Laurent Gbagbo perd la Côte d'Ivoire
Laurent Gbagbo perd la Côte d'Ivoire
J’ai rédigé l’article ci-dessous hier soir après vingt heures. J’étais alors loin de croire que ce que j’écrivais à propos de la conquête de l’ouest et la prise de San Pedro allait être le sujet d’actualité de ce jeudi 31 mars. France Inter a, en effet, annoncé ce matin la prise de San Pedro par les Rebelles. Je vous livre mon texte sans aucune modification.
Il était difficile de penser qu'en si peu de temps Laurent Gbagbo braderait le capital confiance que des millions d'Ivoiriens ont placé en lui en soutenant les institutions du pays contre les forces étrangères et leur missionnaire Alassane Ouattara. Fin politique, il s'est en quelques jours révélé un piètre combattant attendant l'ennemi terré dans son palais d'Abidjan.
« Ils ont la montre, nous avons le temps », scandait Blé Goudé lors du dernier rassemblement des patriotes sur les bords de la lagune Ebrié à Abidjan les 27et 28 mars. En peu de temps, ce sont les partisans de Laurent Gbagbo qui ont commencé à regarder leur montre. Mais est-ce que cela vaut encore la peine ? N'est-ce pas du temps perdu ? Pire, n’est-il pas déjà trop tard ? Ce sont désormais les rebelles qui prennent bien leur temps. Tout est devenu si facile pour eux qu'ils n'y croient pas eux-mêmes. Alors ils se méfient.
Laurent Gbagbo est en train de perdre le pouvoir et la confiance des Ivoiriens - une double perte donc - pour ne pas avoir eu l'intelligence militaire d'endiguer immédiatement les premières attaques des rebelles dans l'ouest du pays. C'est à croire qu'il n'y a toujours pas d'armée en Côte d'ivoire pour veiller au moins sur les limites de la zone loyaliste. Occupés à contrôler les combats de rue d'Abidjan, Laurent Gbagbo et ses soldats ont complètement oublié le reste de la Côte d'Ivoire libre.
La stratégie des soldats d'Alassane Ouattara est simple : se faire convoyer par l'ONUCI vers les différentes villes de l'intérieur afin d'en prendre possession en surgissant comme par enchantement. Au milieu du mois de mars, c'est un convoi de l'ONUCI que les jeunes de Bonoua (à 60 km à l'Est d'Abidjan) ont empêché de pénétrer dans leur ville en se couchant sur la route nationale qui la traverse. Sans cette vigilance, l'ONUCI aurait laissé armes et rebelles dans un coin de la ville. Et un beau matin, ces derniers auraient surgi et déclaré la ville entre leurs mains.
Si cette stratégie se poursuit, c'est parce que le pouvoir militaire a fait preuve de faiblesse en se montrant attentiste. Car au départ, les rebelles semblaient plutôt privilégier le combat à long terme. Aussi visaient-ils la prise de tout l'ouest du pays jusqu'au port de San Pedro afin d'avoir accès au deuxième port du pays dans le cas où les forces s'équilibreraient et où un nouveau cessez-le-feu mettrait fin aux combats. Imaginez donc les rebelles tenant le nord et l'ouest du pays. La portion restant à Laurent Gbagbo serait réduite à si peu de chose qu'il serait ridicule qu'il persistât à se maintenir au pouvoir au nom de la légitimité constitutionnelle. D'autre part, le vieux projet burkinabé d'avoir un accès à la mer serait accompli. Chasser Laurent Gbagbo du pouvoir serait même devenu chose inutile. A défaut d'avoir toute la Côte d'Ivoire, les Burkinabé et leur émissaire Alassane Dramane Ouattara auraient un port et plus de la moitié des ressources agricoles et minières du pays.
Mais voilà que devant leur percée, seul le silence leur répond. Apparemment, aux armes des rebelles Laurent Gbagbo ne compte n'opposer que les prières et le patriotisme des sudistes qui l'ont sauvé du coup d'état français de 2004. Devant donc le silence, les rebelles semblent désormais avoir chosi la guérilla urbaine plutôt que la conquête de l'ouest ou peut-être les deux à la fois. En s'installant dans les villes, ils n'offrent plus un front unique aux armes des loyalistes. Cette technique rendra à ceux-ci la tâche difficile quand il faudra reprendre les villes occupées. Ou ils hésiteront à tuer les leurs pour déloger quelques rebelles ou ils attaqueront et le carnage sera si grand que prétextant l’aide humanitaire, les forces de l’ONU (ONUCI), celles de la France (Licorne) et celles de la CEDEAO interviendront pour remettre par la force le pouvoir à Alassane Ouattara.
Raphaël ADJOBI