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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
15 juillet 2019

Le Code noir de Louis XIV (Théâtre - Léandre SAHIRI)

                                  Le Code Noir de Louis XIV

                                     (Théâtre - Léandre SAHIRI)

Le Code noir de Louis XIV - Léandre Sahiri

            Si vous trouvez la longue enfilade d'articles du Code noir imbuvable, préférez Le Code Noir de Louis XIV qui est sa version théâtralisée. Cette pièce de Léandre Sahiri aurait pu s'intituler "la controverse de Versailles" - en écho à la fameuse Controverse de Valladolid. Malheureusement, aucun des protagonistes de la pièce ne contrecarre la réglementation de l'esclavage des Noirs dans les Amériques présentée à Louis XIV par le marquis de Seignelay à la place de feu son père le ministre Jean-Baptiste Colbert ; et cela pour deux raisons : d'une part, elle affirme l'autorité du roi sur les colonies américaines du royaume qui ne peuvent continuer à vivre sans loi ; d'autre part, réglementer l'esclavage des Noirs signifie que le roi est soucieux de l'état de la source essentielle de ses finances.

            Cependant, l'absence de toute réelle volonté de s'opposer aux défenseurs du Code noir ne rend pas du tout monotone la pièce de Léandre Sahiri. Bien au contraire le ton est dynamique et varié grâce aux questions délibérément pleines de doutes formulées par Louis XIV - parfois relayé par le Duc d'Orléans et le Père Lachaise - et aux explications savoureuses des défenseurs du code noir.  

            En effet, en lisant cette pièce, on a l'impression d'être plongé dans Les animaux malades de la peste de Jean de La Fontaine. Dans cette fable célèbre, le lion - le roi des animaux - est celui qui reconnaît que manger les moutons et parfois même le berger comme il le fait pourrait être la cause du courroux du ciel qui les frappe par le biais de la peste. C'est effectivement l'attitude qu'adopte Louis XIV quand il dit : «Mais [...] Honorables conseillers, aurions-nous le droit de traiter les Noirs ainsi ? Aurions-nous, ma foi ! le droit de nous enrichir de cette manière, par ces voies ? Pourrait-il être permis de devenir opulent, en rendant malheureux ces individus, sous prétexte qu'ils ne sont pas des Blancs ? [...]» (Acte I, scène 2). Et une fois que ses conseillers l'ont convaincu que rien de tout cela n'est contre les lois de la nature puisque le noir est la négation du «blanc (qui) est la couleur de la nature», Louis XIV dit, rassuré : «A vrai dire, [...] moi-même, le noir me trouble. La noirceur, je l'avoue, m'hérisse les poils. Je ne sais pas pourquoi, mais par exemple, quand je regarde un tableau, j'ai toujours l'impression qu'un fardeau peint en noir est plus lourd qu'un fardeau peint en blanc». 

            En tout cas, Le Code noir qui a officiellement précipité les Africains hors de l'humanité est présenté ici sous un jour qui n'arrache pas des indignations mais plutôt des sourires. Une réunion de hauts dignitaires d'un royaume qui préparent en toute légalité et en toute quiétude un crime contre l'humanité peut effectivement paraître drôle rétrospectivement. 

Raphaël ADJOBI 

Titre : Le Code Noir de Louis XIV (Théâtre), 155 pages

Auteur : Léandre Sahiri

Editeur : Editions Menaibuc, 2008.

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8 juillet 2019

Barracoon (Zora Neale Hurston)

                                                   Barracoon

                                             (Zora Neale Hurston)

Barracoon

            Barracoon est le témoignage d'un Africain de la dernière cargaison américaine de la traite atlantique. Enlevé à 19 ans lors d'une razzia en 1859 et arrivé aux Etats-Unis en 1860, Lewis Cudjo - Kossoula (son nom africain) - sera un homme libre cinq ans et demi plus tard à la faveur de la guerre de Sécession. Ce n'est donc pas sa vie d'esclave qui constitue l'élément important de ce récit, mais son passé africain, l'attaque de son village et sa captivité dans un baracon de Ouidad dans l'actuel Bénin.

            Le mot barracoon - baracon en français - vient de l'espagnol "barracón" désignant à l'origine une "cabane" (du Catalan "barraca"). Cela laisse imaginer que les premiers comptoirs européens établis sur les côtes africaines étaient des constructions rudimentaires - mais déjà armées - où étaient entassées les victimes des razzias pratiquées par les Espagnols et les Portugais eux-mêmes. Mais bien vite, ces baracons vont devenir de véritables forts hautement sécurisés à la fois contre les Africains et surtout contre la cupidité des concurrents européens. Ces constructions étaient aussi appelés "captiveries". De mauvaise foi, les Français emploient aussi le mot "esclaverie" pour laisser croire que les Africains étaient déjà esclaves en Afrique ; alors qu'aucun historien n'a prouvé la pratique de l'esclavage dans les communautés vivant dans les forêts où les Européens pratiqueront la traite. Dans cette partie de l'Afrique, selon l'historien malien Tidiane Diakité, le captif de guerre devenait un membre de la famille et non un esclave. Malheureusement, les Européens emploient presque toujours le mot esclave à la place du mot captif, s'agissant des victimes de la traite atlantique.   

Fort négrier Ghana 3

            En tout cas, ce livre confirme les propos de l'historien Marcus Rediker qui écrivait en 2007 que «le premier moyen d'asservissement en Afrique était "le grand pillage" de villages entiers, auxquels on mettait le feu au milieu de la nuit. Les maraudeurs ennemis s'emparaient donc de familles, de clans et parfois même de communautés entières [...] et les vendaient généralement en gros - et non en détail - comme "prisonniers de guerre"» aux Européens des comptoirs qui les avaient armés. Une vente qui était en réalité le troc d'êtres humains contre de l'alcool, des parasols, des cotonnades et de la coutellerie (Théodre Canot - Confessions d'un négrier). 

            Le lecteur ne s'étonnera donc pas de constater que la colère de Lewis Cudjo soit portée avant tout sur le peuple africain qui l'a razzié avec les siens. Nous pensons que la rédactrice de l'avant-propos du livre, Alice Walker, a tort de voir dans la violence de la contribution des Africains à la déportation des leurs peinte par Cudjo un fait inédit qui ferait d'eux les grands responsables de la traite et de l'esclavage des Noirs dans les Amériques. Si Cudjo charge durement les ravisseurs africains c'est parce qu'il a le net sentiment que sa capture coïncide avec la perte de sa liberté ; et c'est parce qu'il est humain d'en vouloir avant tout à celui qui vous ressemble, qui est de votre terre et qui pourtant vous livre à l'étranger. Pour preuve, à la libération de la France en 1945, ce ne sont pas les Allemands qui ont subi la vindicte populaire des Français mais les Français qui ont collaboré avec l'ennemi. De même que la colère des Français contre ceux des leurs qui ont collaboré ne diminue en rien les crimes de l'Allemagne nazie, de même la colère des déportés africains contre les leurs ne diminue en rien le crime des Européens qui sont les planificateurs, les instigateurs et les bénéficiaires de la traite négrière atlantique. D'autre part, la collaboration des Africains à la traite atlantique n'a jamais été cachée ; Tidiane Diakité l'a affirmée et démontrée en 2010 dans La traite négrière et ses acteurs africains

            Le grand intérêt de ce livre est donc la confirmation de ce que tous ceux qui s'intéressent à l'esclavage savent déjà. Quant à ce qui rend ce témoignage émouvant, c'est le fait que Lewis Cudjo a gardé presque intact le souvenir de sa terre natale au point d'avoir vécu sa vie américaine avec la tête chargée d'images africaines.

Raphaël ADJOBI

Auteur : Zora Neale Hurston

Titre : Barracoon, 220 pages

Editeur : CC Lattès, 2019 (édition française)

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