La mulâtresse Solitude (André Schwarz-Bart)
La mulâtresse Solitude
(André Schwarz-Bart)
S’il y a une histoire chère au cœur des Antillais au point d’avoir pris parmi eux la forme d’une légende qui se transmet de génération en génération, c’est bien celle de la mulâtresse Solitude. Engagée en 1802, dans le sillage de Louis Delgrès, dans la lutte contre le rétablissement de l’esclavage décidé par Napoléon, la jeune esclave s’est installée dans l’imaginaire de la postérité comme le symbole de la femme insoumise et combattante.
Née des viols auxquels se livraient les Blancs sur les navires négriers entre l’Afrique et le Nouveau Monde, Rosalie – qui deviendra Solitude – mènera partout, sous le pouvoir de tous les maîtres blancs, la vie d’une paria. Ephémère maîtresse de maison après avoir été arrachée à sa mère, la jeune fille évoluera dans le monde comme une somnambule, impropre à tout et donc inutile aux hommes blancs. C’est enfin parmi les esclaves marrons que vont se révéler ses talents de meneuse et de révolutionnaire, jusqu’à son supplice en 1802 alors qu'elle venait d'échapper au suicide collectif préparé et réalisé par Louis Delgrès pour signifier son refus du retour à l’esclavage.
Tout le charme de l’histoire brève et tragique de la mulâtresse Solitude réside dans la délicate et poétique narration menée par André Schwarz-Bart. En d’autres termes, ce qui importe ici, c’est moins la légende que la manière de la dire. L’auteur a choisi de se laisser imprégner de la culture noire, plus précisément de la manière propre aux sociétés africaines de raconter ce qui dépasse l’entendement humain. Ainsi, le lecteur semble constamment voguer dans un monde de rêves, de mystique et de mystères. L’héroïne apparaît donc comme un être surréel, insondable avec un esprit à la fois calculateur et d’une imprévisible détermination. En effet, rarement le lecteur devine ce que sait Solitude et ce qu’elle veut. Sans cesse on s’étonne de la voir échapper aux hommes, au rythme dur et dangereux de la vie d’esclave.
C’est donc un récit captivant et quelque peu énigmatique que nous propose André Schwarz-Bart pour revisiter la légende de la mulâtresse Solitude. Et le style qu’il a choisi perpétue admirablement cette légende.
Raphaël ADJOBI
Titre : La mulâtresse Solitude, 156 pages.
Auteur : André Schwarz-Bart
Editeur : Editions du Seuil, 1972.