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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

17 mai 2013

Le Diable noir ou Alexandre Dumas, le dragon de la reine

                                      Le Diable noir

        ou Alexandre Dumas, le dragon de la reine 

Le diable noir 0001

            Il n'est pas ici question de l'auteur des Trois Mousquetaires mais de son père, né Thomas Davy de la Pailleterie (prononcez Paltrie), esclave à Saint-Domingue, sous Louis XV. Fils d'un marquis et d'une négresse de la plantation dont son père avait fait sa compagne, Thomas-Alexandre va prendre le pseudonyme d'Alexandre Dumas au moment où il endossera l'habit militaire pour devenir l'un des dragons de la reine. C'est son histoire que racontent magnifiquement ici deux livres écrits par Claude Ribbe. 

            Mais pourquoi donc deux livres ? Sans doute parce que le premier - Alexandre Dumas, le dragon de la reine (2002) - s'attarde sur l'enfance et la jeunesse du héros et fait peu de place à ses exploits guerriers et surtout à ses relations houleuses avec Napoléon Bonaparte. Le deuxième - Le Diable noir - que l'auteur qualifie de Biographie d'Alexandre Dumas, est davantage consacré aux relations personnelles du général et nous fait découvrir le monde des armes auquel il a entièrement consacré sa vie. En clair, la restitution de la réalité historique de la vie du premier général divisionnaire noir d'une armée occidentale apparaît ici moins romancée et donc plus technique. 

            Le Diable noir semble surtout éclairer l'oeuvre du fils, c'est-à-dire de l'écrivain Alexandre Dumas. C'est d'ailleurs en cela qu'il est intéressant à lire. Trop souvent, l'oeuvre d'Alexandre Dumas est apparue coupée de son histoire personnelle ; comme s'il était un enfant tombé du ciel, n'ayant aucune réalité sociale pouvant influencer ses romans comme on cherche à le découvrir chez tous les écrivains. Ce livre permet à chaque lecteur de nourrir son imagination et chercher à établir des relations entre les personnages romanesques du fils et les compagnons d'armes du père. Il permet aussi de rapprocher certaines réalités historiques de constructions fictives comme la tour Farnèse de La Chartreuse de Parme de Stendhal et éclaire en même temps l'univers de certains livres d'un jour nouveau. 

Le dragon de la Reine 0002

            Toutefois, il est indéniable que l'intention profonde de l'auteur est de restituer une vérité historique rendant par la même occasion hommage à une des grandes figures de l'Histoire de France qu'on s'évertue à cacher. Seule la malchance a fait rater à Alexandre Dumas le rendez-vous avec l'Histoire qui aurait sans doute contribué à rendre son image difficilement effaçable. Il fut, à son époque, le premier des militaires sur lequel le gouvernement pouvait compter. Le sort a voulu que par défaut on fit appel à Bonaparte. Et le destin de la France prit une autre tournure. C'est cette page surprenante et passionnante du passé que vous découvrirez avec ce livre.

            Quant à la suite des aventures de ce valeureux soldat, on la devine aisément en imaginant la volonté de puissance de Bonaparte, qui ne souffre pas la concurrence. Alexandre Dumas n'aura donc d'autre destin que l'oubli. D'autre part, quand on sait qu'il est de Saint-Domingue comme Toussaint Louverture que Napoléon a combattu, puis exilé et laissé mort à Joux, on ne peut pas s'attendre à ce que la France l'élève au rang de héros national. Cela ferait désordre. 

Raphaël ADJOBI 

Titres : Le Diable noir, 233 pages / Alexandre Dumas le dragon de la reine, 244 pages.

Auteur : Claude Ribbe

Editeurs : Editions Alphée, Jean-Paul Bertrand (le Diable noir)

             Editions du Rocher (Alexandre Dumas, le dragon de la reine)

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9 mai 2013

Côte d'Ivoire : la dictature ouattariste vue par les artistes ivoiriens et africains

              Côte d'Ivoire : la dictature ouattariste

           vue par les artistes ivoiriens et africains

              (article dédié à Obambé, le plus Ivoirien des Congolais)

Mossi Dramane 0004

            Depuis l'avènement d'Allassane Ouattara au pouvoir en Côte d'Ivoire, à la faveur du coup d'état franco-onusien du 11 avril 2011, un phénomène - jusque-là embryonnaire - s'est développé de manière considérable dans les milieux panafricanistes : le cyberactivisme. En effet, face à la violence physique - apanage de la dictature - les résistants ont déserté les rues et les places publiques des villes africaines et ont fait d'Internet leur espace d'expression, réussissant à modifier dans l'esprit de tous les utilisateurs de cet outil moderne l'image officielle de nombreux dirigeants africains. 

            Il ne s'agit plus de simples caricatures picturales. Désormais, grâce aux nombreuses techniques que permet Internet, les photos sont détournées de leur objectif premier pour servir la cause de la résistance.Ce qui pourrait apparaître comme un simple jeu se révèle en définitive non seulement comme un art de la dérision mais aussi un message politique adressé au reste du monde. A bien les regarder, ces caricatures et ces photos-montages traduisent à la fois le cri de douleur et la colère des populations et particulièrement de la jeunesse qui aspire à un avenir autre que celui qui lui est imposé.

Drôle de victoire 0002

 

            Certes, ceux qui connaissent les Ivoiriens depuis des décennies n'ignorent pas leur talent ordinaire de tout tourner en dérision. Mais il est sûr que personne n'imaginait les voir un jour mettre cette qualité au service de la lutte politique de manière aussi incisive et efficace. Sans détour, ils font savoir clairement au monde entier qu'Alassane Ouattara est doublement étranger des réalités qu'il dirige : un Burkinabé n'ayant jamais rien partagé avec les Ivoiriens avant de leur être imposé ; et un agent de la France qui ne se soucie que des intérêts français.

FRCI à l'oeuvre 0002

 

            Les artistes et les cyberactivistes ne cachent pas non plus leurs sentiments sur les actes posés par la dictature ouattariste. A leurs yeux, faire disparaître de la scène politique un grand parti en mettant tous ses dirigeants en prison est une chose ignoble que seule la France trouve acceptable. voir les villages abandonnés aux rebelles illettrés qui y cherchent leur nourriture quotidienne par la violence et le vol est une pratique qu'ils regardent comme un jeu pitoyable sous le soleil d'Afrique. Quant aux élections, elles leur semblent des rendez-vous que les partisans de Ouattara inventent pour montrer la rondeur de leurs biceps.

Nouveau siège FPI 0004

    

            C'est en clair, l'illégitimité, l'inhumanité, la violence et l'injustice du pouvoir d'Alassane Ouattara qui sont dénoncées par les artistes et les cyberactivistes. Apparemment la réconciliation n'amuse personne. L'incapacité d'Alassane Ouattara à réussir ce défi se confond avec son manque de volonté politique. Le jour où il réussira la réunification du pays et réinstallera l'autorité de l'état dans le nord de la Côte d'Ivoire, on le prendra un peu plus au sérieux quand il prononcera le mot "réconciliation".

Tout Pissant 0004

Lire sur Mes pages politiques : l'Afrique se déshumanise-t-elle au Togo ?                  

Raphaël ADJOBI

NB : Toutes mes excuses aux auteurs images non signées publiées ici. Je ne m'attribue pas vos oeuvres ; je vous rends hommage.

3 mai 2013

Toussaint Louverture dans l'imaginaire européen

 Toussaint Louverture dans l’imaginaire européen          

Gravure d'apr

            Dans l’histoire de l’art en Europe au XIXe siècle, le personnage noir qui a le plus nourri l’imaginaire des artistes est indiscutablement Toussaint Louverture. Il est la figure emblématique de l’éclatement, en Europe, du malaise politique et social que couvait l’esclavage des Noirs depuis des siècles. Mais pour bien comprendre les différentes représentations picturales qui nous sont parvenues, il est important de faire un rappel historique de son combat qui a suscité des prises de position antagonistes.   

            Pourquoi Haïti a-t-il choisi comme devise

                          Liberté, Egalité, Fraternité

            La figure de Toussaint Louverture émerge du monde politique européen avec la Révolution française. Quand celle-ci éclate en 1789, sur l’île de Saint-Domingue, les Noirs  nourrissent l’espoir de s’affranchir du joug de l’esclavage et rallier les idéaux de Liberté, d’Egalité et de Fraternité qui animent la métropole. Pour eux, l’heure de la révolution sonnera dans la nuit du 22 au 23 août 1791 avec « le serment du bois caïman ». Cette nuit-là, rejointes par les dragons coloniaux noirs et métis de l’armée française humiliés lors de la fête du 14 juillet par leurs supérieurs, les populations noires attaquent les habitations des colons et dévastent leurs plantations. Grâce à ce mouvement populaire mais aussi à son sens de l’organisation, Toussaint Louverture se retrouve à la tête d’une armée solide. Sous sa pression ainsi que celle des Anglais et des Espagnols qui menacent d’envahir l’île, le commissaire Sonthonax proclame la libération des esclaves à la fin du mois d'août 1793, les ralliant ainsi à l’idéal révolutionnaire que vit la métropole. Le résultat de cette lutte pour la Liberté, l’Egalité et la Fraternité tombe le 5 février 1794, par un décret de la Convention abolissant l’esclavage et proclamant l’accession des Noirs des colonies à la citoyenneté française. 

            Toussaint Louverture est donc de manière incontestable une figure illustre de la Révolution française. Malheureusement, il ne connaîtra pas l’avènement de l’indépendance de son île pour laquelle il semblait avoir de grands desseins. Ce héros de la Révolution, devenu général en Chef des armées françaises de Saint-Domingue le 1er septembre 1797, puis gouverneur général, avait en effet installé peu à peu un réel « pouvoir noir » aussi bien militairement, économiquement que politiquement ; une véritable autonomie de l'île. Très vite, Napoléon s’inquiète de ce pouvoir, et sous la pression des colons, envoie une expédition militaire à Saint-Domingue au moment même où – le 20 mai 1802 – il décrète le rétablissement de l’esclavage dans les colonies. Toussaint Louverture est enlevé le 7 juin 1802 et envoyé en métropole où il sera enfermé dans le fort de Joux (23 août 1802) près de Pontarlier, à la frontière suisse. Il y mourra le 7 avril 1803, sept mois après son incarcération. 

            Cependant, à Saint-Domingue, la nouvelle du rétablissement de l’esclavage avait  embrasé l’île malgré l’absence de Toussaint Louverture. En dépit d’une répression terrible – surtout après la prise en main de l’armée française par Rochambeau en novembre 1802 – les populations noires s’étaient lancées dans une véritable guerre contre l’armée française. La guérilla organisée par Dessalines, Christophe et Pétion ne faiblit pas et poursuit sans relâche le harcèlement de la puissante armée coloniale. Un an après, malgré les renforts, Rochambeau ne contrôle plus la situation. Vaincue, l’armée Française quitte l’île le 19 novembre 1803 avec les colons à sa suite.

            Dès le 28 novembre 1803, l’indépendance de l’île est proclamée. Sept mois après sa mort, le rêve de Toussaint Louverture venait de se réaliser ! Une victoire posthume que Jean-Jacques Dessalines officialise le 1er janvier 1804 en proclamant la première République noire au monde et en lui donnant l’ancien nom indien de l’île : Haïti. Premier hommage. Deuxième hommage, la première république noire choisira en 1987 - un siècle après la France - comme devise les trois termes ou idéaux pour lesquels les populations se sont levées et se sont jointes à la Révolution française : Liberté, Egalité, Fraternité.  

                 Les artistes européens entre admiration et rejet    

            Rares sont les artistes européens qui ont eu l’occasion de voir le héros haïtien. Seule  l’œuvre de Violozon, de facture très académique, peut être considérée réalisée d’après le modèle. En effet, ce peintre lyonnais est le seul à avoir séjourné dans les Caraïbes vers 1801. Le portrait qu’il réalise de Toussaint Louverture le représente en habit de général en chef monté sur son beau cheval blanc ; une œuvre qui, de toute évidence, tend à magnifier l’homme comme cela se faisait beaucoup à l’époque. Il suffit de se rappeler celui de Napoléon Bonaparte franchissant les Alpes au col du Grand Saint-Bernard peint par David. 

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            Une autre œuvre, tout aussi académique, est la gravure équestre du héros noir de la révolution française réalisée par Bonneville. Toussaint Louverture est représenté en combattant montant au front et indiquant d’un doigt volontaire l’objectif à atteindre. Mais ce portrait, ainsi que tous ceux réalisés du vivant de ce grand visionnaire ont été faits sans aucune référence visuelle au personnage. 

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            Ce qu’il est important de constater, c’est que ces différents portraits - réunis par Roland Lambalot dans Toussaint Louverture au château de Joux - laissent apparaître deux visions du héros. Certains artistes portent sur l’homme un regard sympathique tendant à faire de lui un magnifique révolutionnaire pour la postérité pendant que d’autres cherchent à le ravaler au rang d’un nègre ordinaire - avec des boucles d'oreille - tout au plus affublé des habits de l’armée française. 

            Il est indéniable que Toussaint Louverture a nourri l’imaginaire des artistes à travers toute l’Europe, particulièrement en France, en Angleterre et en Allemagne. C’était la première fois en ce début du XIXe siècle, en Europe, qu’une figure politique noire suscitait à la fois tant d’admiration et de rejet. Pour les uns, c’était un anti-esclavagiste, donc un héros libérateur ; pour les autres, c’était le grand « responsable des massacres des colons blancs » et de la ruine de l’économie coloniale française en Haïti. C’est d’ailleurs cette dernière image de Toussaint Louverture que la littérature française a privilégiée jusqu’à nos jours. 

Raphaël ADJOBI

Bibliographie : 1) Roland Lambalot : Toussaint Louverture au Château de Joux, édit. Office de Tourisme de Pontarlier Editeur, 1989 / 2) Abbé Grégoire : De la Traite et de l’Esclavage des Noirs, Collection Arléa, mai 2007. NB : toutes les images sont extraites du livre de Roland Lambalot. 

25 avril 2013

Le Montespan ou le cocu du roi Louis XIV (de Jean Teulé)

                                                 Le Montespan

                                           ou le cocu de Louis XIV

                                                        (Jean Teulé) 

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            Le Montespan est un roman historique ravissant ! Ceux qui, comme moi, ont été quelque peu traumatisés par Mangez-le si vous voulez vont retrouver le sourire en lisant Le Montespan. Ici, Jean Teulé parle gaiement de cocus, de putains, de bâtards difformes, du sexe du roi et des cornes de la honte que Versailles transforme en cornes d'abondance. Mais chut ! N'allez pas gêner les royalistes en les mettant dans une fâcheuse posture. 

            Quand à vingt-deux ans, Louis-Henri, marquis de Montespan, épouse la blonde et voluptueuse Françoise de Mortemart le 28 janvier 1663, leurs complices espiègleries semblaient leur promettre des jours merveilleux. En effet, quand on vit de rentes et que l’on a du temps devant soi, on peut s’amuser à faire l’amour sans vergogne partout et à tout moment. Toutefois, pour éviter l'ennui qui guette sa femme et le déclin qui menace leur train de vie, le jeune noble se met en quête de gloire guerrière qui les rapprocherait des fastes de Versailles.

            Après deux enfants, Françoise - que son tendre mari appelle délicieusement Athénaïs – participe enfin à une fête dans un salon de la noblesse. Elle y « rayonne comme un enfant joue à la princesse parmi les rires qu’elle déclenche ». Elle a des persiflages pour tout le monde. Son esprit séduit. On lui propose de devenir dame d’honneur de la reine. Mais « Versailles est un pays effroyable et il n’y a pas de tête qui n’y tourne. La cour change les meilleurs ». Très vite, Athénaïs est élevée au rang de favorite, c'est-à-dire maîtresse officielle du Roi-Soleil !   

            D’ordinaire, « l’honnête homme trompé par le roi s’éloigne et ne dit mot ». Mais voilà que Louis-Henri a le mauvais goût de se plaindre que le roi séduise sa femme. Son beau-père a beau lui crier « Louis-Henri, être cocu, c’est la chance de votre vie. Ne la ratez pas, elle ne repassera pas », le jeune marquis ne renonce pas à son amour. Au grand plaisir des chansonniers de l’époque - n'en déplaise à Molière qui a pris le parti du roi - il orne son carrosse de cornes gigantesques et entre en résistance pour crier son infortune et dénoncer ce privilège royal. 

            On devine aisément que le combat est inégal. Cependant, l’amour fait accomplir des prouesses insoupçonnées. Comment lutter sans arme à la main contre la puissance royale, contre « Sa Majesté qui, elle seule, peut décider qui doit mourir et comment chacun devra vivre » ? C’est donc le combat du pot de terre contre le pot de fer que nous propose Jean Teulé dans ce magnifique récit agrémenté de peintures pittoresques de bouches édentées, de dents cariées, de perruques poudrées mises de travers et de vêtements sales à couper le souffle. On reconnaît sous sa plume le style de Saint-Simon et de Jean de La Bruyère croquant des portraits savoureux des gens de leur siècle. Crus et enjoués, ces portraits ne révèlent pas moins les caractères de la société du XVIIe siècle.

Raphaël ADJOBI

Titre : Le Montespan, 333 pages

Auteur : Jean Teulé  

Editeur : Julliard, Paris, 2008

Autre article à Lire sur " Les pages politiques de Raphaël" 

Côte d'Ivoire, élections municipales et régionales : le FPI sauve sa peau.  

 

21 avril 2013

Afrique 3.0 ou quand les Africains racontent la nouvelle dynamique du continent (hors-série du Courrier international)

                                            Afrique 3.0   

                      Ou quand les Africains racontent

                   la nouvelle dynamique du continent

                      (Hors-série du Courrier international)

Afrique_3            Si vous n’avez pas encore acheté ce hors-série du Courrier international - un numéro consacré à l’Afrique et rassemblant de très intéressants articles publiés par les grands journaux africains, européens et américains – pensez à le faire afin de découvrir un autre regard sur l’Afrique ; un regard à multiple facettes qui vous remplira d’espoir et vous incitera peut-être à vous demander la couleur de la pierre qu’il vous faut ajouter à la nouvelle dynamique de ce continent. 

            La diversité des articles répond, de façon évidente, au parti pris de faire émerger à la fois la parole et le regard des Africains - issus de la diaspora ou non - sur ce qui se fait ou se vit dans les différents pays ou sur l’état de l’Afrique noire dans sa globalité. Architectes, économistes, inventeurs, mais aussi écrivains, historiens, journalistes, photographes et artistes prennent le pouls du continent et  racontent son dynamisme à travers ce qu’ils vivent eux-mêmes. 

            Vous découvrirez donc avec beaucoup d’intérêt l’extraordinaire essor du « naija », le pidgin nigérian qui, avec ses millions de locuteurs, ne cesse de gagner en vigueur et en notoriété malgré les mesures que prennent les autorités pour réprimer son usage. Vous ne resterez pas insensible à la réflexion de Pape Sadio Thiam sur l’intérêt pour les pays francophones de se mettre massivement à l’Anglais. Par ailleurs, vous serez ravis de lire les belles peintures sociales faites par des journalistes et des écrivains et les analyses qui les accompagnent. C’est avec un grand plaisir que vous lirez le bel article de la ghanéenne Afua Hirsh sur « le grand retour des enfants d’immigrés » et les propos de la journaliste ougandaise Melinda Ozongwu sur ce que l’Afrique peut apprendre au reste du monde. Il ne faut surtout pas manquer l’excellent article du kényan Binyavanga Wainaina – « Une Kalachnikov et des seins nus » – qui montre la recette faite de préjugés et de lieux communs dont s’imprègnent écrivains et journalistes occidentaux au moment d’écrire sur l’Afrique. Passionnant !

Si vous ne le connaissez pas, vous ferez connaissance avec Mo Ibrahim, l’entrepreneur visionnaire de la téléphonie mobile. Ce soudanais de 67 ans a lancé en 2007 le prix Ibrahim pour récompenser « des chefs d’Etat ayant développé leur pays, sorti leur peuple de la pauvreté et jeté les bases d’un avenir prospère » !  Un article à lire absolument. Le Congolais brazzavillois Verone Mankou qui revendique la première tablette et le premier portable conçus en Afrique, le regard de l’architecte ghanéen David Adjaye sur l’architecture des capitales africaines ainsi que celui du burkinabé Diébédo Francis kéré qui construit des écoles avec des matériaux locaux ne manqueront pas de retenir votre attention. Vous découvrirez de nombreux autres articles qu’il serait fastidieux d’évoquer ici. 

Vous sentirez, en lisant ce hors-série du Courrier international, qu’au-delà de cette « poussière d’Etats faibles » (Achille Mbembé) où « il n’y a que deux tribus : les riches et les pauvres » - aux dires de l’écrivain kényan Ngugi wa Thiong’o – palpite une Afrique pleine de vie, de dynamisme qui ne demande qu’à s’épanouir dans un cadre plus serein ; un cadre où la convoitise de ses ressources devra cesser de se traduire par la violence des armes et des coups d’état téléguidés. Vous pourriez même – en lisant l’article « Maudites ressources » de l’économiste ivoirien Koffi Allé - vous demander si, au lieu de regarder ses ressources naturelles, l’Afrique ne devrait pas changer de cap.     

Raphaël ADJOBI

Titre : courrier international, Hors-série n° M 04224

            (Mars-avril-mai 2013)

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11 avril 2013

Ils ont tenu à rester assis pour que nous puissions nous lever

                    Ils ont tenu à rester assis

            pour que nous puissions nous lever

Souvenons-nous : le 11 avril 2011, à coups de canons, la France a réussi à extirpé du palais présidentiel ivoirien Laurent Gbagbo qui refusait de céder le siège sur lequel le Conseil Constitutionnel de son pays l'avait installé. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes venait d'être bafoué par un pays occidental dit amoureux de ce droit.

            N'oublions donc pas que, comme Rosa Parks en 1955 aux Etats-Unis, Laurent Gbagbo est resté assis afin que nous puissions nous lever pour gagner le combat des indépendances africaines. Le samedi 13 avril, participez à la marche internationale de soutien à Laurent Gbagbo à partir de 12 h, de la Place de Clichy à la Place de Stalingrad.            

  Lire l'article sur Les pages politiques de raphaël

Les photos et le texte de la marche  du 13 avril

Ils ont tenu à

        

 

 

1 avril 2013

La publicité, baromètre du racisme français

       La publicité, baromètre du racisme français

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            La France blanche est-elle profondément raciste ? Oui, on peut le croire ! Au regard des messages publicitaires par lesquels les annonceurs s'adressent à elle, on peut répondre à cette question par l'affirmative. En effet, le monde de la publicité a cette particularité de bien étudier ce qui touche la fibre sensible du destinataire avant de lui délivrer le moindre message.

            Pour vous le prouver, il me suffit de vous montrer que les politiques et les annonceurs s'adressent généralement à la population dans le langage qu'elle comprend. En d'autres termes, si le politique ou l'annonceur manie le langage raciste à l'adresse du public, c'est parce qu'il sait que celui-ci a les éléments culturels nécessaires pour le comprendre et l'accepter comme chose normale qui ne choque pas. 

            Prenons l'exemple de cet humoriste qui disait dans un de ses sketchs qu'il n'était pas raciste parce qu'il avait un disque de Sidney Bechet. Il ne faisait alors qu'exprimer la manière ordinaire des Français blancs de nier le racisme qui était en eux. Plusieurs décennies plus tard, en mars 2013, Nadine Morano justifiait l'absence de racisme en son coeur et en son âme de la même façon. "Je ne suis pas raciste, j'ai une amie tchadienne plus noire qu'une arabe", avait-elle fièrement clamé. A qui s'adressait-elle ? A ses compatriotes blancs, seuls capables de comprendre que ce discours vous lavait du soupçon d'être raciste. Quant aux Français noirs, coutumiers de ces propos racistes censés montrer que l'on ne l'est pas, ils n'osent plus s'en offusquer parce que leur indignation serait prise pour du racisme anti-blanc. 

            Une chose est sûre : en France, les politiques, les journalistes et les publicistes s'adressent spécifiquement aux Français blancs. Aussi s'appuient-ils particulièrement sur les présupposés culturels que ceux-ci ont bien intégrés, dans leur conscience ou leur subconscient. Démonstration !   

Chair blanche 0002

            Quand le Noir est présenté comme un mangeur de chair blanche, à qui s'adresse le publiciste ? Forcément aux Français blancs qui comprennent ce message ; message qui ne les choque pas parce qu'il est dans l'ordre des choses admises. Cela ne mérite aucun procès. D'ailleurs, beaucoup trouvent l'image amusante. Si un Noir s'en indigne, on dira qu'il fait du racisme anti-blanc.

Sauvage sein nu 0001

            D'autre part, quand les illustrations des magazines ou des articles des journaux évoquent les peuples d'Afrique, ceux-ci sont bien souvent présentés comme des pauvres affamés ou des sauvages. Cela répond bien à ce que pensent les Français blancs ; ou cela contribue à les entretenir dans l'idée qu'ils sont très évolués par rapport à cette catégorie de personnes. Et le Français noir n'a pas intérêt à en être chagriné ; il manifesterait du racisme anti-blanc.

      Entretenir le racisme grâce à l'image du Noir assisté

         et celle du Blanc supérieur volant à son secours 

Aider l'Afrique 0001

            D'ailleurs, pour l'Afrique, que proposent les publicités, les associations, les politiques ? De l'aide ! Oui, de l'aide. Ils demandent aux populations françaises de les aider à aider l'Afrique, à aider les pauvres Africains qui ont grand besoin d'eux ; sinon, ils mourront tous. Cette indignation devant la pauvreté de quelques populations bien choisies n'est que la manifestation d'une bonne conscience visant à cacher un racisme institutionnalisé. Ils oublient en effet - ou feignent d'oublier - que ce sont les plantations africaines d'hévéa qui font travailler les usines de pneumatique en France. Combien d'emplois ? Ils refusent de voir que ce sont les métaux extraits du sous-sol africain qui font travailler les usines en France. Combien d'emplois ? Ils ne veulent pas penser que ce sont les fruits tropicaux (café, cacao...) et le pétrole africain qui permettent à bon nombre de sociétés françaises de tourner. Combien d'emplois ? Oui, l'action des sociétés privées françaises en Afrique génère des emplois dans le privé en France pour le grand bonheur de tous. Et gare au gouvernant africain qui aura le malheur d'envisager la transformation de ces matières premières sur place ! Il s'exposera à un coup d'état. On ne demande pas à l'Afrique de montrer le savoir-faire de ses cadres formés dans les universités européennes, mais de fournir à l'Europe des matières premières. C'est tout ! 

            Pour l'Etat français comme pour les autres pays européens, les Africains doivent demeurer des éternels assistés, des abonnés au FMI et aux ONG, c'est-à-dire des abonnés à la soupe populaire. Il leur est difficile de concevoir que l'Afrique noire veuille jouer un autre rôle que celui qu'ils lui ont attribué. Et cela, c'est du racisme érigé en politique d'état. 

Raphaël ADJOBI

30 mars 2013

France : les industries agroalimentaires empoisonnent les Antillais au sucre !

                   France : les industries agroalimentaires

                       empoisonnent les Antillais au sucre !  

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            Le mercredi 27 mars, les radios françaises annoncent que les boissons rafraîchissantes et les produits laitiers destinés aux départements d'Outre-mer contiennent deux fois plus de sucre. Elles expliquent que c'est, pour les industriels, une manière habile de rendre les Antillais dépendants de leurs produits sans se soucier de l'obésité que cet état de chose provoque chez cette population. Quant à l'industrie agroalimentaire, elle prétend qu'elle n'a fait que s'adapter au goût des Antillais qui, selon elle, aiment manger et boire très sucré. 

            Après les plats cuisinés à la viande de cheval à la place de la viande de boeuf, voilà donc l'empoissonnement de consommateurs français au sucre. Dans le premier cas, il s'agissait d'une simple tromperie sur la marchandise, donc un délit, et dans le deuxième cas une atteinte à la santé d'autrui, donc un crime. Et puisque ce crime vise une catégorie de la population, on peut même parler d'acte ségrégationniste, raciste ; même si dans l'affaire, quelques Blancs ont certainement consommé ces produits. Quelques sacrifiés. 

            Durant de nombreuses années, en France métropolitaine, les associations n'ont cessé de dénoncer l'ajout d'alcool et de produits spéciaux aux boissons qui ont la préférence des jeunes. Elles savaient que les fabricants rusaient ainsi afin de les rendre progressivement dépendants des boissons hautement alcoolisées quand ils seront adultes. Une campagne  a vite été menée pour prévenir les familles ; et l'état a tiré l'oreille aux industriels. Les distributeurs automatiques de sodas et de barres chocolatées ont donc disparu des collèges et de bon nombre de lycées en prévention de l'obésité et de l'addiction à l'alcool.

            De toute évidence cette campagne de santé auprès des familles et les lois imposées aux établissements scolaires et aux industries agroalimentaires n'ont pas été jugées applicables aux Antilles. Pire, devant l'impunité, les industriels ont choisi le sucre plutôt que l'alcool européen - le rhum est indétrônable aux Antilles - pour poursuivre leur sale besogne là-bas. Et pendant que les Antillais, perfusés au sucre grossissaient comme des immenses ballons - multipliant les maladies cardiovasculaires et le diabète - de nombreux métropolitains cherchaient l'explication de ce phénomène dans la proximité de leurs moeurs alimentaires avec celles des Américains.

            A vrai dire, les causes profondes de cette propension à l'obésité des Antillais - surtout des Antillaises - étaient connues depuis 2011. Des particuliers avaient révélé la teneur excessive de sucre dans le pain et les croissants et avaient jeté un doute sur la formation des boulangers. A quel crime les poussait-on ? Très vite, on s'était rendu compte que les produits alimentaires venus de France avaient une teneur en sucre deux fois supérieure à ceux consommés en métropole. Le député de la Guadeloupe, Victorin Lurel - aujourd'hui ministre - avait alors proposé une loi pour ramener ce taux au même niveau que dans l'hexagone. Mais comme à Paris rien n'est urgent quand il s'agit des Antilles, il a fallu attendre la crise de la viande de cheval à la place de la viande de boeuf pour qu'en mars 2013 les chaînes nationales reconnaissent enfin que les criminels ne sont point les Américains mais bien les industriels français. 

Raphaël ADJOBI 

24 mars 2013

Côte d'Ivoire : le crime des médias français

                Le crime des médias français

Depuis que l'ONG Amnesty International a publié son
rapport sur les presque deux années de gouvernance d'Alassane Ouattara,
quelques rares journaux français se sont permis des commentaires s'attirant les
foudres de leurs employeurs ou financiers. Mais avant cela, en février dernier,
le procès de Laurent Gbagbo à la Cour Pénale internationale à la Haye a mis en
évidence le mutisme criminel des médias français sur la réalité ivoirienne
pendant et après la crise postélectorale. On peut redire que les
journalistes (qui ne peuvent accuser que leur absence d'indépendance) sont les
premiers responsables de l'ignorance des Français sur l'implication de leur
pays dans les affaires africaines.

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26 février 2013

La circoncision, cette mutilation que l'on veut ignorer

                          La circoncision, cette mutilation

                                       que l'on veut ignorer            

Circoncision Egypt

            Il est difficile d'imaginer la misère quand on ne l'a pas vécue. Voir des miséreux ou même panser leurs plaies ne suffit pas pour faire de vous une victime de la misère. Ce que vivent les femmes excisées, les sentiments qui les animent quotidiennement, nuit et jour, aucun homme, aucune femme non excisée ne peut le connaître et le peindre dans toute sa plénitude. Même à la femme excisée il manque souvent le mot juste pour peindre la dépossession de son être. Quant à l'homme circoncis, nul besoin de le plaindre. C'est du moins ce que l'on croit. Mais si personne n'ose parler de ce qu’il éprouve, c'est bien de sa faute. Parce que son orgueil lui interdit d'émettre des plaintes, il se mure dans le silence.

            Puisque l'on parle si peu des sentiments du circoncis, penchons-nous ici sur son cas. Osons ce que l’on cache à la multitude. Osons l’indicible vérité sur le circoncis. Mais avant toute chose, il convient de distinguer celui qui a été circoncis dès l’enfance et celui qui l’a été adulte après avoir connu des relations sexuelles. Cette distinction est de la plus haute importance ; car le circoncis qui n’a jamais connu de relation sexuelle dans l’état d’incirconcis est incapable de juger de la différence entre les deux états. Un aveugle de naissance peut-il avoir le même jugement sur le monde visible que celui qui a perdu la vue adulte ? Un manchot de naissance a-t-il la même souffrance de l’absence de son bras que celui qui l’a perdu adulte dans quelque accident ? Je ne le crois pas. Je ne le crois absolument pas du simple fait que l’un porte la nature de son être alors que l’autre porte en lui le traumatisme de la perte de ce qu’il possédait et dont il avait pleinement conscience. 

            L’adulte circoncis se considère avant tout comme un mutilé, au moins durant les dix premières années. Tout adulte ayant connu une vie sexuelle avant d’être circoncis et qui viendrait à nier cela est un menteur ! En fouillant mon passé, je ne vois que deux personnes qui ont osé publiquement reconnaître dans la circoncision une mutilation semblable à l’excision. Dans les années soixante-dix, sur l’unique chaîne de télévision ivoirienne, répondant à la question d’un journaliste, l’ethnologue Niangoran Boa avait mis sur le même pied d’égalité la perte de la sensibilité de la femme excisée et celle de l’homme circoncis. Une dizaine d’années plus tard, c’est un cousin qui, au cours d’une discussion entre amis, avoua regretter d’avoir choisi d’être circoncis. Me référant à ma propre expérience, j’osai un jour, lors d’une assemblée entre hommes, demander à mes amis pourquoi ils n’avaient pas prévenu les autres des graves conséquences de cette opération. Toute l’assemblée s’était alors fendue d’un éclat de rire. Personne ne répondit à ma question. On se taquina puis on se quitta. L’homme est orgueilleux. Sur sa vie intime, il n’aime guère reconnaître qu’il a eu tort.

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                        Une mode née de l’imitation des musulmans  

            Quand on réfléchit bien, on se dit : « Comment ces jeunes gens pouvaient-ils reconnaître publiquement qu’ils avaient eu tort ? » Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, l’histoire de tous ces jeunes africains qui n’étaient pas nés dans la religion musulmane était partout la même ; à quelque chose près. Partout, ils entendaient clamer les bienfaits de la circoncision. En Côte d'Ivoire, ceux qui avaient osé subir cette opération s’en vantaient et usaient d’un terme bambara censé être péjoratif pour désigner ceux qui n’ont pas passé leur pénis par le tranchant de la lame : « Bracro » ; une déformation de « bilakoro » qui, selon Amadou Hampâté Bâ, signifie « laissé à vieillir », c’est-à-dire « en voie de maturité » (1). Ainsi donc pour les circoncis, les non-circoncis étaient des gens « en voie de maturité », des gens qui étaient encore dans l’enfance. Devant les moqueries de leurs amis, les jeunes gens couraient vers les infirmiers qui pratiquaient cette opération pour qu’ils les délivrassent du fardeau dont ils croyaient être chargés par la nature. C’est ainsi qu’en Afrique, dans les zones non musulmanes, de nombreux jeunes ont allègrement embrassé la mode de la circoncision.

            Peu à peu, l’habitude s’est installée. Accédant au rang de père de famille, cette génération s’est empressée de faire circoncire ses enfants – presque toujours dès le berceau - pour leur éviter l'infamie. La pratique se généralisant, on prit soin de la justifier afin de la rendre nécessaire là où il lui manquait la force de la tradition musulmane. On se mit à vanter la propreté du pénis circoncis, à soutenir qu’il protégeait les femmes de certaines maladies comme le cancer du col de l’utérus et même du VIH. 

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                           Des maigres bénéfices de la circoncision

            Pour ce qui est du bénéfice que les femmes tireraient de la circoncision, on peut dire que ceux qui y croient - médecin ou pas - sont dans le fantasme absolu tant que la démonstration de sa véracité ne sera pas faite et que l’ordre ne sera pas donné de les sauver en passant tous les pénis de la terre par la lame du rasoir. Quant à la propreté qu’assure la circoncision, elle est vraie. En tout cas, en Afrique, elle semble se justifier dans les zones sahéliennes et désertiques où les populations jouissent de peu d’eau et où la toilette se limite très souvent à de simples ablutions. Dans les zones de forêt où l’eau abonde et où les hommes et les femmes sont habitués à la douche quotidienne, la circoncision ne s’impose pas comme une pratique hygiénique. C’est une mode imbécile qui l’a imposée. S’il est vrai que l’argument hygiénique reste le seul valable pour la circoncision, il est également vrai que celui qui a conscience de la nécessité d’une hygiène quotidienne de son sexe et s’y plie n’a pas besoin de recourir à la circoncision. Cela laisse croire que tous les hommes de la terre gagneraient à veiller quotidiennement à la propreté de leur sexe. Cette recommandation s’adresse aussi aux femmes, même si l’excision n’a pas les vertus hygiéniques que l’on reconnaît à la circoncision. En tout cas, pour accoutumer les garçons à l’hygiène de leur sexe, dans certains hôpitaux, on conseille aux mères de commencer très tôt à libérer le gland du prépuce afin de laver l’un et l’autre lors de la toilette de l'enfant. Leçon à retenir par toutes les familles.    

            S'il est vrai que l'homme ne tire aucun bénéfice de la femme excisée qu'il trouve d'ailleurs moins expressive au lit, la femme de son côté n’éprouve pas plus de plaisir avec un circoncis qu’avec un incirconcis. Mais il est également certain que la sensibilité du gland étant plus faible, l’homme qui éjacule précocement voit ce phénomène diminuer considérablement une fois circoncis. Ce n’est pas pour autant qu’il faut conseiller la circoncision aux éjaculateurs précoces.

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            L’adulte nouvellement circoncis a besoin de beaucoup de temps pour retrouver un plaisir sexuel proche de son premier état. Une dizaine d’années lui sont nécessaires pour développer pleinement des sensations palliant l’insensibilité du gland. C’est comme celui qui a perdu un membre et qui développe une capacité ou une habilité nouvelle compensatrice. L’expérience laisse penser que le plaisir devient plus cérébral que « sensitif », intérieur qu’extérieur. Il faut dire que le gland ayant perdu ses propriétés sensitives externes au point de se frotter sans blessure aux sous-vêtements ou à tout autre corps extérieur, l’esprit cherche à lire le plaisir ailleurs que dans son frottement contre la paroi vaginale. Il paraît qu’il y a un médecin qui, dans son galimatias médical, affirme que ce n’est pas la sensibilité du gland que perd le circoncis mais son hypersensibilité ; apparemment, il est le seul à ne pas se rendre compte qu’il y a forcément perte de quelque chose.                                                    

            Certes, le circoncis ne voit pas son orgasme altéré par son nouvel état. Ce qui change radicalement chez lui, c’est que le gland qui avait la sensibilité d'une plaie que l'on pouvait couvrir et découvrir devient comme une peau ordinaire supportant le frottement aux corps extérieurs et aux caresses. Or, la sensibilité aux caresses fait partie du plaisir sexuel. Le gland étant devenu insensible, le sexe du circoncis n’est plus sensible aux caresses que dans sa partie haute encore recouverte par la peau. Tel est l’état réel du circoncis, qu’il le soit depuis l’enfance ou pas. Aussi comme la femme excisée qui ne tire aucun plaisir de l’excitation du clitoris qu’elle n’a plus mais du seul frottement vaginal, l’homme circoncis ne tire pas du plaisir dans la caresse de son gland mais du désir d’atteindre l’orgasme. 

                      L'excision et la circoncision contre l'autosexualité

            De toute évidence, il semble que la circoncision comme l'excision ont été inventées par l'homme pour lutter contre l'autosexualité – communément appelée masturbation - qui aurait été jugée à certaines époques comme nuisible ou contraire à la morale. Dans cette vision des choses, les hommes s'en sont pris aux femmes pour s'assurer leur fidélité et aux jeunes gens afin de les empêcher de gaspiller dans la solitude leur semence devant être réservée à la production d'une grande progéniture. Car outre le gland dont la sensibilité ou l'hypersensibilité procure un grand plaisir en se frottant à la paroi vaginale, le pétrissage ou la trituration du prépuce est un geste très agréable qu'ignorent les circoncis. On connaît aujourd’hui la peur de l’Angleterre victorienne pour la dégénérescence mentale. A la fin du XIXe siècle, elle a promu la circoncision pour prévenir la masturbation qu’elle redoutait pour la santé physique et surtout mentale.

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            La description même du prépuce et du gland du non circoncis suffit pour faire comprendre aux partisans de la circoncision le bénéfice dont jouissent ceux qui demeurent dans l'état naturel des choses. Une leçon d'anatomie simple montre que la vision de ceux qui affirment que le prépuce n'est pas un organe mais « un repli de peau inutile et antihygiénique » ne peut tenir ; et cela pour deux raisons :

« Tout d'abord, le prépuce est une lèvre avec une fonction similaire à celle des autres lèvres du corps (paupières, lèvres de la bouche, de la vulve, narines, anus) : celle de frontière entre l'intérieur et l'extérieur. La grande caractéristique des lèvres est d'avoir une double face : peau d'un côté, muqueuse de l'autre. L'extérieur protège l'intérieur du frottement et de la dessiccation (dessèchement). Elles sont aussi particulièrement fournies en terminaisons nerveuses de toucher fin. Ensuite, comme le clitoris, le prépuce a une innervation érogène particulièrement dense, renforcée par l'innervation de toucher fin. Aussi, l'enroulement et le déroulement de ce store à double face permettent, outre un nettoyage facile, une stimulation particulièrement agréable à la fois de lui-même et du gland. Puisqu'il peut être supprimé sans empêcher la reproduction, le prépuce, comme le clitoris, n'est pas un organe génital. C'est néanmoins l'organe spécifique de l'autosexualité masculine » (2) ; en d’autres termes, un organe du plaisir.    

(1) Préface de Textes sacrés d’Afrique noire choisis et présentés par Germaine DIETERLEN, Gallimard 2011.   

(2) extrait d'un article de "Psychologie.com".

Raphaël ADJOBI

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