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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
5 septembre 2015

Georges (Alexandre Dumas)

                                              G E O R G E S

                                          (Alexandre Dumas)       

Georges 0002

            Quel beau roman ! Quelle vigueur, quelle force morale, et quelle détermination pour la faire triompher ! Cependant, avant de goûter au charme de ce brillant et entraînant récit, il faudra passer l'épreuve des quarante premières pages dont la lecture rebutera sûrement ceux qui n'ont aucune passion pour la marine et les batailles navales. Mais les lecteurs qui apprécient les héros portés par une grande passion morale et qui triomphent toujours des pages « imbuvables » survoleront aisément cette épreuve. Les autres devront s'armer de persévérance.  

                        Le contexte et le déroulement du récit 

            A la fin du XVIIIe-début du XIXe siècle, la France et l'Angleterre rivalisaient de suprématie sur l'île de France qui deviendra l'Île Maurice. C'est justement au moment où la France était sur le point de perdre cette possession que le valeureux mulâtre Pierre Munier envoya précipitamment ses deux fils, Jacques (14 ans) et Georges (12 ans), en France, loin des préjugés raciaux qui pesaient dangereusement sur eux. En effet, cet homme qui faisait partie de « ces héros qui lèvent la tête devant la mitraille, et qui plient les genoux devant un préjugé », ne cherchait qu'à éviter à ses enfants d'être écrasés, comme lui, par le racisme ou l'aristocratie de couleur – symbolisée par les Malmédie, père et fils – qui sévit sur l'île et contre laquelle il n'a jamais songé à se rebeller. 

            Mais, voici que quatorze ans plus tard, alors que Jacques l'aîné de Pierre Munier est devenu un négrier voguant sur les mers en quête de la fortune, Georges le cadet revient sur son île natale avec un objectif chevillé au corps : lutter contre la barbarie des préjugés coloniaux et le racisme. En effet, si durant son séjour parisien Georges a voyagé dans les capitales européennes et a acquis toutes les armes nécessaires pour se conduire honorablement dans le monde, c'était dans le seul but de « dépasser ses compatriotes mulâtres et blancs, et pouvoir tuer à lui tout seul le préjugé qu'aucun homme de couleur n'avait encore osé combattre ». Et lorsqu'il tombe amoureux d'une jeune fille blanche et s'aperçoit qu'elle est aimée du fils Malmédie, un homme qui porte au plus haut point le racisme qu'il est venu combattre, la lutte prend dans son cœur un intérêt encore plus grand. 

            Dans ce combat acharné pour conquérir sa belle et châtier les colons racistes, Georges aura le précieux concours d'un groupe d'esclaves qui préparaient une révolution libératrice. Mais très vite, il deviendra un fugitif poursuivi par des esclaves noirs dressés à la chasse aux nègres marrons et qui servaient d'auxiliaires à l'armée coloniale et aux négriers.

                                Les enseignements à retenir du roman

            Georges est un roman tout à fait magnifique. Un récit haletant. C'est le premier d'Alexandre Dumas. Il y montre déjà qu'il a sans conteste l'art d'agencer les rebondissements qui font un excellent récit d'aventure. Ce qui distingue cette œuvre de celles qui l’ont suivie, c'est la volonté de l'auteur d’y proclamer de manière officielle sa négritude devant tous les Français blancs. Par la bouche de son héros – quarteron comme lui – il semble leur dire fièrement « que ces noirs, dont vous parlez avec tant de mépris, sont mes frères, à moi ». Toutefois, au-delà de cette proclamation et des critiques sévères  contre les préjugés racistes humiliants à l'égard des Noirs et des mulâtres, le livre retient l'attention aussi par ses cinglantes et abondantes critiques à l'encontre des Noirs. 

            La critique du camp des opprimés apparaît d'une part dans le caractère très disparate de la famille Munier : Pierre Munier, le père métis, est un homme enchaîné à l'habitude d'obéir aux Blancs dont il considère la supériorité à la fois comme un droit acquis et un droit naturel ; Jacques l'aîné, devient un capitaine négrier parce que toute sa vie il a vu vendre et acheter des nègres et « pensait donc, dans sa conscience, que les nègres étaient faits pour être vendus et achetés ». C'est donc sans scrupule qu'il s'allie aux Blancs pour continuer la prédation de l'Afrique. Gorges, par contre, est « un conspirateur idéologue » qui consacre sa vie à lutter contre les préjugés raciaux. Ces trois personnages, reflets de trois aspirations ou convictions, sont de toute évidence les trois visages que présentent aujourd'hui encore les Noirs de France et d'Afrique. D'autre part, Alexandre Dumas montre clairement pourquoi les Noirs ne triomphent jamais des Blancs : malgré « toute cette supériorité de caractère donnée par Dieu, d'éducation acquise sur les hommes », ils ont un instinct qui les pousse à « aimer mieux l'eau-de-vie que la liberté » ; ils préfèrent s'entretuer plutôt que de s'entendre devant l'adversité ; enfin, ils sont facilement manipulables par les Blancs. Les nombreux exemples qu'il donne pour illustrer ses affirmations convaincront les Noirs qu'ils n'ont guère évolué depuis le XIXe siècle.

Raphaël ADJOBI      

Titre : Georges, 496 pages

Auteur : Alexandre Dumas

Editeur : Gallimard, collection Folio classique 2003.

              *Georges, 1843, est le premier roman d'Alexandre Dumas.             

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Commentaires
S
21/06/2022 à 22h 01 : <br /> <br /> L'histoire du teint si clair de Georges qu'il peut passer pour blanc lui permettant de revenir incognito sur son île n'a-t-elle pas inspiré Boris Vian pour écrire "J'irai cracher sur vos tombes" ?
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S
Le 21/06/2022 à 21h16 : <br /> <br /> Celui qui a lu Georges et lit ou relit son introduction intitulée "Dumas et les Noirs" ne peut qu'être d'accord avec son auteur pour réfuter l'idée que ce roman appartient à la période d'apprentissage d'Alexandre Dumas en tant que romancier. Selon Léon-François Hoffmann, le roman était ignoré parce "les périodiques de l'époque comportent une chronique théâtrale, mais pas nécessairement de chronique littéraire. C'est aussi qu'en 1843 Dumas était connu avant tout comme homme de théâtre". D'autre part, "les romans qu'il a écrits jusqu'alors ne s'élèvent guère au-dessus de l'honnête moyenne". On comprend donc pourquoi Georges est passé inaperçu. A l'époque, selon Léon-François Hoffmann, "seul Jacques-Henry Bornecque lui consacre quelques pages dans son édition de Monte-Cristo, afin de montrer que le héros de Georges préfigure Edmond Dantès" (p. 8). Pour lui comme pour nous, ce roman historique, chronique d'une société coloniale dont les préjugés perdurent encore aujourd'hui "semble avoir sa place parmi les meilleurs romans de Dumas". Et il ajoute "Aujourd'hui que le problème racial a pris l'acuité que l'on sait, il importe plus que jamais de le tirer de l'oubli" (p.9).
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K
Je ne suis pas d'accord avec toi genre on est facilement manipulables et on se tue entre nous et les blancs alors se tue oas entre eux peut être nimporte koi entre les monsonge de l'histoire et la vérité il ne faut oas raconter n'importr koi on a etait stupide d'être genty on aurai du etre barbare comme les blancs mais on se tué pas entre nous on vivait avec le respect et les valeurs avant que les blancs viennent goutte la merde.
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S
De toute évidence, l'alcool aurait été un extraordinaire moyen d'assujettissement des Noirs à l'époque de la traite atlantique. Les Noirs en raffolaient tellement qu'ils étaient prêts à tout pour en obtenir. En lisant le passage du livre qui montre leur dépendance à ce breuvage qui leur fait oublier tout jusqu'à leur idéal, j'ai pensé à la place de la danse dans la vie des Noirs d'aujourd'hui. Oui, les plaisirs détournent facilement les Noirs des combats qui s'imposent à eux.<br /> <br /> <br /> <br /> Ce livre m'a permis de découvrir Dumas sous un jour que la France ne connaît pas. Oui, c'est une découverte. Les amoureux de Dumas - et ils sont très nombreux en France - sont-ils prêts à reprendre son combat quand ils le découvriront où lui tourneront-ils le dos ?
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L
Je souscris entièrement à tout ce que tu dis, cher Raphaël, mais j'apprécie tout particulièrement ta dernière partie (comme souvent) intitulée "Les enseignements à retenir du roman", qui révèle toute la substance du roman. Eh oui ! Malheureusement, aujourd'hui encore, on trouve des Pierre Munier, des Jacques et des Georges, et des Noirs qui "préfèrent s'entretuer plutôt que de s'entendre devant l'adversité", qui sont "facilement manipulables par les Blancs". L'alcool placé tout le long des routes est une amère vérité ! Un rien suffit pour tout faire capoter !
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