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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
11 août 2016

Libres et sans fers, paroles d'esclaves français (Frédéric Régent, Gilda Gonfier, Bruno Maillard)

                                          Libres et sans fers

                            Paroles d'esclaves français      

              (Frédéric Régent, Gilda Gonfier, Bruno Maillard) 

Libres et sans fers 0003

            Voici le livre que tous ceux qui s’intéressent à l’esclavage des Noirs outre-Atlantique devraient absolument lire. Il ne s’agit pas d’un récit imaginaire tendant à reconstituer la réalité à partir de l’Histoire ni d’un traité supplémentaire de l’histoire de l’esclavage. Ici, on plonge directement au cœur de la vie quotidienne de la main d'œuvre servile et donc de la réalité, parce qu'on accède enfin à sa parole. Oui, c'est possible !

            Si en Angleterre et aux Etats-Unis des esclaves ont laissé des traces écrites de leur vie – directement ou par l’intermédiaire des abolitionnistes qui leur ont servi de plume – en France nous n’avons absolument rien nous permettant de savoir ce qu’ils pensaient et disaient de leur condition. Toute notre histoire nationale concernant l’esclavage des Noirs n’a été bâtie qu’à partir des écrits et des témoignages des colons esclavagistes ! Autant dire que nous professons une histoire des vainqueurs, pour ne pas dire que nous pataugeons dans le mensonge absolu quant aux conditions de vie des Noirs transplantés dans les Amériques. Et c’est pour combler notre totale ignorance de leur vie quotidienne dans les colonies françaises que Frédéric Régent, Gilda Gonfier et Bruno Maillard ont entrepris le travail de recherche qui nous est proposé dans ce livre à la fois passionnant et très instructif.

            Entre le travail forcé dans les champs et le supplice du fouet sanctionnant les écarts de conduite, quelle vie menaient les esclaves noirs dans nos colonies ? Etaient-ils correctement logés, suffisamment nourris et décemment habillés ? Ce qu’en disent les discours officiels est-il vrai ? A quoi occupaient-ils leur dimanche, jour de repos que leur concédait le Code noir ? Que pensaient-ils de leurs maîtres, de la condition qui leur était faite ? Pourquoi fuyaient-ils les plantations, et pourquoi y revenaient-ils volontairement parfois ? Comment se réalisaient les unions, se menaient les vies conjugales ? Comment vivaient les esclaves des villes, ceux des champs ? Comment rachetaient-ils leur liberté ? L’originalité de la démarche suivie par nos trois auteurs nous permet d’avoir une réponse précise à chacune de ces questions et à bien d’autres encore que vous ne manquerez pas de vous poser au fur et à mesure de votre progression dans la lecture de ce livre.

            C’est en effet l’originalité de la démarche nous permettant de découvrir pour la première fois en France les paroles des esclaves - et par voie de conséquence ce qu’ils pensent d’eux-mêmes et de leurs maîtres - qui séduit. Plutôt que de se fier aux historiens qui ne font que relayer les propos des colons, nos trois auteurs ont choisi de recourir aux archives judiciaires ! C’était simple mais il fallait y penser ! Car dans les archives judiciaires ont été consignées les paroles des esclaves lorsqu’ils ont été appelés à se défendre ou à témoigner. Certes, malgré la fausse formule « Libres et sans fers » qu'ils devaient prononcer avant leur déposition, nous imaginons aisément que témoigner contre leurs maîtres était une épreuve susceptible de modifier leurs discours, compte tenu des représailles qui pouvaient s'ensuivre. Mais « au-delà de la procédure, les esclaves racontent des fragments de vies » que l’Histoire devra désormais prendre en compte.

            Ce livre nous permet de découvrir comment entre le marteau et l’enclume, c’est-à-dire entre le travail forcé des champs et le supplice du fouet, les esclaves ont développé « des activités économiques parallèles, illicites ou non, des pratiques culturelles » à l’intérieur et en dehors du domaine du maître, en d’autres termes de multiples tactiques pour survivre et qui nous les montrent dans toute leur humanité. Et selon nos auteurs, c'est assurément en construisant un "monde parallèle" qui échappe en partie au contrôle des maîtres que la main d'œuvre servile a préparé ou forcé les esprits à l'abolition de l'esclavage.  

Raphaël ADJOBI / La reprise intégrale de ce texte est interdite / Une conférencesur les réparations

Titre : Libres et sans fers, paroles d'esclaves français, 286 pages

Auteurs : Frédéric Régent, Gilda Gonfier, Bruno Maillard

Editeur : Fayard Histoire, 2015

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Commentaires
S
Oui, Liss, l'esclavage intéresse de plus en plus la littérature française. C'est un domaine trop longtemps ignoré que certains sont surpris de découvrir très riche. Dans son livre "Paroles d'esclaves", Serge Bilé donnait la parole aux descendants des esclaves des Antilles. Il a pu ainsi recueillir ce que leurs grands-parents ont dit de leur vie et comment eux-mêmes ont vu vivre ces grands-parents. Mais dans "Libres et sans fers", on découvre la réalité quotidienne des esclaves et les propos des descendants des esclavagistes perdent tout leur sens.
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L
C'est curieux en effet comme l'esclavage intéresse de plus en plus la littérature française, c'est encourageant ! on ne peut pas continuer à rester dans le non-dit. Nouveau titre que tu nous fais découvrir !
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S
Merci pour la visite. Je constate avec plaisir que nous partageons des points communs.
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C
Passionnant et instructif, je n'en doute pas. Je prends note de ce titre de chez Fayard. <br /> <br /> <br /> <br /> Puis assez d 'accord avec la position (que vous citez sur fcbk) de M Arena sur les accords de partenariat économique Europe-Afrique.
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S
Aujourd'hui, l'esclavage est devenu le domaine qui intéresse fortement la littérature française. Longtemps négligé, les recherches nous éblouissent chaque jour et la littérature française y trouve une belle source.
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