement qu’un ministre français a été « proprement viré » par Omar Bongo, le président défunt. Voilà qu’elle juge que les saccages des biens français au Gabon sont le résultat du mécontentement populaire à l’encontre de l’attitude de la France qui est très loin d’être impartiale.

            Profitons donc de l’occasion pour enfoncer le clou et apportons des éclaircissements à deux affirmations récurrentes dans les propos publics français. Ici, je requiers l’attention des lecteurs français.

L’Afrique francophone n’est pas un boulet pour la France mais un marché d’exploitation et d’exportation ! Le sous-sol de l’Afrique francophone n’est pas pauvre ; bien au contraire il permet aux voitures des français de rouler, à leurs avions de voler et à leurs usines de tourner ; sa population est grande consommatrice de produits français permettant de préserver des emplois ; son espace est un champ d’investissements pour les entreprises françaises privées comme publiques (ce  n’est point dans les pays déjà développés que l’on investit !). La pauvreté de l’Afrique est donc une occasion de richesse pour la France. Il est connu que ce sont les pauvres qui entretiennent les maisons des riches ; sans eux, le désordre s’installerait dans la demeure. Qu’est-ce qu’un châtelain sans les pauvres serfs ?

Aussi, il est incorrect de dire que l’Afrique francophone n’est rien sans la France ; il convient plutôt de dire que la France n’est rien sans l’Afrique francophone. La chute de celui qui est plus proche du sol est moins douloureuse que celle de celui qui est juché sur un piédestal. Il y en a qui peuvent se contenter de rien et d’autres incapables de se contenter de peu. La France est ainsi dans l’incapacité de lâcher prise par peur de sa propre chute. Et pourtant un autre rapport entre elle et ses anciennes colonies est possible pour qu’il n’y ait pas à proprement parlé de chute pour ses affaires. Mais la peur est maîtresse de bien des maux infligés à ceux qui vous l’inspirent. Le commun des africains sait aujourd’hui que quand un pays Européen lâche un pays du tiers-monde, il s’entend avec ses amis au sein de l’Onu pour mettre le pays rebelle sous embargo afin de ruiner toutes ses chances de développement loin du giron néo-colonial. On tue en quelque sorte pour l’exemple, pour obliger les autre pays pauvres à se tenir tranquilles. Les cas de la Guinée de Sékou Touré et de Cuba de Fidel Castro ne s’effaceront jamais de nos mémoires.

  La démocratie dans les pays francophones dépend donc dans sa forme – c’est à dire dans la structure de ses institutions et de leur maniement - des africains eux-mêmes. Mais elle ne peut atteindre son objet qui est le développement dans une gestion libre de l’économie que lorsque les relations avec la France seront défaites de l’opacité du joug françafricain. Malheureusement, les interférences entres les intérêts du joug françafricain et la vie politique de ces nations sont telles que l’entreprise démocratique s’avère une véritable épopée avec les soubresauts que nous connaissons.

 

Raphaël ADJOBI

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1 septembre 2009

Case à Chine de Raphaël Confiant

Case___chine_001   Case à Chine

 

(Raphaël Confiant)       

            La présidence d’Alberto Fujimori au Pérou (1990-200) m’avait beaucoup intrigué et suscité en moi des questions quant à l’histoire de la présence des asiatiques en Amérique latine. Plus tard, un passage de Chasseur de lions, un roman d’Olivier Rolin dont l’histoire se passe dans cette partie du monde, parlant de « voiliers en rade, par dizaines, chargés de guanos ou de coolies importés de Chine pour remplacer les esclaves sur les plantations » avait accentué ma curiosité. Curiosité que Case à Chine de Raphaël Confiant vient de satisfaire.

 

            C’est en effet ici l’épopée de cette « immigration » de Chinois et d’Indiens, de leur installation et de leur créolisation dans les Antilles françaises après la dernière abolition de l’esclavage en 1848. Raphaël Confiant choisit (mais aussi pour accomplir une vieille mission) de raconter l’histoire de trois familles, en remontant quant à la sienne jusqu’aux parents du premier immigré de la Chine lointaine. Mais le récit navigue constamment entre le passé lointain et le passé plus récent.

 

Très vite, le lecteur comprend que le contact des asiatiques avec cette terre du nouveau monde s’est passé dans la violence et le mépris comme l’ont vécu précédemment les nègres devenus libres. Outre cela, les relations entre les différentes communautés sont une véritable foire aux préjugés avec heureusement, parfois, des situations délicieuses magnifiquement racontées. C’est avec un style chatoyant, grâce à une multitude de mots créoles nullement gênants pour la compréhension du texte, et un réalisme sans complaisance et équitable à l’égard des différentes communautés que l’auteur parvient à donner à ce roman un équilibre parfait. On y découvre en effet des peintures absolument belles des querelles, des rivalités, des complicités et des préjugés entre les différentes communautés et sous-communautés de la Martinique post-esclavagiste : les Noirs, les Noirs-Congo, les Blancs créoles, les Blancs-France, les Chinois-pays, les Chinois-Chine et les Indiens. Tout ce monde baignant dans un créole savoureux où dominent parfois les taquineries des nègres à l’adresse des Yeux-Fendus. Le livre contient également des portraits magnifiques. Vous adorerez celui de la chabine Justina et surtout celui de la négresse Fidéline, l’arrière grand-mère de l’auteur, et ses joutes verbales avec son « chinois fou dans le mitan de la tête » dont l’histoire est absolument passionnante. Les colères de Poupée-Porcelaine sont également mémorables.

 

Ce livre se révèle aussi une véritable mine d’informations sur la manière dont les différentes communautés ont pu mêler leur sang : les chinois plus souvent avec les mulâtres (quand ils ne font pas venir du sang neuf de Chine), les Blancs-France sans le sou avec les « négresses charitables ou désireuses d’avoir une progéniture aux cheveux plats ». Mais les plus belles pages des histoires d’amour dans cette Martinique où se créolisent progressivement Chinois et Indiens - les souffre-douleur désignés des négrillons - et que relate l’auteur sont celles qui se nouent laborieusement entre les Noirs, les Indiens et les Chinois.

 

Tous ces éléments font donc de Case à Chine un roman historique, réaliste et drôle. Mais au-delà de la beauté du texte et des situations parfois amusantes ou charmantes, le fond social fait de violences et de mépris reste constamment présent. Aussi, ceux qui s’étonnent du peu de progrès accompli par les Noirs antillais dans les différents arts devraient se mettre à l’esprit que l’esclavage n’octroyait qu’une journée par semaine de liberté contrôlée aux nègres et que la colonisation s’est appliquée à sa suite à freiner par tous les moyens leur accession aux sciences et aux arts. La simple création d’un lycée ou de tout autre établissement d’enseignement ne manquait jamais de soulever des protestations de la part des Blanc-pays (Blancs créoles ou Békés). Bien au contraire, c’est miracle que nous devrions dire, si de cet univers de mépris, de suspicion, de frustration des ambitions individuelles, quelques-uns sont parvenus à se hisser parmi l’élite française dans certains domaines.  Rapha_l_Confiant

 

Ce livre vient donc à sa manière confirmer que l’élément déterminant de l’histoire des Antilles que tout le monde s’applique à ignorer ou à négliger est bien la volonté immuable des Blancs-pays - depuis l’esclavage jusqu’à ces jours du XXIè siècle - de ruiner tout espoir de changement de la condition des descendants d’Afrique et d’Asie pour maintenir la leur : la servitude pour les uns, la domination pour les autres. Dans un tel contexte, hier comme aujourd’hui, il semble donc juste que ces Noirs qui « lassés de manger leur âme en salade et de subir crachats, insultes, méprisations, ricanements, claironnent qu’en terre créole, seule la folie est raisonnable, oui. »

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre : Case à Chine (487 pages)

Auteur : Raphaël Confiant

Edition : Gallimard (collection Folio)

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