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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
31 décembre 2010

Sékou Touré, Patrice Lumumba, mes étoiles des indépendances africaines (2)

                    Sékou Touré, Patrice Lumumba,

 

       mes étoiles des indépendances africaines (2)

         

 

Patr            Dans la galerie des portraits des hommes illustres africains, celui dont l’histoire m’était la plus étrangère jusqu’à ces cinq dernières années était bien Patrice Lumumba. Qu’avait-il fait pour que son nom soit sur toutes les lèvres et son portrait partout exhibé ? J’étais incapable de répondre à cette question. C’est pour combler cette lacune que j’ai décidé de m’intéresser à l’homme et particulièrement à ce fameux discours du 30 juin 1960 qui avait définitivement scellé son destin. Comme son devancier Sékou Touré, c’est donc par un discours public au ton ferme et clair que Patrice Lumumba va entrer dans l’histoire. Mais en considérant le contexte, on peut franchement se poser la question de l’utilité ou de la pertinence de ce discours.

Patrice-Emery Lumumba :C’est le 30 juin 1960, jour de la proclamation de l’indépendance du Congo, que son discours au ton laudatif et unilatéralement orienté vers le peuple congolais va lui conférer son galon d’homme africain célèbre. Cependant, en lisant avec attention ce discours et en le replaçant dans son contexte, on peut se demander si la célébrité de Patrice Lumumba n’est pas exagérée : non seulement on peut douter de l’opportunité du discours mais aussi de son rayonnement pour faire de son auteur une figure historique de l’Afrique.

 

            On ne peut, en effet, faire une analyse du discours de Patrice Lumumba sans avoir à l’esprit le contenu des deux discours qui l’ont immédiatement précédé le jour-même. Le premier à prendre la parole en cette occasion solennelle fut Baudouin Ier, Roi des Belges. Son discours est absolument un merveilleux monument du paternalisme européen à l’égard des peuples noirs.

                       Du discours paternaliste du roi des Belges

            Les premiers mots du roi des Belges clament de manière solennelle que l’indépendance du Congo que tout le monde célèbre ce jour-là était l’œuvre exceptionnelle du génie de son père, le roi Léopold II, et de la « persévérance » de la Belgique. Point n’est question des artisans congolais, hommes politiques ou populations laborieuses. Non ! Il est bien connu, les Africains sont paresseux et n’ont jamais rien fait de bon. Sûr que cette indépendance est l’aboutissement du travail bien accompli par les siens, le roi demande à ce que les pionniers de la colonisation (Léopold II et les administrateurs belges) - hissés au rang de « civilisateurs » - soient inscrits au panthéon de la mémoire congolaise afin d’y être célébrés comme ils le seront en Belgique. Quelle audace ! mais surtout quelle assurance de son bon droit ! C’est clairement indiquer aux Congolais la manière dont ils doivent rédiger l’histoire de leur pays.

            La suite du discours du roi des Belges reste sur le même ton, plein d’encens pour l’administration coloniale belge. Quand il ose enfin parler des Congolais, c’est pour leur dire : « c’est à vous, Messieurs qu’il appartient maintenant de démontrer que nous avons eu raison de vous faire confiance». En d’autres termes,  il faut donc que les Congolais se montrent des enfants sages qui prennent bien soin du jouet qui leur est remis. Quel paternalisme offensant ! Et relevant « l’inexpérience des populations à gouverner » et la tendance qu’auraient les Africains à « la satisfaction immédiate des jouissances faciles », il se perd dans une série de recommandations : « l’indépendance (…) se réalise (…) par le travail. (…) Ne compromettez pas l’avenir par des réformes hâtives (…). N’ayez crainte de vous tourner vers nous. ». N’allons pas plus loin dans l’analyse de ce texte ; la coupe est pleine.

 

            Quand le premier président du Congo, M. Joseph Kasa-Vubu prend la parole à son tour, il oriente pour ainsi dire le projecteur des éloges vers « ces artisans obscurs ou héroïques de l’émancipation nationale » qui par leurs privations, leurs souffrances et parfois même au prix de leur vie voient « se réalise(r) enfin leur rêve audacieux d’un Congo libre et indépendant. » A ce moment du discours, pour la première fois dans la salle, des applaudissements viennent interrompre l’orateur. L’assistance noire respire enfin ! Elle a le sentiment qu’enfin on la regarde dans les yeux, qu’on panse ses plaies au lieu de l’accabler du poids de l’avenir.

            Mais dans le discours du président Kasa-Vubu, cet éloge reste bref et dit d’un ton humble sans aucune recherche pathétique. Et en homme courtois, il va saluer « la Belgique (qui) a eu alors la sagesse de ne pas s’opposer au courant de l’histoire et (…) a su (…) faire passer directement et sans transition (le) pays de la domination étrangère à l’indépendance ». A ce moment aussi, l’assistance a applaudi, sans doute à la fois par courtoisie à l’égard du roi et aussi pour se faire pardonner le bref moment où elle s’est laissé emporter par la fierté nationale.

 

Enfin, comme pour répondre au roi, le président de la république assure que les réformes seront menées « sans hâte ni sans lenteur ». Puis, comme pour assumer un peu plus son indépendance vis à vis des recommandations du roi, il ajoute qu’il faudra bien avancer « sans se complaire dans l’admiration béate de ce qui est déjà fait. » C’est, à vrai dire, la première fois, dans ce discours, que M. Kasa-vubu prend fermement de la distance avec les vues du roi affirmant ainsi son rôle de président de la république. La deuxième fois, c’est quand, en écho à la confiance des Belges que doivent mériter les dirigeants congolais, le président dit que ceux-ci tâcheront de se montrer « dignes de la confiance que le peuple a placée en (eux) ». En clair, c’est au peuple congolais que les dirigeants auront des comptes à rendre et non point à la Belgique.

 

            De toute évidence, le discours du président Kasa-Vubu a recadré pour ainsi dire les envolées paternalistes du roi. Mais cela est fait avec tant de courtoisie et de finesse et en si peu de mots que cela semble passer inaperçu dans l’ensemble du discours. Seul le bref hommage aux artisans congolais de l’indépendance et les applaudissements qui l’ont accompagné ont sans doute retenu l’attention de l’assistance ce jour-là.

                                               Un discours anticolonial

 

            J’avoue que j’ignore pourquoi la parole a été donnée au premier ministre après l’intervention du président au nom du peuple de la jeune République. Etait-il nécessaire que le premier ministre intervînt ? Au nom de qui prit-il la parole ce jour-là ? Au nom de son gouvernement ? Son intervention suite à celle du président de la République n’était-elle pas déjà l’image d’un clivage au sommet du jeune état ? Même s’il faut retenir le fait que Patrice Lumumba avait des visions à la mesure du Congo belge alors que Kasa-Vubu avait au départ des revendications territoriales et ethniques, l’indépendance se célébrait ce 30 juin 1960 sous le sceau de l’unité nationale congolaise. On pouvait donc logiquement s’attendre à ce qu’aucune marque de dissension ne vînt ternir la fête. En tout cas, sans que l’on puisse s’expliquer la nécessité de deux discours des deux premiers dirigeants de la jeune République, on donna la parole au premier ministre dont on n’ignorait pas l’ardent nationalisme.

            Le discours de Patrice Lumumba débute sur un ton martial, sans aucune formule protocolaire à l’adresse des invités belges. C’est aux « Congolaises et Congolais, combattants de l’indépendance aujourd’hui victorieux » qu’il s’adresse et à eux seuls ! Et en rupture totale avec les propos du Roi des Belges saluant l’indépendance offerte, il affirme que « nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier (…) que c’est par la lutte qu’elle a été conquise ». L’orateur récolte à ce moment ses premiers applaudissements. Il y en aura en tout six dans ce discours pourtant moins dense que celui du président.

Patrice_Lumu_N0001_crop            Avant d’aller plus loin dans l’analyse de ce discours, il convient de faire une remarque d’une grande importance. Alors que l’hommage du président Kasa-Vubu aux combattants de l’indépendance semblait bien conventionnel – en une telle occasion, on ne peut pas oublier ses morts et ceux qui ont souffert sous une époque sur laquelle on referme la porte – les paroles et le ton de Patrice Lumumba semblent dire aux Congolais « je ne veux pas vous laisser voler votre victoire ! » Alors que l’hommage du président apparaît comme la réparation d’un oubli de la part du roi, celui de Patrice Lumumba affirme que les seuls héros du jour, ce sont les combattants congolais. Aussi son hommage à ces combattants occupera la moitié de son discours. Il y souligne les  privations, les souffrances, les humiliations, les injustices, la discrimination pendant les quatre-vingts ans de colonialisme belge. C’était comme s’il voulait dire à ses invités « voilà la réalité de la vie que vous nous offriez et contre laquelle nous luttions ». 

       

            Après cet hommage appuyé, salué par des applaudissements, l’orateur va répondre à certaines recommandations offensantes du roi. Celui-ci conseillait de ne point hâter les réformes. Le président à répondu que les choses seront faites « sans hâte ni lenteur ». Quant à Patrice Lumumba, il n’a cure de ce conseil. Il annonce de façon claire et nette : « Nous allons revoir toutes les lois d’autrefois et en faire de nouvelles qui seront justes et nobles. » A la Belgique qui se pose en conseiller incontournable de la jeune nation congolaise – « n’ayez crainte de vous tourner vers nous » - Patrice Lumumba annonce que son pays pourra « compter (…) sur l’assistance de nombreux pays (…) dont la collaboration sera loyale et ne cherchera pas à nous imposer une politique, quelle qu’elle soit. » Et l’assistance d’applaudir, comme pour dire « bien envoyé ! Ils se prennent pour qui, ces Belges ?  Nos parents ? »

Mais ce n’est pas tout. Non seulement les Congolais vont collaborer avec tout le monde, dit-il, mais encore ils demeureront maîtres chez eux puisque « si la conduite de ces étrangers laisse à désirer, (la) justice sera prompte à les expulser du territoire de la République ». Un Noir, chasser un Blanc ? C’est nouveau ! Voilà qui est très audacieux et inattendu dans la bouche d’un jeune dirigeant africain. « Il ne fera pas long feu, celui-là », ont dû se dire les Belges dans l’assistance. Ceux-ci s’appliqueront en effet à faire en sorte que le projet de celui qui veut « montrer au monde ce que peut faire l’homme noir lorsqu’il travaille dans la liberté » ne se réalise jamais de son vivant !

Un mois seulement après ce discours, le calvaire de Patrice Lumumba va commencer. Les conflits suscités par les Belges vont secouer la jeune nation et son leader charismatique comme dans les remous d’un fleuve impétueux. Parmi toutes les images de son calvaire, celle que je garde de ce jeune leader africain est le moment où, les mains liées au dos, il refuse la mie de pain qu’un soldat tente de lui faire manger de force. Elle me rappelle celle du Christ qui, ayant crié sa soif, reçoit du bout de la lance d’un soldat romain le pain trempé dans du vinaigre.

Patrice Lumumba mourra sans que le reste des états africains ait levé le petit doigt pour lui témoigner sa solidarité ou plus tard pour lui rendre hommage. Et pourtant, c’est cette solidarité africaine qu’il appelait de tous ses vœux un an plus tôt à Ibadan au Nigéria. « L’unité africaine tant souhaitée aujourd’hui par tous ceux qui se soucient de l’avenir de ce continent, disait-il, ne sera possible et ne pourra se réaliser que si les hommes politiques et les dirigeants de nos pays respectifs font preuve d’un esprit de solidarité, de concorde et de collaboration fraternelle ». Et il ajoutait plus loin, « plus nous serons unis, mieux nous résisterons […] aux manœuvres de division auxquelles se livrent les spécialistes de la politique du diviser pour régner». Et pour montrer l’exemple de la solidarité africaine qu’il prônait, il a, ce jour-là, rendu un vibrant hommage à ses devanciers Kwamé N’krumah et Ahmed Sékou Touré.  C’est en effet grâce à ce discours de 1959 à Ibadan, que Patrice Lumumba a gagné véritablement son galon de leader africain ; et c’est par celui de 1960 qu’il est devenu le leader nationaliste congolais que l’on connaît.

 

Il convient donc de retenir qu’au moment où Patrice Lumumba prenait la parole devant le roi des Belges, il n’était point un inconnu, mais une jeune étoile des indépendances africaines désireuse d’évoluer hors du giron colonial comme Sékou Touré, comme Kwamé N’Krumah. Ce discours nationaliste était donc en réalité la mise en œuvre de l’audace dont il savait que les jeunes africains devaient faire preuve au risque de leur vie pour faire avancer leurs états et par la même occasion l’Afrique entière. Patrice Lumumba savait qu’on n’est point héros malgré soi mais par la force de sa volonté.

 

° Révoqué de ses fonctions de premier ministre par le Président deux mois après l’indépendance (4 septembre 1960), Patrice Lumumba meurt, humilié et torturé, le 17 janvier 1961 dans la province sécessionniste du kantaga suite à l’accession au pouvoir du Colonel Désiré Mobutu soutenu par les Etats-Unis et la Belgique. Ironie du sort, c’est ce dernier qui l’éleva au rang de héros national en 1966.

 

 

Raphaël ADJOBI

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24 décembre 2010

La France, la Côte d'Ivoire et le "Président démocratiquement élu"

                       La France, la Côte d'ivoire

                                              et

         « le Président démocratiquement élu »

 

 

Abidjan_Plateau« Le Président démocratiquement élu » est le slogan que le gouvernement français a fait passer à toute la presse française pour parler d'Alassane Ouattara en Côte d'Ivoire. Et quand les journalistes doivent parler de Laurent Gbagbo, ils doivent dire qu'il s'accroche au pouvoir. Mais quand j'expose la situation en suivant les faits, tous mes compatriotes français qui disent ne rien comprendre à ce qui se passe là-bas concluent qu'on leur ment. Allez savoir pourquoi je suis plus crédible que les journalistes français.

 

            Voilà simplement ce que j'expose à tous ceux qui me demandent « mais qu'est-ce qui se passe là-bas ? » Ma réponse est la suivante : la Côte d'Ivoire est coupée en deux militairement et administrativement. N'oubliez pas que le pays se limite à la zone sud depuis huit ans. Personne ne sait ce qui se passe dans la partie nord tenue par les rebelles armés. Lors de l'organisation des élections présidentielles, des urnes achetées à grand frais ont été envoyées là-bas accompagnées d'observateurs africains. Les urnes sont revenues au siège de la Commission indépendante ainsi que celles de la zone sud tenue par les loyalistes. Dans leur rapport remis à la CEI et diffusé sur la télévision ivoirienne, les observateurs africains ont conclu que les votes se sont déroulés dans le Nord dans des conditions « injustes » et anti-démocratiques avec des détails précis justifiant leurs conclusions.

 

            Voilà donc la CEI (commission électorale indépendante) mise au pied du mur. Faut-il invalider les votes des bureaux du nord entachés de fraudes  ou d'irrégularités comme un ou deux bureaux l'ont été dans le sud ? Vu l'ampleur des votes litigieux du nord, les membres de la CEI (à 76% RDR et PDCI, mais cela, je ne le dis pas) n'arrivent pas à se mettre d'accord pour prononcer les résultats provisoires. Résultats qui ne deviennent définitifs qu'une fois ayant obtenu le sceau du Conseil Constitutionnel après analyse des réclamations.

 

            Au bout du temps qui lui est imparti par la loi pour publier les résultats provisoires, les membres de la CEI ne sont toujours pas parvenus à un accord sur les votes du Nord à annuler et ceux à comptabiliser. Elle a donc passé le relais au Conseil Constitutionnel comme l'exige la loi. Mais, avant même que cette institution (dont le président est un partisan de Laurent Gbagbo, cela je ne le dis pas) ne se prononce sur le litige né avec les nombreux votes irréguliers venus du Nord, un des membres de la CEI a rejoint Alassane Ouattara dans son hôtel et quartier général de campagne et devant deux radios étrangères a prononcé, contre toute attente, les résultats que plus personne d'autre n'était habilité à prononcer sauf le Conseil Constitutionnel ! La France et l'Onu crièrent aussitôt à la victoire de l'opposant Alassane Ouattara. De son côté, le Conseil Constitutionnel, poursuivant la procédure suivant la loi du pays, prononcera les résultats définitifs favorables à Laurent Gbagbo après invalidation des votes litigieux venus du Nord.

 

            En votre âme et conscience, qui est le président démocratiquement élu ? Pour moi, la démocratie ne se mesure pas au nombre de bulletins se trouvant dans les urnes mais à la manière dont ils y sont entrés. Il convient aussi de retenir que la tâche d'un Conseil Constitutionnel n'est guère facile. Il suffit que les scores soient extrêmement serrés pour que les votes litigieux prennent une grande importance. Dès lors la décision du Conseil Constitutionnel ne peut qu’apparaître comme un favoritisme pour l'un et une injustice pour l'autre. Ce fut le cas aux Etats-Unis quand il a fallu trancher entre Georges Bush et Kerry que les bulletins de votes n’arrivaient pas à départager. Car la démocratie, c'est aussi savoir accepter les décisions des institutions de son pays même quand elles nous paraissent injustes. Malheureusement, on ne trouve pas sous tous les cieux des hommes respectueux des lois.

 

            Pour vous permettre de juger par vous-mêmes du degré des fraudes et autres formes de falsifications des résultats, je vous invite à taper sur Google les titres suivants pour accéder à quelques éléments d’informations : « Côte d’Ivoire – un avocat français dénonce » /  « Ce soir ou jamais » sur la Côte d’Ivoire / « Les intérêts économiques français menacés en Côte d’Ivoire : les explications de Philippe Evanno » / « Alcide Djédjé, ministre des affaires étrangères : le coup est orchestré par la France et les USA » (à écouter absolument) / « Me Cheik Koureyssi Ba, avocat au barreau de Dakar : la jeunesse africaine a fait son choix, c’est Gbagbo ».

 

            Entre tous les coups, celui que je trouve pendable, c’est le fait que les partisans d’Alassane Ouattara aient, au dernier moment, délibérément gonflé le taux de participation nationale (passé de70% à 80%, donc des milliers de voix supplémentaires imaginaires) pour donner aux scores annoncés à l’hôtel un semblant de crédibilité. Je serai de l’avis de l’avocat français qui s’exprime dans la première vidéo que je vous propose que l’on soumette à l’assemblée de l’ONU les procès verbaux de tous les votes litigieux. Mais ce serait là toucher à la souveraineté du conseil constitutionnel d’un pays.    

Raphaël ADJOBI

 

18 décembre 2010

Françafrique, 50 années sous le sceau du secret (un film de Patrick Benquet)

                                       Françafrique

                        50 années sous le sceau du secret

 

 

Fran_afrik_0001            Au moment où en Côte d'Ivoire, enfermé dans son hôtel, un homme politique africain attend avec impatience que la France et les Etats-Unis - par le biais de l'Onu - l'installe sur le siège de la présidence de la république, au moment où cet évènement nourrit les opinions les plus diverses et divise les Africains autant que les Européens, voilà que Patrick Banquet sort un film d'une effroyable vérité sur les relations que la France entretient avec les dirigeants de ses anciennes colonies depuis cinquante ans. Des relations au parfum de pétrole qui n'ont cessé d'ensanglanter l'Afrique, des relations dans lesquelles les chefs d'états africains éprouvent de plus en plus de plaisir à jouer les premiers rôles.

 

            Dans ce film magnifique en deux parties, la liberté de parole des anciens acteurs de l'exploitation abusive et de la manipulation sans scrupule des dirigeants noirs surprend et charme à la fois. Tous, formés à l'école de Jacques Foccart ou trempés dans le pétrole avec ELF, sont superbes dans leurs habits d'anciens vautours chargés par l'état français - qui feignait et feint toujours de les ignorer - de saigner le continent noir au nom de l'indépendance énergétique de la France seul moyen de tenir son rang dans le concert des grandes nations du monde. Les différents coups d'états de l'histoire de l'Afrique de ces cinquante dernières années ressemblent ici à des jeux d'enfants diaboliquement orchestrés où les chefs d'états africains sont des marionnettes presque risibles. Les coups d'état africains, « la France les combat, les tolère ou les provoque ». En d'autres termes, en Afrique, aucun mouvement de rébellion, aucun chef d'état n'est parvenu au pouvoir sans l'aide ou la bénédiction de la France. C'est tout cela que montre la première partie du film intitulée La raison d'état.

 

           Peu à peu, les « marionnettes africaines » de la France se transforment en véritables « complices sans état d'âme du pillage de leur pays ». Avant comme après la privatisation de Elf, les gouvernants africains vont amasser des fortunes plutôt que de se préoccuper du sort de leur peuple. Ils s'y prennent si bien que leur richesse les autorise à intervenir dans le jeu politique de la France en choisissant ou révoquant des ambassadeurs, en imposant tel ou tel comme ministre chargé de la relation avec l'Afrique, et parfois même plus que cela. On croit rêver. D'où le titre de la deuxième partie du film : L'argent roi. Mais c'est dans ce contexte où les enjeux électoraux africains sont dessinés selon le patron des volontés élyséennes qu'un homme est apparu sur la scène politique francophone de manière absolument inattendue pour la France : Laurent Gbagbo ! Un homme politique de l'une des anciennes colonies qui parvient au pouvoir sans que la France ait misé sur lui ne peut qu'être un effronté. Non seulement il ne sollicite pas la bénédiction de la France, mais en plus c'est avec lui que l'ancienne puissance colonisatrice est pour la première fois conspuée en Afrique. Pour la première fois, sur ce continent, après cet homme, d'autres gouvernants noirs parlent de « donnant donnant » en affaires transformant ainsi le président des Français en simple représentant de commerce pour les entreprises françaises en Afrique.

 

            La fin du film semble donc montrer qu'une nouvelle ère est née pour l'Afrique. Malheureusement, peut-être par manque de confiance en elle ou animée par la peur inconsciente de l'opprimé, elle n'ose pas saisir l'occasion pour s'émanciper davantage. Tout laisse croire qu'un peu de cohésion et de solidarité lui ferait prendre conscience du poids de son pouvoir. Vous connaissiez la françafrique par les livres ; la voici désormais en images pour vous emporter au-delà de l'imaginable.    

 

° Pour acheter le DVD (6,40 €, frais de port compris) : Nouvel Observateur, 10/12 Place de la Bourse, 75002 Paris.Tel : 01.40.26.86.13

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre : Françafrique, 50 années sous le sceau du secret (Film)

Auteur : Patrick Benquet

 

4 décembre 2010

Présidentielles en Côte d'Ivoire : la fin du rêve des faiseurs de miracles

          Elections présidentielles en Côte d'Ivoire :

  la fin du rêve des faiseurs de miracles

Le 3 décembre après 23 h, au moment où je venais de terminer mon article, c’est par courrier électronique que j’ai appris la prise en compte des réclamations du candidat Laurent Gbagbo au regard des rapports des observateurs africains envoyés dans le Nord. La victoire venait de changer de camp. Cependant, je n’ai rien changé à mon article.

Election_III___0002_crop            La Côte d'Ivoire se croyait un pays à part, capable de réussir là où aucun pays n'a osé s'aventurer, là où même les puissances européennes ont échoué (Chypre dans "Cette main tendue qui fait de l'ombre"). Organiser des élections à visées démocratiques dans un cadre qui n'en remplissait pas les conditions, c'était assurément vouloir faire un miracle. Mon article publié avant le premier tour était très explicite sur ce point et rejoignait la sagesse du pays abouré de côte d'Ivoire qui dit que l'on ne reste pas dans une procession de fourmis magnans (carnivores) pour lutter contre leur voracité. 

            Pourtant, les Ivoiriens n'étaient loin de cet exploit. Les principaux candidats ainsi que les organisateurs des élections avaient minimisé les multiples fraudes de la zone des rebelles lors du premier tour. Arrivé premier, Laurent Gbagbo n'a pas jugé utile de les remettre en cause.

            Le deuxième tour aurait pu corriger quelques grosses erreurs du premier et la Côte d'Ivoire aurait réussi le tour de force de réaliser la première grande élection démocratique dans un pays coupé en deux militairement et administrativement. Le miracle quoi.

            Contre mon attente et mon souhait personnels, le report des voix des partisans de Bédié s'est fait correctement sur Alassane Ouattara avec qui il a signé une alliance que nous avons été nombreux à qualifier de « contre nature ». La victoire d'Alassane Ouattara était partie pour être claire, belle et démocratique. Malheureusement il n'en a pas été ainsi par la faute de ses propres partisans.

            Car quoi ? Peut-on souffrir que dans une zone les élections se déroulent correctement, avec annulations des votes des bureaux jugés litigieux, et accepter les votes de la zone Nord où ont été enregistrées de multiples violences physiques et des manipulations des urnes contraires aux règles de la démocratie que l'on réclame ? Il est important que ceux qui crient à la démocratie piétinée, confisquée par Laurent Gbagbo parce qu'il refuse un tel état de chose disent où ils ont vu briller la démocratie avant sa réaction. La première chose à faire est de visionner les images, lire et d'analyser les rapports faits sur l'état des élections dans la zone tenue par les rebelles. Ceux-ci ont-ils organisé des élections démocratiques de qualité semblable à ce qui a été réalisé dans la partie sud ? NON !

            Les témoignages des observateurs internationaux sont clairs sur ce chapitre. Fait important : les observateurs étrangers envoyés dans le Nord sont des Africains. Les Européens sont restés dans le sud pour ne pas avoir à subir l'animosité des rebelles. Ils ont eu raison, car les rapports venus du Nord sont accablants. Oui, ils ont affirmé publiquement au siège de la CEI, dans leur rapport officiel lors d’une conférence de presse (voir le site de la Radio Télévision Ivoirienne), que les conditions des votes « ne répondent pas aux critères d'une élection libre, transparente et équitable ». Mais, apparemment, les rapports de ces témoins oculaires semblent négligeables aux yeux des observateurs onusiens et européens qui ont jugés le déroulement des votes du Nord « acceptable ». Car, enfin, un coup de bâton par ci, un coup de pied par là, une ou deux urnes emportées puis retrouvées, séquestrer des électeurs et des observateurs étrangers, refuser la présence d'observateurs, dénuder une femme et la battre pour faire fuir les autres électeurs, tout cela reste quand même démocratique dans un pays de Nègres ! Allons ! Il ne faut pas être trop regardant !   

    Même le journal La Croix, aux articles habituellement pro Alassane Ouattara rapporte fidèlement les propos des observateurs africains qui ont conclut que les élections dans la zone Nord étaient "injustes" et inacceptables. Et si, comme le rapporte ce journal dans son édition du 1er décembre 2010, plusieurs ambassadeurs occidentaux ont tenté de convaincre le président Gbagbo d'accepter le vote des Ivoiriens parce que « les irrégularités constatés ne sont pas en mesure de changer le résultat », il serait juste toutefois que les votes "irréguliers" soient écartés pour vérifier que leur annulation ne change rien au cours des choses. Ce sera ça la vraie démocratie ! En démocratie, une irrégularité reste une irrégularité ; et cela doit être vrai également pour l'Afrique.

            C'est parce que Alassane Ouattara a dit que Laurent Gbagbo a été mal élu et lui injustement écarté qu'il a acheté des armes pour la guerre de 2002 comme l’affirment ses propres lieutenants de campagne (Le film sur le blog d’Obambé / voir le lien à droite sur mon blog). S'il refuse une application juste et équitable des règles démocratiques dans les deux zones, alors, c'est lui qui, cette fois, sera mal élu et s'exposera à un coup d'état militaire. Ce sont ses propres rebelles qui sans doute ayant eu peur que le report des voix de Bédié ne se fasse pas correctement ont voulu forcer sa victoire. Dommage, car sa victoire aurait été belle et démocratique.

            Quant à ceux qui se disent démocrates ou amoureux de la démocratie, ils doivent se garder d'applaudir les actes anti-démocratiques. Et avant d'accuser l'autre d'antidémocrate, il convient d'analyser ses dires et ses actes à la lumière des règles démocratiques. D'autre part, si à tout moment les critiques sont permises, il me semble incorrect, absolument déplacé de la part de tout observateur étranger de publier de manière tapageuse que tel ou tel est vainqueur quand les institutions du pays concerné n'ont pas fait de proclamation officielle. Heureusement, la presse française n'est pas tombée dans cet excès.

             Les populations du Sud ont voté pour Alassane Ouattara démocratiquement. Il serait bon que celles du Nord votent contre Laurent Gbagbo démocratiquement. Serait-il anti-démocratique d'exiger cela ?

° Via mon blog, vous pouvez accéder à ceux de Delugio et d’Obambé pour les images. "En finir avec les à peu près" sur Lynxtogo.info.

Raphaël ADJOBI

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