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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
30 octobre 2018

Amazing Grace : la supercherie de l'hymne chrétien anglo-américain enfin dévoilée par Marcus Rediker (Raphaël ADJOBI)

                                           AMAZING GRACE

       La supercherie de l'hymne chrétien anglo-américain

                        enfin dévoilée par Marcus Rediker*

                    (Résumé et analyse de Raphaël ADJOBI)

            Vous souvenez-vous de l'image du président américain Barack Obama chantant, le 26 juin 2015, "Amazing Grace" lors des obsèques du pasteur noir Clementa Pinckney, assassiné dans son église à Charleston quelques jours plus tôt avec huit autres personnes ? La dignité de l'homme mais aussi le choix du chant a rendu ce moment émouvant et inoubliable pour de très nombreux Américains et pour de nombreux admirateurs de Barack Obama à travers le monde. Mais on peut rester dubitatif quand on entend un Noir - si illustre soit-il - chanter cet hymne composé par John Newton et devenu l'un des plus connus du monde chrétien anglo-américain. En effet, le récit de la vie de l'auteur et l'événement qui l'a motivé méritent réflexion.

 


            John Newton est un négrier anglais du XVIIIe siècle. Né en 1725, dès l'âge de onze ans, il fut apprenti sur différents navires. Il avait été «élevé pour la mer», comme on le disait à l'époque. A dix-huit ans, en 1743, son père lui obtient le grade d'aspirant à la marine et il devient membre de la Royal Navy.

JohnNewtonColour

            Le jeune Newton se révèle très vite un rebelle, prompt à se dresser contre l'autorité de ses supérieurs. Attitude peu recommandable pour celui qui veut faire carrière dans le monde de la mer. «Quand son capitaine l'envoya à terre sur un bateau rempli de marins afin d'empêcher ces derniers de déserter, Newton déserta lui-même» (Marcus Rediker, in A bord du négrier, éd. du Seuil, 2015). Vite capturé, il fut aussitôt dégradé à simple aspirant. Quelques jours plus tard, apparaît un navire négrier. «Apparemment, le capitaine du négrier avait des mutins à bord et désirait, comme il était courant à l'époque, les placer sur un bâtiment de guerre en échange de quelques marins de la Navy» (id.). Newton se porta volontaire pour l'échange. Son capitaine, bien content de s'en débarrasser, lui donna son accord.

            Sur le bateau négrier, le jeune homme se montra effronté et discourtois à l'égard de son nouveau capitaine qui le menaça de le remettre à un navire de la marine en partance pour les Indes à la première occasion. Hanté par cette perspective qui pourrait l'éloigner de sa famille pendant plusieurs années, il prit la fuite sur les côtes de la Sierra Leone où il gagna l'île Sherbro. Là, il fut embauché par un Blanc marchand de captifs qui servait d'intermédiaire entre les rabatteurs africains et les navires négriers. Insolent à l'égard de son patron et déplaisant à l'encontre de sa femme noire, celle-ci en fit son "esclave". Nous sommes en 1745. John Newton avait 25 ans. «Enchaîné, affamé, battu et raillé», écrira-t-il plus tard, il vécut en se nourrissant de l'aumône «des étrangers ; même les esclaves enchaînés m'apportaient secrètement des vivres (ils n'osaient pas le faire publiquement) qu'ils avaient prélevés sur leur maigre pitance». Plus tard, il fera de cet épisode de sa vie la pierre angulaire de sa pensée parce qu'il s'est considéré comme «un esclave», un être «rabaissé au plus bas degré de la misère humaine».

            Un an plus tard, il s'échappa et travailla pour un deuxième, puis un troisième Blanc marchand de captifs, tout en essayant de s'adapter à la vie africaine ; sans doute avec une compagne noire comme d'autres Blancs qui vivaient là depuis plusieurs années et que l'on disait «devenus noirs».    

            En février 1747, Newton père demanda au capitaine d'un navire de la Royal Navy de retrouver son fils et le ramener à Liverpool. Craignant que le jeune homme refuse de le suivre, l'homme imagina un stratagème et l'embarqua sur son vaisseau. Sur la route du retour, Newton reprit ses provocations à l'égard de ses supérieurs, tourna en dérision les croyances religieuses des uns et des autres, manqua régulièrement de respect envers ses coéquipiers. La nuit, une tempête éclata. Une partie du navire fut arrachée par la mer et les torrents d'eau s'y engouffraient dangereusement. Terrorisé, lui, si prompt à se moquer des bondieuseries s'entendit dire au capitaine : «si nous n'y arrivons pas, que le Seigneur ait pitié de nous». Les marins travaillèrent durant neuf heures. Harassé, Newton se jeta sur son lit et se mit à prier. Quand le vent se calma, il considéra que sa prière avait obtenu «une intervention immédiate et quasi miraculeuse de la puissance divine».                  

            Puisque l'on sait que John Newton est devenu pasteur et qu'il a écrit "Amazing Grace", on se dit que c'est précisément la mort à laquelle il a échappé qui l'a jeté dans les bras de Dieu et lui a arraché les louanges de ce chant. Cela est tout à fait vrai ! On se dit aussi que si la foi en Dieu est entrée dans son cœur, plus jamais il n'a fréquenté la route de la traite négrière atlantique et n'a donc jamais participé à la déportation des Noirs dans les Amériques. Eh bien, c'est là que beaucoup se trompent ! 

            Retenez tous très bien ceci : suite à cet événement qui l'a plongé dans une profonde religiosité pour le restant de sa vie, «John Newton a longtemps été le capitaine le plus connu de l'histoire de la traite africaine. Il fit quatre voyages, l'un comme second et les trois autres comme capitaine, entre 1748 et 1754» (Marcus Rediker). Et chaque fois, il priait sincèrement pour le succès du voyage. Nous le savons parce que contrairement à tous les capitaines qui tiennent un journal de bord contenant les détails des affaires courantes, lui est allé plus loin : il a tenu un journal spirituel et une correspondance passionnée de cent vingt-sept lettres avec sa femme Mary, et toute une série de lettres avec un pasteur anglican. Ces lettres témoignent de sa personnalité et de son état d'esprit. Mais s'il est devenu célèbre, c'est grâce à sa carrière de pasteur de l'Eglise évangélique d'Angleterre pour laquelle il composa de nombreux cantiques, dont le célèbre "Amazing Grace" écrit en 1773.

            C'est donc désormais la foi chrétienne chevillée au corps qu'il s'est lancé dans la traite négrière atlantique, convaincu d'accomplir un devoir divin ; avec l'espoir que les punitions publiques et les tirs réguliers des armes à feu permettraient, à lui et à son équipage, «avec l'aide du Seigneur [...] de suffisamment intimider les captifs» pour qu'ils se tiennent tranquilles. A la fin de cette première traversée du Passage du Milieu, il écrivit sur son journal de bord : «A Dieu seul la gloire ! » Après son troisième voyage en tant que capitaine, il annonça fièrement qu'il avait réussi «à accomplir un voyage africain sans aucun désastre» et fit le tour des églises de Liverpool pour rendre grâce de cette bénédiction divine. 

            Ce qu'il convient de retenir donc, c'est que "Amazing Grace" n'est pas un chant de renoncement à l'esclavage, comme beaucoup voudraient nous le faire croire ! Ce n'est pas un chant par lequel Newton veut dire que Dieu lui a ouvert les yeux sur l'inhumanité de ses crimes en tant que négrier ; parce que la traite n'était nullement un crime à ses yeux mais simplement un commerce très dangereux. C'est un hommage à Dieu pour l'avoir gardé en vie face aux captifs africains qu'il a convoyés à quatre reprises vers les Amériques. Il rendait gloire à Dieu parce qu'il a vécu «dans un état d'alerte permanente face à leurs tentatives désespérées mais régulières de se soulever [...] Même quand ils (les captifs) semblaient très calmes, ils étaient à l'affût de la moindre occasion». Et l'homme de Dieu qu'il était devenu pouvait écrire depuis son navire en citant la Bible : «Si l'éternel ne garde la ville, celui qui la garde veille en vain». Oui, Dieu était son gardien suprême contre les brebis captives qu'il conduisait à l'esclavage dans les Amériques !

            A son retour à Liverpool en août 1754, John Newton était même prêt pour un cinquième voyage - le quatrième en tant que capitaine - mais une attaque d'apoplexie l'obligea à se conformer à l'avis contraire des médecins. Chose qu'il interpréta comme la volonté de son Seigneur : «Il a plu à Dieu de m'arrêter grâce à la maladie».

            La force de "Amazing Grace", écrit vingt ans après son dernier voyage sur les côtes africaines, réside à vrai dire dans l'interprétation qu'il fait à la fois de sa captivité en Sierra Léone et de la tempête qu'il a essuyée à bord du vaisseau anglais dans l'Atlantique. Dans son esprit, les choses étaient claires : sa délivrance de la captivité était sa sortie d'Egypte et la traversée de la tempête dans l'Atlantique son passage de la Mer Rouge ! Quant à l'inhumanité de la traite, elle ne lui a jamais effleuré l'esprit avant les dernières années de sa vie où il rejeta son passé pour joindre sa voix au combat du mouvement abolitionniste. Car comme nous le disions plus haut, «John Newton considérait sa carrière de capitaine de navire négrier comme une vocation inspirée de Dieu» (Marcus Rediker). Le fait qu'il a imposé la prière à ses marins durant ses trois voyages en tant que capitaine le prouve largement. Mais ses propres prières davantage encore ! En effet, durant chaque voyage, il vivait dans la peur des rebellions des captifs africains. Alors chaque fois il recommandait son âme à Dieu : « Ô mon âme prie le Seigneur, Toi qui es mon sauveur à jamais miséricordieux. Tu accordes la grâce, [...] étant donné que ces accidents sont si fréquents et si soudains, [...] permets-moi, mon Dieu, d'être toujours prêt. Et si, en temps utile, Tu juges nécessaire en me faisant mourir [...] Fais que ce soit en faisant mon devoir.»   

            Pour terminer, laissons à John Newton lui-même nous donner l'idée principale qui doit nous éclairer quant à la compréhension de "Amazing Grace" : «Dieu m'avait tiré, je dois le dire, hors des terres d'Egypte. Il m'avait arraché à la maison de la servitude, à l'esclavage et à la famine sur quelque côte africaine pour m'amener à ma situation d'aujourd'hui». Mais comme le fait remarquer adroitement Marcus Rediker, la "situation" de John Newton à ce moment précis où il écrivait ces mots dans son journal spirituel, «consistait à partager un petit monde de bois avec quatre-vingt-sept hommes, femmes et enfants qui, eux, étaient transportés de l'autre côté de l'Atlantique dans une servitude bien plus absolue que celle qu'il avait connue. Aveugle à ce parallèle, Newton s'était peut-être échappé d'Egypte, mais il travaillait depuis pour Pharaon».           

* Toutes les citations de cet article sont extraites de A bord du négrier de Marcus Rediker ; éditions du Seuil, 2013 pour la traduction française.

Raphaël ADJOBI   

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24 octobre 2018

Nicolas Hulot et la morale du chasseur : déconstruire le récit du chasseur

      Nicolas Hulot à l'épreuve de la morale du chasseur :

                           déconstruire le récit du chasseur

(Ecrit au moment de la démission du ministre de l'environnement, j'avais finalement préféré ne pas publier ce billet, l'ayant jugé trop loin des connaissances et préoccupations du public français. Maintenant que les passions ont perdu leur vigueur, on peut le lire avec une attention particulière.) 

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            Le chasseur a un argumentaire qui soutient une morale simple : tuer les animaux, c'est faire du bien à la nature, c'est participer à la survie de l'écosystème ! Aussi, depuis des siècles, le discours du chasseur n'a jamais varié, quelque soit la nature du gibier qui doit tomber dans ses rets ou sous ses balles. En effet, les arguments que les chasseurs de gibier humain ont avancé hier pour justifier leur action prédatrice sur le continent africain du XVIe au XIXe siècle sont ceux qu'ils avancent aujourd'hui auprès de leurs gouvernants pour perpétuer une pratique qui traduit l'égoïsme et la volonté de puissance de l'homme européen sur les animaux. Oui, parce que le sauvage est le miroir de l'homme occidental (Marylène Pathou-Mathis), l'on peut dire avec Jean de La Fontaine que celui-ci est de ces gens-là qui sur les animaux et les humains réduits en sauvages se fait un chimérique empire.

            D'abord, le chasseur commence toujours par souligner chez l'animal qui est dans sa visée la singularité de son caractère qui le rend, selon lui, incompatible avec le milieu naturel de notre planète qu'il croit mieux connaître que quiconque : prolifération anarchique de cette espèce qui menace notre écosystème, une férocité ou une violence qui rend toute cohabitation impossible ou précaire, une vie sociale qui ne répond pas à sa morale chrétienne ou autre. Jamais le chasseur ne mentionne la motivation première de son entreprise : l'appât du gain et la démonstration de sa puissance ; une volonté de puissance qui lui procure une indéfinissable et nécessaire jouissance.

            Ensuite, le chasseur ne manque jamais de mettre en valeur le sentiment qu'il a de sa propre humanité qu'il prend soin d'opposer à la barbarie des êtres lointains dits sauvages ou à l'absence de sentiment et de raison chez les animaux. Ces deux catégories d'êtres n'ont-ils pas en partage la stupidité qui les distingue de lui, homme doué de raison et de sentiments nobles ? En effet, lui ne tue jamais de manière barbare mais intelligente. En période de reproduction, il prend soin, assure-t-il, de ne tuer que les mâles. D'autre part, son souci est d'épargner les femelles qui portent encore en leur sein leurs petits. Enfin, dans sa suprême humanité, il abat ou capture la femelle et épargne ses petits quand il les juge assez grands pour subvenir à leurs besoins et plus tard régénérer leur espèce.

            Du XVIe au XIXe siècle, les négriers et les esclavagistes européens, ardents chasseurs de gibier humain qui déportèrent des millions de captifs Africains vers les Amériques ont tenu le même discours à l'encontre des populations autochtones du Nouveau monde, puis contre les Africains. Tout en peignant une Afrique vouée à une barbarie innommable, ils ont d'abord prélevé sur ce continent les mâles les plus robustes, puis avec eux les jeunes femmes sans enfants témoignant ainsi, disaient-ils, du grand sens de l'humanité et de l'ordre naturel des choses qui les habitaient. Enfin, l'appétit venant en mangeant, ils ont enlevé femmes et enfants, toujours par souci d'humanité qui ne veut pas que l'on sépare une mère de sa progéniture. Cette déportation devint si grande qu'au XVIIIe siècle, la majorité des captifs noirs envoyés dans le Nouveau monde était des adolescents. Mais dans le discours des négriers qui nous sont parvenus demeure l'idée selon laquelle ils ont, par cette action, sauvé de millions de Noirs d'une vie affreuse entre les mains de chefs africains sanguinaires. C'est clairement l'idée exprimée par William Snelgrave dans son livre Journal d'un négrier au XVIIIe siècle. Priver les femelles et les enfants de leur compagnon et père, séparer définitivement mères et enfants n'a jamais été perçu par le chasseur comme un acte criminel. Réfléchissant toujours à la place du sauvage et de l'animal qu'il loge au même étage ou à des niveaux très voisins dans l'échelle des êtres, il ne voit que le bien dans les actions qu'il mène à leur encontre.

            Comme d'une façon générale les victimes ne laissent pas de trace écrite, aux yeux de la postérité, le récit du chasseur ne respire que sa grande humanité et son héroïsme. Ce qui fait dire aux Africains que "tant que les lions n'auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse glorifieront toujours le chasseur". Aussi, l'on peut dire à tous ceux qui, par malheur, tourneront les pages de l'histoire humaine écrites par les négriers sans les avoir lues et déconstruites, qu'ils laisseront dans l'esprit des futures générations la version des choses selon les chasseurs. Car sur les faits, ceux qui laissent des traces écrites ont toujours raison aux yeux de la postérité.

Raphaël ADJOBI               

12 octobre 2018

Sommes-nous trop "bêtes" pour comprendre l'intelligence des animaux ? (Frans De Waal)

                             Sommes-nous trop "bêtes"

    pour comprendre l'intelligence des animaux ?

                                       (Frans De Waal)

Sommes-nous trop bêtes

            Lire ce livre en ayant constamment à l'esprit que les réflexions et les conclusions de l'auteur, visant la destruction des préjugés enracinés dans l'esprit de bon nombre de scientifiques à l'encontre des animaux, peuvent aussi servir à détruire ceux que perpétue l'homme blanc à l'égard du Noir lui confère une dimension sociologique extraordinaire. En effet, on découvre dans Sommes-nous trop "bêtes" pour comprendre l'intelligence des animaux toutes les réticences, toutes les conclusions hâtives et méprisantes, tous les dénigrements dont les penseurs et les philosophes des XVIIIe et XIXe siècles ont fait montre à l'égard des Noirs dans le comportement des hommes de science à l'égard de l'intelligence animale.

            Nous savons tous que durant les siècles de la déportation des Africains dans les Amériques, l'homme blanc avait considéré que le Noir n'était pas doué d'intelligence et avait déclaré sa proximité avec les animaux certaine. Et lorsqu'il a daigné lui concéder cette capacité qu'il estimait le signe distinctif de l'humain, il a jugé cette intelligence inférieure à la sienne. Aujourd'hui encore, de nombreuses personnes blanches sont convaincues que certaines activités intellectuelles ne sont pas à la portée des Noirs. De même, dans les milieux scientifiques, nombreux sont ceux qui refusent aux animaux la cognition ("transformation mentale de sensations en compréhension de l'environnement et l'application adaptée à ce savoir"). En d'autres termes, les animaux ne sont pas doués d'intelligence ; ils sont incapables de traiter mentalement des informations.

            Frans De Waal montre dans ce livre que chaque fois que les expériences viennent remettre en question leur croyance, des scientifiques minimisent les résultats et concluent invariablement que cette intelligence n'est pas à la hauteur de celle de l'humain. Et pourtant, dans bien des domaines, les singes ont montré leur supériorité dans le traitement de l'information pour résoudre des problèmes. Selon lui, l'ego humain est la principale entrave aux progrès de la science objective. De toute évidence, l'homme n'a pas l'esprit assez ouvert pour accepter que d'autres espèces aient une vie intérieure. Aussi il refuse de croire que les animaux réfléchissent avant d'agir, qu'ils savent ce que les autres savent, qu'ils ont des talents politiques pour dissimuler leurs intentions ou amener les amis de leurs rivaux à les suivre. Une foule d'expériences montrent des talents liés à l'intelligence et font de ce livre une mine de connaissances que l'on découvre avec plaisir et émerveillement.

            Ce qui dérange les humains, dit l'auteur, c'est de savoir qu'ils sont de grands singes modifiés. Quelle erreur pour l'homme de continuer à croire qu'il a le monopole de l'intelligence et que les animaux n'agissent que par l'apprentissage ! Selon lui, la cognition pure que l'homme s'attribue est un fruit de l'imagination. Elle n'existe pas ! «La cognition suppose toujours une collecte d'information». L'apprentissage est donc une composante essentielle de la cognition. Chose que David Hume avait déjà comprise au XVIIIe siècle : «D'après la ressemblance des actions extérieures des animaux avec celles que nous accomplissons nous-mêmes [...] aucune vérité ne me paraît plus évidente que de dire que les bêtes sont douées de pensée et de raison tout comme les hommes» (p. 339).

            L'homme - ou l'homme blanc - a donc tort, selon l'auteur, de se placer au centre du monde et de se croire la mesure de toute chose. «Il y a encore plus honteux que cette manie humaine de se frapper orgueilleusement la poitrine - autre comportement typique des primates - c'est la tendance à dénigrer l'autre», ajoute-t-il. Aussi remet-il très souvent en question certains tests des scientifiques qui leur permettent d'asseoir la suprématie humaine. En effet, de même que les colons n'usaient que de «la langue du contrôle et de la domination» avec les Noirs, c'est par la violence et en captivité que les hommes testent l'intelligence des animaux. «Le QI humain lui-même est controversé, signale-t-il, en particulier quand on compare des groupes culturels ou ethniques». Et il affirme clairement que si nous ne comprenons pas les autres, le problème ne vient pas simplement d'eux ; il vient aussi de nous, de nos méthodes d'approche. Pour lui, une chose est sûre : il faut être à la fois ingénieux et respectueux pour comprendre l'autre.

Raphaël ADJOBI

Titre : Sommes-nous trop "bêtes" pour comprendre l'intelligence des animaux ? 348 pages ; traduit de l'anglais (E.U) par Lise Chemla et Paul Chemla. « »

Auteur : Frans De Waal

Editeur : Les Liens qui libèrent, 2016 ; collection Babel Essai.

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