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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
20 août 2021

Le clan de l'ours des cavernes (Jean M. Auel / Les enfants de la Terre)

                         Le clan de l'ours des cavernes

                                            (Jean M. Auel)

Le clan de l'ours

          Le clan de l’ours des cavernes est le premier volume de la saga préhistorique imaginée par l’Américaine Jean M. Auel sous le titre Les enfants de la terre. Publiée dans les années 1980 et traduite en français à partir de 1991, cette fiction préhistorique a connu un immense succès des deux côté de l’Atlantique. Que reste-t-il du charme de ce récit quarante ans après, quand on le passe au tamis de l’état actuel des connaissances sur la préhistoire ? 

          Au milieu du XIXe siècle, selon Marylène Patou-Mathis (L’homme préhistorique est aussi une femme – Allary, 2020), « dès la reconnaissance de l’existence d’humains préhistoriques, leurs comportements sont rapprochés de ceux des grands singes, gorilles et chimpanzés, puis de ceux des races inférieures, perçus comme primitifs. Sans avoir fait une analyse précise de leurs usages, les premiers préhistoriens donnent aux objets taillés par les préhistoriques des noms à connotation guerrière : massue, casse-tête, coup-de-poing, poignard… […] Ainsi, dans la plupart des romans, les conflits sont-ils omniprésents, en particulier entre races différentes dont les types sont souvent empruntés aux récits des explorateurs ». En effet, jusqu’au milieu du XXe siècle, les préhistoriens ont fait de la violence un élément essentiel de « la nature humaine » et même le synonyme de la puissance et de l’intelligence nécessaires pour vivre dans un monde hostile. Et souvent, c’est la femme qui est au centre de ces conflits. Selon Marylène Patou-Mathis, les « docufictions » ou documentaires censés être fidèles à la réalité, car s’appuyant sur des données archéologiques, se conforment à la vision de notre société actuelle pour enraciner en nous l’idée que les femmes n’ont joué aucun rôle dans l’évolution technique et culturelle de l’humanité. Et c’est en quelque sorte le contre-pied de cette conception de l’évolution de l’histoire humaine que la saga de Jean M. Auel a voulu prendre en faisant de son personnage principal une jeune femme et non un homme avec les attributs virils qui lui auraient permis de dominer la nature et ses ennemis. Malheureusement, les lieux communs trop nombreux dans ce premier tome le rendent peu original et même contestable.

          Dans Le clan de l’ours des cavernes, Jean M. Auel adhère totalement aux idées des premiers préhistoriens que réfute Marylène Patou-Mathis. Ici, toute la vie du clan est synonyme de virilité et de domination masculine. En toute circonstance, pour adresser la parole à un homme, la femme doit se prosterner à ses pieds et attendre le geste lui indiquant qu’il consent à l’écouter. Chose absolument ahurissante, le jeune Broud, appelé à être le chef du clan après son père, a tout pouvoir sur une jeune fille de 8 ans. Sous les yeux de tous les membres de la communauté, ce futur chef peut frapper et violer la jeune fille quand il veut et où il veut. Le lecteur ne peut s’empêcher de se demander de quelle communauté humaine l’auteur tire-t-elle son inspiration. Les sites archéologiques visités par l’auteur permettent-ils cette lecture ? Dispensent-ils la romancière d’un regard sur les peuples d’aujourd’hui ? Dans le clan, avant ses huit ou neuf ans, la jeune Ayla n’a aucun échange avec les autres enfants. Le cloisonnement des familles est total : elles circulent sans se regarder. Il faut attendre d’être entre femmes ou entre hommes pour parler librement à une personne qui n’est pas de votre famille ! Selon ce livre, les préhistoriques, les sauvages ou les primitifs ont une humanité embryonnaire.

          Le plus extraordinaire dans ce roman, c’est l’éclatante apologie du suprématisme blanc. Il n’est pas clairement dit que l’héroïne Ayla est blanche – l’anachronisme aurait été trop évident – mais il est dit qu’elle est blonde ! N’est-ce pas là de l’anachronisme ? Ayla est donc blonde et physiquement différente. Le lecteur comprend qu’elle est blanche – même si cette différence physique est considérée comme de la laideur par le clan qui l’a adoptée. Oui, Ayla est une fille adoptive issue du clan des « Autres ». Et c’est de cette différence qu’elle tient toute son intelligence : elle comprend plus vite les subtilités du langage et les connaissances qui lui sont proposées ; elle manie plus habilement les outils que même les jeunes hommes plus âgés qu’elle ont du mal à maîtriser. Elle supplante même son maître qui enseigne l’usage de la fronde. Toutes les nouvelles découvertes du clan sont ses œuvres !... Bref ! Dès la préhistoire, les humains blancs ont tout inventé ; exactement comme dans les récits européens d’aujourd’hui. 

          Si Jean M. Auel a voulu, à travers ce récit, montrer que les femmes ont joué un rôle dans l’évolution technique et culturelle de l’humanité, elle n’évite pas de sombrer dans le suprématisme blanc de son époque. Marylène Patou-Mathis dirait que comme les préhistoriens blancs de ces années-là, il était inconcevable pour la romancière américaine d’imaginer qu’un artiste préhistorique ou son modèle puisse être une femme noire. En clair, en voulant lutter contre le sexisme, Jean M. Auel se fait l’apôtre de la suprématie blanche.

Raphaël ADJOBI

Titre : Le clan de l’ours des cavernes, 537 pages.

Auteur : Jean M. Auel

Editions : Presses de la cité, 1991, Collection Pocket.

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