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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
27 décembre 2015

L'enseignement personnalisé ou comment entretenir le racisme et la discrimination à l'école

                     L’enseignement personnalisé

      ou comment entretenir le racisme et la discrimination à l’école

enseignement

            Ils sont aujourd’hui très nombreux les apôtres de l’enseignement personnalisé. On pourrait même dire que l’Education nationale a réussi l’exploit de convertir presque la totalité des enseignants à cette religion pédagogique. Les quelques rares sceptiques le sont souvent non pas par manque de foi mais par manque de temps nécessaire à cette tâche. Sinon ils sont presque tous convaincus qu’ils ne sont efficaces dans l’exercice de leur fonction qu’en ayant une connaissance exacte de chacun de leurs élèves, sans toutefois s’apercevoir du danger qu’ils font courir à un grand nombre d’entre eux.

            Affirmer que la connaissance de l’enfant doit précéder son instruction – celle-ci souvent délaissée au profit de cette prétendue connaissance – apparaît évidemment très séduisant parce que l’idée contient une logique implacable. Avant qu’elle ne soit reprise sous le vocable d’enseignement personnalisé par les pédagogues modernes, cette théorie ou cette logique a été durant des siècles la démarche conseillée aux précepteurs des maisons bourgeoises ; donc une pratique de l’éducation domestique.

                               C’est toujours la faute à Rousseau !

            Afin de bien connaître son élève, le précepteur était en effet très tôt engagé auprès de l’enfant. On le choisissait jeune – du moins selon les recommandations de tous les pédagogues – parce qu’il devait tout partager avec son élève ; y compris ses jeux. Le précepteur était donc omniprésent dans la vie de son élève afin de saisir toutes les circonstances susceptibles de révéler quelque trait de sa personnalité pour parfaire celui-ci par un enseignement approprié. Toutes les occasions étaient bonnes pour former le jugement de l’enfant avant de le lancer dans les études livresques et les sciences spéculatives. 

            Au XVIIIe siècle, s’appuyant sur les recherches de Buffon contenues dans son Histoire naturelle, Jean-Jacques Rousseau est arrivé à établir des apprentissages propres à chaque âge. Se basant sur les âges de la vie humaine proposée par l’homme de science, il va préconiser une pédagogie basée sur une sorte de périodisation des facultés humaines parce qu’il est convaincu que « chaque âge, chaque étape de la vie a sa perfection convenable, sa sorte de maturité qui lui est propre » (Emile, Livre II). C’est l’une des raisons essentielles qui lui permettent d’affirmer que sa pédagogie est naturelle. Rousseau en est tellement convaincu qu’il fait de sa pédagogie une méthode qui suit l’enfant à la trace pour saisir les besoins des facultés naissantes afin de les parfaire. Attaché à l’épanouissement des facultés humaines, il finit par minimiser l’acquisition des connaissances, le savoir, la science dont son devancier Jean Amos Comenius avait fait la clef de voûte de sa pédagogie. Rousseau conseille l’apprentissage de la lecture seulement à douze ou treize ans, montrant ainsi que les sciences spéculatives doivent arriver le plus tard possible pour ne pas vicier la nature de l’enfant qui doit être, selon lui, le souci de l’éducation. 

            Au XVIIIe siècle, cette pédagogie que proposait Rousseau correspondait au triomphe d’une nouvelle conception de l’enfant rompant avec celles des siècles passés qui le voyaient comme un adulte en miniature. Dans les peintures de ces siècles – par exemple chez Goya – on les voit dans des vêtements qui rappellent ceux des adultes et qui apparaissent évidemment comme un frein à la mobilité de leur âge. En donnant donc à l’éducation des enfants une base fortement psychologique, c’est-à dire, en demandant que les facultés soient développées dans l’ordre naturel et sans contrainte extérieure, Rousseau inventait une nouvelle valeur : celle de la sensibilité, de l’authenticité de l’individu qui passionnera les générations à venir. 

                         Les nouveaux sorciers de l’Education nationale

            Aujourd’hui, les préceptes de cette pédagogie domestique énoncés par Jean-Jacques Rousseau – et qui ont eu un grand succès en Europe à son époque – sont repris par les autorités de l’enseignement public, grâce à des pédagogues d’un type nouveau, qui ont fini par transformer les enseignants en apprentis psychologues furetant dans la vie privée des enfants à la recherche d’éléments censés leur permettre d’asseoir les bases de leur travail. C’est dire qu’aujourd’hui le bon enseignant est celui qui sait disserter doctement sur la vie familiale de son élève : ses maladies, ses goûts, la situation conjugale de ses parents, ses habitudes ordinaires ou singulières. En France, presque tous les professeurs des écoles - et quelques-uns des collèges - sont convaincus que cette connaissance des détails de la vie de leurs élèves est nécessaire à l’aboutissement de leur pédagogie, laquelle se résume dans la pratique à laisser l'enfant forger lui-même ses projets, son savoir. Ces professeurs affirment accompagner l'enfant ; ce qui revient à dire qu'ils n'enseignent pas. Pour eux, l'enfant possède en lui toutes les sciences qu'il suffit de laisser émerger dans des projets personnels. Ce qui explique pourquoi certains préconisent la fin des notes chiffrées. C'est évidemment une conception fallacieuse de l'homme parce que la connaissance n'est pas innée. Elle s'acquiert !   

            Mais rassurez-vous : avec des  notes chiffrées ou sous la forme de taches de couleur, aucun des professeurs qui pratique l'enseignement personnalisé jugé propre à la nature de l'enfant n’est capable de vous dire si au moment d’attribuer la note ou la « tache – repère » à son élève il a tenu compte de tous les facteurs énoncés plus haut. Seul l’enseignant partial est capable d’un tel comportement. Si avant d’entreprendre l’instruction ou la formation intellectuelle de son élève, chaque enseignant devait s’assurer que sa mère déteste son père, que ce dernier se drogue ou est alcoolique, que l’enfant mange du couscous ou des biscuits le matin, il se condamnerait à l’inertie, à l’incapacité de trouver le meilleur angle pour commencer chacune de ses leçons. Aucun enseignant de France n’est capable de vous dire avec exactitude si chacun de ses élèves comprend mieux les leçons grâce à sa vue, son ouïe, son toucher ou son odorat. Et pourtant, nombreux sont les professeurs intarissables sur les élèves auditifs, olfactifs, visuels, tactiles, gustatifs et du soin qu’ils prennent à les reconnaître ! A quoi donc leur sert toute cette science qui occupe leur temps d’enseignement s’ils n’en tiennent pas compte pour chiffrer les évaluations de leurs élèves ? Comment parviennent-ils à faire cours à cinq auditifs, cinq visuels, dix olfactifs et dix tactiles réunis en une même classe ? 

            Non seulement ces enseignants fouineurs de l’Education nationale se situent à l’opposé de ce que doit être notre métier, mais ils s’avèrent même dangereux parce qu’ils sont les grands vecteurs des discriminations et du racisme au sein des établissements scolaires.

            Ce sont ces professeurs qui s’érigent en grands psychologues connaisseurs de tel ou tel élève qui destinent toujours les enfants des milieux modestes aux mêmes métiers. Il n’est pas rare de les entendre pérorer sur l’origine étrangère, sociale ou le quartier de résidence de leur élève pour expliquer ou justifier ses difficultés et proposer une destination professionnelle conforme à ce que son milieu a fait de lui. C’est toujours au petit Noir à qui reviendra le cerceau noir des jeux olympiques de la fête des écoles. La petite fille noire ne jouera jamais le rôle de Marie et le petit garçon noir jamais celui de Joseph dans la pièce de fin d’année. L’un et l’autre sont bons pour les rôles de pauvres ou de nécessiteux au secours desquels on court ; et c’est à cela qu’il faut les préparer. Devenu le psychologue connaissant l’origine sociale, culturelle, ainsi que les problèmes familiaux de ses élèves, le professeur de la dernière génération sait dans quelle case ranger chacun d’eux afin de lui apporter le soin particulier qu’il croit posséder. A vrai dire, les soins et les choix qu’il propose sont faits de préjugés et d’interprétations personnelles et non pas fondées sur les connaissances acquises lors des études qui l’ont destiné à sa fonction d’enseignant. Sait-il au moins que « le racisme consiste à voir l’autre à priori comme différent, à l’encourager à s’enfoncer lui-même dans cette différence » ? (Jean-Paul Brighelli, Tableau noir). Le mot « racisme » pouvant ici être remplacé par discrimination.   

            En clair, les professeurs devraient savoir que l’enseignement personnalisé qui se veut adapté à la nature propre de l’élève a pour finalité de le maintenir dans sa sphère sociale et culturelle. Parler d’éducation personnalisée c’est penser à définir l’homme par rapport à son milieu social ou familial et non point par rapport à la nature de son être que chacun sait insondable parce qu’insaisissable ; c’est renouer d’une part avec les anciennes pédagogies particularisantes qui affirment que « chaque esprit a sa forme propre selon laquelle il a besoin d’être gouverné » (préface de l’Emile) et d’autre part que l’on n’élève pas un enfant que l’on destine à l’épée de la même manière que celui qui doit entrer dans l’Eglise.  En tout cas, toute cette agitation autour de la connaissance de l’enfant que les professeurs cherchent à sonder et qu’ils interprètent arbitrairement en causant tant de dégâts n’est absolument pas nécessaire à leur fonction principale qu’il convient de leur rappeler souvent. Il leur faut quitter cette pseudo science à visée discriminatoire – et parfois raciste – au plus vite. 

                              Jean-Jacques Rousseau vous emm... !

L’enfant dont on s’applique à développer les facultés naturelles à la manière de Jean-Jacques Rousseau ne peut absolument pas trouver d’enseignement approprié dans le cadre de l’école publique. Et les enseignants qui s’investissent dans cette mission tournent le dos à la véritable fonction de l’éducation nationale : former des têtes bien faites et bien pleines en dirigeant les désirs, les talents ou la curiosité des enfants vers des objectifs que nous estimons profitables à la fois à leur épanouissement et à la société dans laquelle ils sont appelés à vivre. Il est donc insensé de laisser l'enfant développer sa singularité aux multiples facettes indépendamment de nous et de la science pour laquelle sont payés les enseignants. Même l’auteur de l’Emile savait bien que tenir compte de la condition de l’enfant, de son tempérament, c’est entrer dans trop de considérations particulières, aux données trop variables, qui risquaient de ruiner son projet d’éducation naturelle : « toutes les applications particulières, n’étant pas essentielles à mon sujet n’entrent point dans mon plan » affirme-t-il dans la préface de l’Emile. C’est pourquoi il a généralisé ses vues pour ne voir en son élève que « l’homme abstrait », l’homme tout court. Il l’imagine orphelin, sans aucune hérédité nocive, sans conditions sociale et culturelle. Il s’attache à développer en lui les qualités de l’esprit et les caractères les plus généraux parce que, comme il le dit lui-même, « vivre est le métier que je veux lui apprendre. En sortant de mes mains, il ne sera, j’en conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre ; il sera premièrement homme ». Plus tard, pense-t-il, son élève s’unira à une femme qui aura reçu la même éducation. Ainsi se constitueront de petits noyaux familiaux qui, en se multipliant, transformeront la société tout entière.

            Or, nous n’avons pas le même projet que Jean-Jacques Rousseau, chers collègues. Nous ne rêvons pas d’une société parfaite dans laquelle vivre harmonieusement serait notre seul credo, mais d’une société faite d’avocats, de médecins, d’enseignants, d’architectes… Certes, nous pouvons croire avec lui que « notre vocation commune est l’état d’homme ; et quiconque est bien élevé pour celui-là ne peut mal remplir ceux [les autres états] qui s’y rapportent ». Toutefois, la vraie question que l'on devrait se poser est celle-ci : où nous a menés cette prétendue connaissance de l'enfant et l'enseignement personnalisé qui l'accompagne ? En cherchant à connaître les enfants, en restant attentif à leur babillage pour les satisfaire, les éduque-t-on mieux et les forme-t-on mieux ? Cette pratique nous a conduits à une situation flagrante : à force de nous intéresser à la personne, nous avons oublié, comme Rousseau, de la nourrir de savoirs. Mais l'élève de Rousseau est un élève abstrait ; il ne risque rien. Quant au nôtre, il est réel et risque beaucoup sans savoirs. Et c’est ainsi que peu à peu nous peuplons la France de gens que nous estimons bien dans leur peau et leurs baskets – cela n’est d’ailleurs pas certain – mais ignorants alors même que nous investissons des moyens considérables dans notre système d’éducation. On est même tenté de croire que cette orientation de l'enseignement sur la personne est un subterfuge délibérément mis en place pour tromper le public et laisser la voie libre à une élite désignée d'avance pour régner. N'oublions pas cependant que si l'ignorant est docile et plus facile à gouverner parce que manipulable, il est aussi dangereux parce qu'il vit dans des certitudes et devient vite violent quand il n'est pas satisfait. La disparition progressive de toutes les formes de civilité en est une preuve. Le commerce de l'ignorant n'est guère agréable : il affirme et tempête là où le philosophe doute et le sage réfléchit.

            Refaisons de l’école le lieu du savoir qui, rappelons-le encore une fois, est un outil d'égalité parce qu'il est le moyen de gravir les échelons de la sphère sociale sans considération des conditions particulières. C'est grâce à l'amour du savoir que le fils de la caissière de la grande surface de banlieue peut accéder à la fonction d'avocat. C'est grâce à l'amour du savoir que la fille de mon voisin – qui est un ouvrier noir – peut devenir médecin. Un enseignement adapté à leur situation socioculturelle ne les mène que rarement là. Le rôle de l'enseignant est de reconnaître puis de développer par sa science le talent qui dort en chacun des enfants. Personnaliser l’enseignement c’est personnaliser le savoir pour renvoyer chacun à sa condition socioculturelle première. C'est par le savoir débarrassé de toutes les considérations liées au milieu de l’enfant – faussement appelées naturelles – que l'on parvient à réduire l'écart entre les bourgeois et les pauvres. 

Raphaël ADJOBI     

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24 décembre 2015

Le lourd héritage du passé raciste du Musée de l'homme

   Le lourd héritage du passé raciste du Musée de l’homme

    Le Musée de l’homme a rouvert ses portes en octobre 2015  après six ans et demi de fermeture pour travaux. Fondé en 1938, cet illustre département du Muséum national d’histoire naturelle (juin 1793) a été essentiellement nourri par les idées et les travaux racistes du XIXe siècle et du début du XXe que l’on tente aujourd’hui de cacher sous le vernis du souci de la connaissance de la diversité humaine. N’oublions pas que toutes les recherches qui ont installé la réputation de la maison dont il dépend tendaient avant tout à prouver la supériorité de la « race blanche ». Aussi, les nègres y furent nombreux à servir de rats de laboratoire aux anthropologues racistes de ces lieux. Saartjie Baartman (La Vénus hottentote – 1789-1815), originaire de la région sud de l’Afrique, est passée par là. Il me plaît de vous proposer ici l’article de Frédéric Keck publié dans Le Monde des livres le 22 octobre 2015 (Le lourd héritage du Musée de l’homme).

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    Les musées ont une histoire, qu’on ne saurait réduire à une trajectoire linéaire. Cela est d’autant plus vrai pour le Musée de l’homme, Palais Chaillot, à Paris. Le jour de sa réouverture, le 15 octobre, le Muséum national d’histoire naturel, dont il dépend, publiait la traduction de l’ouvrage d’une historienne américaine, spécialiste de l’Empire colonial français en Afrique, Exposer l’humanité. Race, ethnologie & empire en France (1850-1950).
    Un peu comme ce qu’a fait l’Américain Robert Paxton pour l’histoire du régime de Vichy (La France de Vichy, Seuil, 1971), l’historienne Alice Conklin établit les archives d’un passé controversé, montrant que le Musée de l’homme a toujours porté un lourd héritage, celui de ces collections de crânes, issues de l’anthropologie raciste datant du XIXe siècle.
    Le fondateur du Musée d’ethnographie du Trocadéro, en 1878, Ernest Théodore Hamy, enseignait en effet l’anthropologie au Musée d’histoire naturelle à partir de l’observation de ces crânes. Il était membre de la société d’anthropologie fondée par Paul Broca, laquelle sombra, après la mort du grand biologiste, dans le racisme. Nous étions en pleine affaire Dreyfus. Quelques années plus tard, les successeurs d’Hamy à la direction du Musée d’ethnographie, les médecins René Verneau et Paul Rivet, quittèrent la société d’anthropologie, dont ils condamnaient les thèses sur l’influence déterminante de la taille du crâne. Ils organisèrent des missions scientifiques aux Canaries ou en Amérique du Sud pour décrire la diversité des formes linguistiques et culturelles de l’humanité. Les alliances avec la sociologie d’Emile Durkheim, à travers Marcel Mauss et Lucien-Lévy-Bruhl, et avec la muséographie renouvelée par Georges-Henri Rivière, permirent à Paul Rivet de construire un nouveau Musée de l’homme, en 1937, au lendemain de l’exposition universelle.

                                                   Part maudite

    L’anthropologie raciste revint cependant sous l’Occupation, à travers la figure de Georges Montandon, chercheur au Muséum national d’histoire naturelle, dont Alice Conklin montre l’influence sur l’anthropologie française de l’entre-deux-guerres. La teneur des publications de ce chercheur né en Suisse en 1879, membre de l’école de l’anthropologie de Paris et conservateur du Musée Broca, était ouvertement raciste. En compétition avec Marcel Griaule pour la première chaire d’ethnologie de la Sorbonne, il voulut remplacer Paul Rivet à la tête du Musée de l’homme. Il conduisit des examens anthropométriques au camp de Drancy. Et fut finalement abattu par la résistance en 1944.
    Cette part maudite de l’histoire du Muséum contraste, de manière troublante, avec les faits de résistance des chercheurs du Muséum de l’homme exécutés par l’occupant allemand ou le courage des élèves de Mauss morts au combat. Si la postface d’Alice Conklin prend parti dans les tensions présentes entre les deux musées, cet ouvrage superbement illustré offre surtout un regard neutre sur une histoire qui suscite encore des passions nationales.

Frédéric Keck

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