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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
9 juin 2013

La vraie couleur de la vanille (Sophie Chérer)

                               La vraie couleur de la vanille

                                               (Sophie Chérer) 

La couleur de la vanille 0002

            Ce roman de Sophie Chérer est une invitation à l'île de la Réunion, pour y découvrir la douloureuse histoire d'un garçon noir dont le destin est intimement lié à la merveilleuse découverte de la fécondation de la vanille.

            Rares sont ceux qui, avant 2009, avaient une idée du nom d'Edmond Albius. Benoît Hopquin est l'un des premiers à lui avoir consacré une grande attention dans Ces Noirs qui ont fait la France. Et encore plus rares sont ceux qui savaient que la fleur de vanille est difficilement fécondable par les insectes, et que sa multiplication ou sa généralisation a été possible grâce à un enfant noir, né esclave, à qui personne n'a pu ou songé à arracher l'histoire de sa trouvaille. 

            Ce roman est donc l'histoire vraisemblable de ce jeune esclave qui va réaliser la prouesse que tous les scientifiques du milieu du XIXe siècle désespéraient de ne jamais pouvoir accomplir. Elevé par un colon passionné de botanique, Edmond deviendra par la force des choses botaniste, échappant ainsi aux durs travaux des plantations de canne. Mais si son maître lui découvre une mémoire et une intelligence prodigieuses le rendant à l'aise aussi bien en grec qu'en latin, jamais il ne songera à lui apprendre à lire et à écrire. Comment peut-on dans ces conditions être un inventeur reconnu, un botaniste de renommée internationale quand on a déjà le désavantage d'être noir et esclave ? Cette situation extraordinaire d'Edmond Albius a conduit l'auteur à tenter de répondre à cette question essentielle : qui est ce Blanc, capable de braver l'opinion publique de son époque pour élever un enfant noir, l'instruire des choses savantes, et commettre le crime de le laisser analphabète, c'est-à-dire sans défense et sans moyen d'avancer dans le monde de la science et dans la vie ?     

            La vraie couleur de la vanille est écrit comme une réponse à ces interrogations. Toutefois, la question qui semble la plus passionnante pour l'auteur , c'est le hasard ou le génie qui a conduit Edmond à la fécondation de la vanille. Aussi, c'est avec beaucoup d'imagination qu'en côtoyant la réalité de l'histoire, Sophie Chérer nous livre un portrait à la fois douloureux et énigmatique de ce jeune esclave. Celui-ci nous apparaît constamment comme  un enfant ordinaire mais prometteur, victime des préjugés, des lois et des usages violents des puissants colons. Une belle fleur trop vite flétrie. 

Raphaël ADJOBI 

Titre : La vraie couleur de la vanille, 208 pages

Auteur : Sophie Chérer

Editeur : Médium, l'Ecole des Loisirs, 2012

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1 juin 2013

De la traite et de l'esclavage des Noirs (Abbé Grégoire)

                 De la traite et de l'esclavage des Noirs

                                           (Abbé Grégoire)

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            Voici un petit livre qui sera fort utile à tous ceux qui voudront, en quelques lignes, découvrir la personnalité et le combat politique de l'Abbé Grégoire.  L'introduction - le discours prononcé par Aimé Césaire en décembre 1950, lors de l'inauguration, à Fort-de-France, de la place qui devait porter son nom - nous révèle un touchant portrait de cet illustre député. Elle retrace le long et inlassable combat que mena l'abbé Grégoire, depuis la dernière décennie du XVIIIe siècle jusqu'à la fin de sa vie, pour la liberté et les droits des esclaves noirs de France. De la traite de l'esclavage des Noirs, paru en 1815, nous confirme les propos d'Aimé Césaire qui fait de son auteur à la fois "le premier réfutateur scientifique du racisme" et "le premier militant de l'anti-colonialisme".

            En 1802, Napoléon Bonaparte avait rétabli l'esclavage aboli par le décret du 5 février 1794. Mais l'Angleterre, championne des abolitions, qui veillait sur les mers, menaçait l'approvisionnement en main d’œuvre des Antilles. En 1814, la France signe avec elle un traité l’autorisant à poursuivre pendant cinq ans encore la traite des Noirs, « c'est-à-dire voler ou acheter des hommes en Afrique [...] les porter aux Antilles, où, vendus comme des bêtes de somme, ils arroseront de leur sueur des champs dont les fruits appartiendront à d'autres ». 

            C'est contre ce traité que s'élève l'abbé Grégoire. Il lui offre l'occasion de réfléchir sur la pratique de la traite et de l'esclavage que les Européens jugent capitale. Il balaie les lieux communs qui justifient la traite par le fait que les Noirs sont esclaves en Afrique, que leurs chefs leur font subir des traitements inhumains et les destinent à une mort cruelle, que leur transport en Amérique est un moyen de les convertir à une vie chrétienne. Non, il ne peut admettre que les armateurs et les négriers généralisent des faits exceptionnels, communs à tous les peuples, et les brandissent pour s'ériger en philanthropes, en bienfaiteurs de l'humanité.

            Selon l'abbé Henri Grégoire, la raison principale du rétablissement de l'esclavage et de la traite est la cupidité des colons français qui ne voient que le péril de l'économie! « Quel moyen de raisonner avec des hommes qui, si l'on invoque la religion, la charité, répondent en parlant de cacao, de balles de coton, de balance commerciale ? » C'est l'affreuse cupidité pour laquelle rien n'est sacré à leurs yeux qui les empêche d'entendre parler de justice et d'humanité. Outre la défense de l'économie française, de nombreuses personnes estimaient que les Noirs ne peuvent être élevés au même rang que les Blancs - et mériter les mêmes considérations et traitements - du fait de l'infériorité de leur intelligence. A ces personnes qui se croyaient si supérieures pour tenir de tels discours, le premier réfutateur du racisme proposait de soumettre tous les peuples aux mêmes épreuves et aux mêmes avantages liés à la marche de la civilisation, et l'on pourra juger si les Noirs sont inférieurs aux Blancs en talents et en vertus. 

            Une autre attitude que l'abbé Grégoire trouve tout aussi scandaleuse que celle des armateurs, des négriers et des colons, c'est celle des hommes de lettres et de ceux communément appelés « gens de bien » : « Plusieurs écrivains avouent que la traite blesse la justice naturelle, et qu'elle est un commerce révoltant, mais en même temps ils soutiennent que la raison s'oppose à l'abolition subite ». En d'autres termes, ils sont d'avis que la traite est un crime, mais elle doit être poursuivie encore un peu de temps. C'est cette attitude ignoble privilégiant ce que l'on pourrait appeler raison d'état – « que le pape Pie V appelait la raison du diable » -  qui explique le silence complice et l'inertie des hommes de lettres de cette époque face au rétablissement de l'esclavage et à ce traité écœurant avec l'Angleterre. Alors que ce traité a suscité l'indignation des villes anglaises qui avaient été les plus esclavagistes, telles Bristol et Liverpool, au point de les pousser à lever des pétitions pour le dénoncer, aucun homme de lettres français, aucun « homme de bien » n'a apporté son talent ou sa notoriété à le combattre. Bien au contraire, le scandale est venu de Nantes où une pétition a soutenu la prolongation des malheurs des Africains ! 

            Souvent invoqué dans les écrits et les discours publics, la figure et l'œuvre de l'abbé Grégoire restent peu connues. Ce petit texte est un premier pas très instructif qui livre au lecteur la verve et l'esprit très analytiques de ce philanthrope qui ne s'est pas contenté de militer pour une cause. Il a aussi, à la fin de sa vie, préparé la relève qui sera assurée par Victor Schœlcher.

Raphaël ADJOBI

Titre : De la traite et de l'esclavage des Noirs, 67 pages.

Auteur : Abbé Grégoire

Editeur : Arléa, mai 2007 ; présentation d'Aimé Césaire.      

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