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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
5 novembre 2016

Le Code du piéton noir aux Etats-Unis d'Amérique (par Garnette Cadogan)

   Le code du piéton noir aux Etats-Unis d'Amérique

Le code du piéton noir 0005

Voici l’extrait d’un article de l’essayiste et journaliste Garnette Cadogan d’origine jamaïcaine, publié dans la revue américaine biannuelle Freeman’s le 1er octobre 2015 et repris par le Courrier international du 29 septembre 2016. Garnette Cadogan nous montre que « dans la rue, la liste est longue des comportements à éviter pour les Africains-Américains : ne pas courir, ne pas porter de capuche, ne pas poireauter à un croisement… Une méprise est si vite arrivée ». Quand l'arbitraire est érigé en loi implacable contre une catégorie humaine...

Quand je suis arrivé à New York, en 2005, j’étais un adulte prêt à se perdre dans « les foules de Manhattan avec leur chœur turbulent et musical »(Walt Whitman). […] Je longeais les gratte-ciel de Midtown, qui déversaient dans les rues leur énergie sous formes de personnes affairées, et gagnais l’Uppper West Side, avec ses immeubles majestueux de style Beaux-Arts, ses habitants élégants et ses rues bourdonnant d’activité. [...] Quand l’envie me prenait de respirer l’ambiance du pays, je filais à Brooklyn, dans le quartier de Crown Feights, pour trouver cuisine, musique et humour jamaïcains. La ville était mon terrain de jeu.

Mais la réalité m’a vite rappelé que je n’étais pas invulnérable.

                                                        Regards hostiles

            Un soir, dans East Village, je courais pour aller au restaurant lorsqu'un Blanc devant moi s'est retourné et m'a expédié dans la poitrine un coup de poing si violent que j'ai eu l'impression que mes côtes s'étaient tressées autour de ma colonne vertébrale. J'ai d'abord supposé qu'il était ivre mais j'ai vite compris qu'il avait tout simplement cru, parce que j'étais noir, que j'étais un criminel voulant l'attaquer par derrière.

            Si j'ai rapidement oublié cet incident, classé au rang de l'aberration isolée, il m'a été impossible d'ignorer la méfiance mutuelle entre la police et moi. Elle était quasiment instinctive. Ils déboulaient sur un quai de métro ; je les apercevais. (Et je remarquais que tous les autres Noirs enregistraient également leur présence, alors que presque tous les autres voyageurs ne leur prêtaient aucune attention.) Ils me dévisageaient d'un regard hostile. Cela me rendait nerveux, et je leur jetais un coup d'œil. Ils m'observaient fixement. J'étais de plus en plus mal à l'aise. Je les observais à mon tour tout en craignant de leur paraître suspect. Ce qui ne faisait qu'accroître leurs suspicions. Nous poursuivions ce dialogue silencieux et désagréable jusqu'à ce que la rame arrive et nous sépare enfin.

                                                          Nulle excuse

            Je m'étais fixé une série de règles : ne jamais courir, surtout la nuit ; pas de geste brusque ; pas de capuche ; aucun objet brillant - à la main ; ne pas attendre des amis au coin d'une rue, de crainte d'être pris pour un dealer ; ne pas traîner à un coin de rue en téléphonant sur mon portable (pour la même raison). Le confort de la routine s'installant peu à peu, j'en suis évidemment venu à enfreindre certaines de ces règles, jusqu'à ce qu'une rencontre nocturne me les fasse diligemment réadopter.

            Après un somptueux dîner italien et quelques verres pris avec des amis, je courais en direction de la station de métro de Colombus Circle - je courais parce que j'étais en retard pour rejoindre d'autres amis. J'ai entendu quelqu'un crier, j'ai tourné la tête et j'ai vu un policier qui s'approchait, son pistolet braqué sur moi. "Contre la voiture !" En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, une demi-douzaine de flics m'ont entouré, plaqué contre une voiture et m'ont menotté. "Pourquoi courais-tu ?" Les flics ont ignoré mes explications et ont continué à me harceler. Tous sauf un : un capitaine. Il a posé la main sur mon dos et a déclaré à la cantonade : "s'il avait couru depuis un moment, il transpirerait". Il m'a expliqué qu'un Noir avait poignardé un passant quelque temps auparavant à deux ou trois bloc de là et qu'ils le recherchaient. Il m'a dit que je pouvais partir. Aucun de ceux qui m'avaient interpellé n'a jugé nécessaire de me présenter des excuses. Ils semblaient estimer que ce qui était arrivé était ma faute parce que je courais.

            J'ai alors réalisé que ce que j'aimais le moins dans le fait de marcher dans New York, ce n'était pas de devoir apprendre de nouvelles règles de navigation et de socialisation - chaque ville a les siennes. C'était plutôt l'arbitraire des circonstances dans lesquelles ces règles s'appliquaient, un arbitraire qui me donnait l'impression d'être redevenu un gamin, qui m'infantilisait. Quand nous apprenons à marcher, chaque pas est dangereux. Nous apprenons à éviter les collisions en étant attentifs à nos mouvements et très attentifs au monde qui nous entoure. En tant qu'adulte noir, je suis souvent renvoyé à ce moment de l'enfance où je commençais juste à marcher. Je suis en alerte maximum, aux aguets. Une bonne part de ma marche ressemble à la description qu'en avait faite un jour mon amie Rebecca : une pantomime exécutée pour éviter la chorégraphie de la criminalité.

                                                            Vigilance

Garnette Cadogan 0002

            Marcher, quand vous êtes noir, restreint l'expérience de la marche. Au lieu d'avoir le sentiment de flâner sans but dans les pas de Witman, Melville, Kazin et Gornick, j'ai souvent l'impression de marcher sur la pointe des pieds de Badwin - le Badwin qui écrivit, dès 1960 : "Rare est en effet le citoyen de Harlem, depuis le paroissien le plus circonspect jusqu'à l'adolescent le plus remuant, qui n'a pas des tas d'histoires à raconter sur l'incompétence, l'injustice et la brutalité de la police. Je les ai moi-même subies ou en ait été témoin plus d'une fois." Marcher me donne à la fois le sentiment d'être plus éloigné de la ville, en raison de la conscience que j'ai d'y être perçu comme suspect, et d'en être plus proche, par l'attention permanente qu'exige ma vigilance. Cela m'amène à me promener de façon plus déterminée, à me fondre dans le flux de la ville plutôt que de m'en tenir à distance pour pouvoir l'observer. Marcher - l'acte simple et répétitif consistant à mettre un pied devant l'autre afin de ne pas tomber - ne se révèle pas si simple que cela lorsque vous êtes noir.

Garnette Cadogan

Article publié le 1er octobre 2015.

° Images : le Courrier international.

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Commentaires
S
Cher Atto, la part de responsabilité que tu attribues à l'Afrique - et en particulier à ses dirigeants et à son manque de formation de société civile forte - est tout à fait juste. Quelqu'un disait sur le Net qu'en banlieue, si tout le monde sait que tu as un grand frère fort, on ne t'inquiète pas ; on ne s'attaque régulièrement à toi que quand on sait que personne ne te défendra. Cette personne avait tout à fait raison. <br /> <br /> <br /> <br /> L'Afrique n'a jamais émis de protestation à ce qui arrive aux Noirs en Europe ou ailleurs dans le monde ; elle n'a jamais infligé de représailles économiques ou de quelque sorte pour montrer qu'elle désapprouve le sort qui est fait aux Noirs dans quelque coin du monde. Alors, on ne respecte ni les Noirs ni l'Afrique.<br /> <br /> <br /> <br /> Qui nous dit qu'aux Etats-Unis, les partisans du KKK n'entrent pas dans la police pour s'offrir le plaisir de tuer des Noirs comme par le passé, et cela sans grand risque ?
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A
Pour poursuivre la conversation, je me demande comment font les afro américains, pour ne pas être plus en colère. Pourtant , il y a eu bcp de changements amenés par la lutte des noirs et des blancs , ne l'oublions pas . Bcp de blancs ont partagé le combat contre le racisme . Nombre de noirs ont de bonnes situations. Mais dans le sud du pays , les mentalités ont la peau dure . Je souviens d'un reportage sur un membre du kkk , qui avait été arrêté sous Obama. Il avait commis un crime odieux sur des noirs . Ça pris plus de 50 ans , pour qu'on l'arrête , malgré son grand âge. Vous avez des choses comme ça qui vous donne de l'espoir un court moment . Et l'instant d'après, on vous informe d'une série de tuerie de noirs par la police . Même les enfants n'y échappent pas . Et le policier n'est même pas inquiété. Malgré les protestations du monde entier. Je pense que tout cela dépend de l'Afrique. Tant qu'elle n'aura pas réussi à se faire respecter. Le noir ne sera respecté nulle part .
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S
Non, ton témoignage n'est nullement trop long ! Ce que tu dis est tout aussi intéressant que le témoignage de l'auteur du texte. Ce sont des choses qu'il faut raconter pour que les gens aient une idée assez précise des sociétés selon les nations et les continents.
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A
Excellent encore une fois tu nous présente un écrivain qui de par son style nous fait vivre les choses comme si nous y étions. J'étais très enthousiaste à l'idée d'aller voir NY. J'ai donc profité d'un voyage organisé, pour visiter cette ville que mes filles ont adopté avant même d'y mettre les pieds . Leur bonheur se voyait de loin , surtout lorsqu'elles ont croisé d'anciennes copines de classe à Time Square. Mais n'empêche que la présence policière est très stressante. N'eût été la présence de ma femme et mes filles à mes côtés, j'aurai certainement eu affaire à la police. Car elle vous suis jusqe dans le métro. Avant de descendre à la station suivante. J'avais peur pas des gens , mais de la police . Car , une fois, alors que ma famille me devançait dans une station de métro, parceque, je m'attardais pour prendre mon ticket, un des policiers qui courait après un passager, est venu directement me coller pour me demander si j'avais pris mon ticket. Le groupe est monté dans la même rame et s'est tenu près de nous jusqu'à ce que nous descendions. Une autre scène , à 3 heures de route de NY, en pennsylvanie . Nous avions fait escale chez mon cousin. Je faisais un jogging avec lui . Nous venions de faire un tour . Au tour tour suivant , mon cousin voulait me montrer sa maison de là où nous étions. C'était au niveau de la maison de son voisin. Alors que nous descendions en petites foulées. Nous nous sommes faits arrêtés par la police: c'était le voisin qui les avait appelés. Au motif que nous sommes arrêtés devant sa maison . La voiture de police etait accompagnée d'une camionnette avec des grille et un chien , la crosse d'un fusil à pompe bien en évidence. Mon cousin , me connaissant , m'a demandé de ne surtout rien dire. Je lui ai répondu que contrairement à ce qu'il pensait , je n'allais pas jouer les téméraires. Je crains d'être trop long. Mais pour contre balancer cet aspect trop repressif que l'on voit et ressent, il y a le fait que j'ai été agréablement surpris de voir , l'étonnement et le sourire sur le visage des blancs et des noirs , de voir un noir tenir la main d'une blanche dans la rue , c'était frappant.
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K
Eh oui Ralph, il se peut qu'on ne puisse plus rire aux chapitres suivants. Mais le show must go on.
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