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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

9 août 2012

J'accuse Ouattara (Théophile Kouamouo)

                                                         J'accuse Ouattara

                                                       (Théophile Kouamouo) 

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            Dans la courte liste des livres qui tentent de nous faire comprendre à la fois les pans obscurs du conflit ivoirien et la responsabilité d'Alassane Ouattara, ce dernier essai de Théophile Kouamouo est assurément le plus audacieux et celui qui s'adresse au grand public et non point à des spécialistes de la chose politique. Sur un ton franc et admirablement clair, l'auteur suit non seulement la ligne chronologique des événements et des discours qui les ont préparés puis nourris mais aussi la savante construction des propos qui, çà et là, ont tenté de "blanchir" Ouattara et souiller Laurent Gbagbo, dernier adversaire devenu son ennemi. 

            L'indignation de Théophile Kouamouo devant la justice des vainqueurs est d'autant plus grande qu'ayant fait du traitement de l'information sur la Côte d'Ivoire sa spécialité, il a été très attentif aux propos partiaux de certains de ses confrères français et aux malignités avec lesquelles certaines organisations non gouvernementales, - comme Human Rights Watch - fabriquent de toutes pièces des faux pour discréditer ou disculper selon leur bon vouloir. Conscient du caractère ouvertement accusateur de son ouvrage, en bon tacticien, l'auteur remonte dans le passé jusqu'aux premiers signes annonciateurs du cataclysme ivoirien. Et là, que découvre-t-on ? Non pas "l'ivoirité" - la prétendue cause de tous les maux des Ivoiriens - mais bien la "charte du Nord" qui lui est antérieure et qui avait clairement dans ses lignes choisi Alassane Ouattara comme son étendard alors qu'aucune élection présidentielle n'était annoncée. Jamais la "Charte du Nord", ce "brûlot ethnocentriste datant de 1991", n'a été replacée avec autant de justesse dans l'histoire du conflit ivoirien pour en montrer les racines locales. Cette démarche fait apparaître de façon éclatante que, dès le départ, Alassane Ouattara avait choisi la voie tribale pour conquérir le pouvoir. 

            De toute évidence, c'est dans le chapitre intitulé "MPCI = RDR" que l'auteur fait éclater son talent d'enquêteur didacticien. Prenant sans cesse le lecteur à témoin, il le tient par la main, l'interroge, lui explique les liens existants entre tel discours et telle action qui le suit, puis le conduit logiquement à l'implacable conclusion. Il démontre ainsi l'implication de nombreuses personnalités issus du Nord dans toutes les actions conduites par les forces rebelles contre la Côte d'Ivoire. Le lecteur ne peut alors que se poser la question de savoir si le mutisme des personnalités nordistes qui n'ont pas suivi Ben Soumahoro et Balla Keïta dans leur refus de ce contrat tribal n'était pas un mutisme complice. N'oublions pas qu'ils ne se sont désolidarisés de manière collective et officielle de la rébellion qu'après les élections et le verdict du Conseil Constitutionnel. Jamais auparavant ils n'avaient démenti de la même manière les rebelles qui disaient s'exprimer au nom de tous les Nordistes ! Jamais ils n'avaient jugé offensant et dangereux l'attitude des leaders de leur bord qui, souvent, dans leur fief, abandonnant tout à coup le discours officiel en langue française, s'exprimaient en langue locale pour annoncer le projet de reconquête du pouvoir ! 

            Après la démonstration que la guerre ivoirienne était programmée intérieurement et extérieurement, Théophile Kouamouo s'attache, dans les derniers chapitres de cet ouvrage, à nous faire comprendre pourquoi malgré tous les crimes commis - (les gendarmes de Bouaké - les massacres de Petit-Douékoué et de Guitrozon - le massacre d'Anonkoua kouté - les massacres dans l'Ouest et à Douékoué - Les violences à l'hôtel du Golf) - et reconnus par Amnesty International et l'Agence Reuters, Alassane Ouattara ne sera jamais jugé par la justice internationale. Il ne le sera pas parce que "dans sa structure, [cette institution] est fondamentalement plus un instrument politique aux mains de ses bailleurs de fonds qu'une véritable institution judiciaire telle que conçue par les grandes démocraties" ; et aussi parce que "par une transitivité presque parfaite, (...) Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et un certain nombre de dignitaires onusiens, sont aussi coupables"de ces crimes contre l'humanité. Le livre montre d'ailleurs comment, sur place, le représentant de l'ONU a travaillé pour garantir à Ouattara une parfaite impunité. 

            Théophile Kouamouo nous montre donc qu'en prêtant attention aux propos des uns et des autres, les événements qui ont marqué le conflit ivoirien font indiscutablement d'Alassane Ouattara le grand bénéficiaire de tous les crimes des mouvements rebelles. La démarche analytique dont il fait preuve ici rend ce conflit compréhensible par tous : Africains, Européens, Ivoiriens. La richesse de la documentation et cette manière d'interpeller constamment le lecteur font de l'auteur un excellent juge d'instruction, conscient que son rôle est de s'attacher à tous les actes utiles à la manifestation de la vérité. Une vérité qui condamne Alassane Ouattara et qui est désormais à la portée de tous !

Raphaël ADJOBI               

Titre : J'accuse Ouattara, 114 pages

Auteur : Théophile Kouamouo

Editeur : Le Gri-Gri, mai 2012 (10 euros)

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6 août 2012

Tant que je serai noire (Maya Angelou)

                                                  Tant que je serai noire

                                                              (Maya Angelou)

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            Tant que je serai noire est le témoignage du parcours d'une militante noire-américaine pour l'égalité des droits civiques aux Etats-Unis et les libertés en Afrique. Le titre du livre paraphrase ou fait écho à la formule de M. Bunche - ce métis à "la peau (...) si claire  qu'il pouvait passer pour être blanc", ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU et qui avait reçu le prix Nobel de la paix en récompense de son travail de médiateur dans le conflit  palestinien  - réagissant au refus opposé à l'entrée de son fils dans un club de tennis. "Tant et aussi longtemps que le plus humble métayer du Sud ne sera pas libre, je ne le serai pas non plus", avait-il dit. En reprenant à son compte cette formule, Maya Angelou semble affirmer dans ce roman autobiographique sa ferme conviction que son combat n'aura de terme que lorsque l'évidente injustice attachée à la peau noire prendra fin.

            Quelle immense et lourde tâche ! Et, effectivement, ce qui frappe avant tout dans la tranche de sa vie retracée ici, c'est cette multitude de combattants noirs illustres que l'auteur a croisés sur son chemin : la célèbre chanteuse Billie Holiday, le pasteur Martin Luther King, Malcom X (chef du mouvement Nation of Islam), le leader sud-africain Oliver Tambo,  l'écrivain James Baldwin... C'est dire combien son engagement était total ! Aussi, ce livre fourmille d'une foule d'informations relatives aux différents mouvements de lutte pour la cause noire et leurs actions en Amérique et ailleurs dans le monde. Toutefois, on ne perd jamais de vue que cette combattante était aussi une mère aimante et une femme dont la vie a suivi le parcours des vicissitudes de ses amours. 

            Cependant, au-delà du parcours chatoyant fait d'illustres rencontres et de la vie amoureuse pleine et agitée d'une mère, ce qui semble encore plus important à retenir ce sont les profondes interrogations et réflexions que le roman suscite chez le lecteur d'aujourd'hui. La contribution de la jeunesse blanche américaine aux luttes des Noirs dans les années 60 -  qui rappellera à certains l'engagement de la jeunesse communiste française dans la défense des leaders africains comme Mandela à la fin des années 70 - ne laisse pas indifférent. Au regard de ce fait, la rareté des jeunes blancs d'aujourd'hui au sein des luttes de soutien aux grands leaders mondiaux ne peut que nous interpeller. Les grands idéaux seraient-ils désormais de l'ordre de la protection de la nature et non plus de la fraternité et de la justice ? La défense des peuples à disposer d'eux-mêmes serait-elle devenue l'affaire des seuls intellectuels ? Et puis, pourquoi la solidarité entre les humains devrait-elle toujours se manifester dans le même sens ? Pour quelle cause humaine les Noirs d'Afrique et d'Europe sont-ils prêts à manifester aux côtés de leurs semblables Blancs pour leur témoigner leur solidarité ?   

            "Patrice Lumumba, Kwamé N'Krumah et Sékou Touré formaient le triumvirat africain sacré, celui auquel les Noirs américains vouaient un culte". Telle est l'une des affirmations fondamentales de ce roman qui mérite aussi réflexion. Aujourd'hui, quels sont les leaders sacrés des Noirs ? Quels sont les guides sacrés des Noirs qui, éparpillés dans le monde, rêvent d'un devenir meilleur là où ils se trouvent ? Peut-être que leur rêve n'est plus associé à la couleur de leur peau parce qu'ils sont persuadés d'être transparents, que leur couleur n'a aucune incidence ni sur les décisions des autres ni sur leurs propres choix. Si telle est leur conviction, des exemples précis tirés de l'actualité récente montrent qu'ils se trompent. En juillet 2012, aux Etats-Unis, un pasteur blanc a refusé de marier un couple au seul motif qu'ils étaient Noirs et que pareil cas serait une première inconcevable dans l'église de sa localité. Si on n'y prend garde, ce qui paraît ici un cas exceptionnel peut devenir ailleurs une généralité. Au Panama, en avril 2012, une jeune fille noire a été refusée en classe parce qu'elle portait des tresses africaines ! Son renvoi n'était pas un cas isolé mais bien la manière ordinaire de la communauté blanche de ce pays de montrer que la règle devrait être le défrisage pour les Noirs. La polémique a éclaté parce que les parents de la jeune fille ont réagi. Une manifestation de grande envergure, qui s'est étendue au Costa Rica, a été nécessaire pour qu'enfin chacun cesse de souffrir dans son coin. 

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            Retenons donc que la vigilance et la réaction franche et massive sont encore nécessaires malgré l'apparente fraternité universelle et qu'il serait encore bon de faire nôtres les précieux conseils que propose ce livre pour mener des actions militantes. En les lisant et en les méditant, les Africains et les Afrodescendants d'Europe et d'ailleurs se montreront les dignes successeurs de leurs aînés qui agissaient pour "faire savoir au monde qu'on ne peut plus tuer les leaders Noirs dans le secret". Si on les tue, si on les embastille ou les condamne injustement sans que nous réagissions, nous sommes coresponsables du mal qui leur est fait. Si vous êtes un grand admirateur des figures illustres de la cause des Noirs mais avez tendance à montrer de l'indifférence à l'égard des leaders actuels qui poursuivent leurs combats, alors ce livre est là pour remuer votre conscience. 

Raphaël ADJOBI 

Titre : Tant que je serai noire (407 pages)

Auteur : Maya Angelou

Editeur : Le livre de poche, sept. 2009

               (1ere édit. Les Allusifs, 2008)

2 août 2012

Côte d'Ivoire : qui espérait se réconcilier avec qui ?

Côte d'Ivoire : Charles Konan Banny rend son tablier de pèlerin

de la réconciliation. En réfléchissant bien, on se demande 

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    qui espérait se 

 réconcilier avec qui ? 

      Lire l'article sur

  Les pages politiques

        de Raphaël

12 juillet 2012

Le rêve du Celte (de Mario Vargas Llosa)

                                      Le rêve du Celte

                                   (de Mario Vargas Llosa)

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            Ce roman est une magnifique vulgarisation de la fascinante vie de Roger Casement, figure historique de la lutte contre les méfaits du colonialisme. Cet homme a, dans son combat pour la justice, réuni  le destin de trois terres sous domination étrangère au début du XXè siècle : le Congo (actuelle République Démocratique du Congo), l'Amazonie péruvienne et l'Irlande qui constituent les trois chapitres du roman. Au-delà de l'histoire coloniale de ces trois pays et de l'image d'humaniste attaché à ce révolutionnaire irlandais, ce livre nous donne à découvrir les féroces atrocités auxquelles se livraient les Européens dans les immenses forêts luxuriantes du Congo et de l'Amazonie, loin des yeux du monde. Quiconque lira ce livre et cherchera des bienfaits à la colonisation est digne d'être appelé un imbécile. 

            C'est du fond de sa prison londonienne, où il attend de savoir s’il va être pendu, que Roger Casement revient sur son passé et le dernier combat qui l’y a conduit. Contremaître dans l'expédition de 1884 de Henry Stanley Morton, puis chef d'équipe dans les expéditions de 1886 et 1888 du Nord-Américain Henry Shelton Sanford, il a vu les actions conjuguées des deux explorateurs aboutir à la création, en 1886, de l'Etat indépendant du Congo« dont le seul président et trustee (mandataire) était Léopold II », roi des Belges. Et c'est en sa qualité de Consul d'Angleterre à Boma (au Congo) puis au Brésil qu'il va mener la lutte pour l'amplification de la campagne de dénonciation contre l'Etat indépendant du Congo et ensuite contre la Peruvian Amazon Company basée au coeur financier de Londres.

            Sous le prétexte fallacieux de lutter contre la traite des esclaves pratiquée par les trafiquants arabes, Léopold II « avait expédié au Congo deux mille soldats de l'armée régulière belge auxquels il fallait ajouter une milice de deux mille indigènes, dont l'entretien devait être assumé par la population congolaise ». Tant de soldats pour développer un pays ? Tant de soldats à nourrir par la population en guise de contribution à l'oeuvre civilisatrice du Congo ? Détrompez-vous ! La vérité, c'est qu'avant la ruée sur le pétrole, le développement de l'industrie automobile au XIXè siècle avait fait apparaître en Occident un grand besoin en caoutchouc pour la fabrication des pneumatiques. Et le malheur a voulu que les forêts du Congo et du Pérou abondent en arbres à caoutchouc à l'état naturel ! Il fallait donc, en Afrique comme en Amazonie, obliger les populations indigènes non seulement à abandonner leurs occupations traditionnelles pour la récolte de la sève de l'arbre à caoutchouc, mais aussi que leurs épouses et leurs enfants se chargent de nourrir les soldats et les ouvriers retenus pour la construction des routes devant permettre l'acheminement des récoltes. 

            Il est facile d'imaginer qu'aucun peuple sur terre ne peut vivre une telle loi inique sans se rebeller. Et toute la force du roman est de montrer les multiples atrocités inventées par la soldatesque du "Monarque humanitaire" pour soumettre les Congolais, et celles pratiquées sur les Indiens par la société anglaise chargée de l'exploitation du caoutchouc en Amazonie. Pour rendre les contremaîtres exigeants et cruels, les sociétés d'exploitation du caoutchouc les payaient en pourcentage des produits recueillis. Tout lecteur attentif comprend évidemment que c’est pour accroître leurs gains que ceux-ci usaient des mutilations et des assassinats à l'encontre des fugitifs et des travailleurs qui ne satisfaisaient pas les quotas imposés : des hommes et des femmes étaient publiquement décapités ou fouettés jusqu'à la mort ; on coupait les mains sans distinction d'âge ni de sexe ; on écrasait le sexe des hommes, on noyait les enfants devant leur mère ! « Chaque collecteur (de lait d'hévéa) restait quinze jours dans la forêt, laissant sa femme et ses enfants en qualité d'otages. Les chefs (...) disposaient d'eux à discrétion pour le service domestique ou pour leurs appétits sexuels ».  

            Quel monde affreux que celui de la colonisation avec l'extrême cupidité comme moteur d'action ! Au Congo comme au Pérou, la force publique du colonisateur est en effet « comme un parasite dans un organisme vivant » ; une force entretenue par des communautés qui ne comprenaient pas ce qui leur arrivait. 

            Dès le début de son travail de collecteur de témoignages pour dénoncer l'Etat indépendant du Congo, Roger Casement a établi un parallèle entre l'Irlande et le Congo : « L'Irlande n'est-elle pas aussi une colonie ? [...] pourquoi ce qui était mauvais pour le Congo serait bon pour l'Irlande ? Les Anglais n'avaient-ils pas envahi l'Eire ? Ne l'avaient-ils pas incorporée de force à l'Empire... ? »  La conscience forgée par les injustices et les souffrances des Congolais puis des Péruviens, il va, au crépuscule d'une vie minée par la maladie, s'engager dans le mouvement révolutionnaire qui s'organise en Irlande contre le gouvernement anglais au moment même où la deuxième guerre mondiale devient imminente. Mais aux yeux de l'Angleterre, c'est le combat de trop ! 

            Avec ce livre, Mario Vargas Llosa nous persuade qu' « il n'existe pas pire animal sanguinaire que l'être humain ». Il montre que dans ces périodes de colonisation où les Européens prétendaient apporter la civilisation aux autres, les "bêtes", les vrais Sauvages étaient bien les Européens eux-mêmes. Cependant, il montre par ce portrait de Roger Casement que l'Europe, ce n'est « pas seulement les policiers et les criminels (qu'ils envoient). L'Europe, c'est aussi cet esprit intègre et exemplaire » que nous découvrons en Roger Casement et que nous gagnerons à découvrir aussi dans la personne du journaliste français Edmund D. Morel qui, le premier, a entrepris la dénonciation de la perversité du pouvoir de Léopold II sur le Congo. Aujourd’hui où certains tiennent absolument à trouver des vertus civilisatrices à la colonisation, il est heureux de constater que Mario Vargas llosa met sa notoriété au service de la vérité. Dans ce roman, lui aussi fait preuve d’intégrité et d’exemplarité en dénonçant les excès de la colonisation mue par la cupidité.

Raphaël ADJOBI

Titre    : Le rêve du Celte, 520 pages    

Auteur : Mario Vargas Llosa

Editeur : Gallimard, 2011(traduction française)

              (Titre original : El sueno del Celta, 2010) 

9 juillet 2012

La chicotte, l'emblème de la colonisation

         La chicotte, l'emblème de la colonisation

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            Le mot "chicotte" désigne un fouet singulier beaucoup plus connu sous les tropiques qu'en Europe. Tel l'étendard que l'on brandit pour montrer sa fierté et son pouvoir de domination, voici la fabuleuse histoire de la chicotte, véritable emblème de la colonisation de l'Afrique et des Amériques. 

            Qui donc a eu l'idée d'inventer ce fouet terrible capable de vous déchirer la peau pour ensuite vous laisser d'horribles cicatrices indélébiles ? « Qui avait inventé cet instrument délicat, maniable et efficace, pour exciter, effrayer et châtier l'indolence, la maladresse ou la stupidité de ces bipèdes couleur d'ébène qui n'arrivaient jamais à faire les choses comme les colons les attendaient d'eux, que ce soit les travaux des champs, la fourniture de manioc, de viande d'antilope ou de cochon sauvage et autres aliments assignés à chaque hameau ou famille, ou que ce soit la levée des impôts pour financer les travaux publics entrepris par le gouvernent ? » (1)

            Un génie, celui-là ! Car la "chicotte" dépasse en efficacité du coup de fusil ou la machette qui vous prive d'un esclave. Le bâton est peu maniable. Les lianes sont capricieuses parce qu'elles éclatent et finissent par se casser en menus morceaux. La chicotte, non ! Son « inventeur, disait-on, avait été un capitaine de la force publique nommé Chicot, un Belge de la première vague [au Congo], un homme pratique, à l'évidence, et imaginatif, doté d'un sens aigu de l'observation, pour avoir remarqué avant tout le monde que de la peau très dure de l'hippopotame on pouvait fabriquer un fouet plus résistant et pernicieux que des boyaux de cheval et de félin, une corde sarmenteuse capable de produire plus de brûlure, de sang, de cicatrices et de douleur que n'importe quel autre fouet et, en même temps, légère et fonctionnelle car, nouée à un petit manche de bois, les contremaîtres, gardiens, soldats, geôliers ou chefs d'équipe pouvaient l'enrouler à leur ceinture ou la suspendre à l'épaule, sans presque se rendre compte qu'ils l'avaient sur eux tant la chose pesait peu » (2).

            Je parie que vous tremblez de frayeur en imaginant la silhouette d'un de ces porteurs de chicotte avancer vers vous. Mais continuez la lecture, sinon c'est moi qui vais vous chicoter ! 

            Bien sûr, « sa seule présence chez les membres de la Force publique produisait un effet d'intimidation : les yeux des Noirs, des Négresses et des Négrillons s'agrandissaient quand ils la reconnaissaient, le blanc, dans leur visage d'encre ou bleuté, en étincelait d'effroi à imaginer qu'à la moindre erreur ou faute, au moindre faux pas, la chicotte cinglerait l'air de son sifflement caractéristique et tomberait sur leurs jambes, leurs fesses et leur dos, en les faisant hurler » (3).

            Cet effroi dans les yeux, les nombreuses cicatrices sur le dos et sur les fesses, ce sont les marques visibles de la colonisation et de l'esclavage. Elles précèdent les mutilations.

(1), (2), (3) : Le rêve du Celte, édit. Gallimard (Mario Vargas Llosa).

 

Raphaël ADJOBI

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22 juin 2012

Le Sauvage et le Préhistorique, miroir de l'homme occidental (de Marylène Patou-Mathis)

                                    Le Sauvage et le Préhistorique,

                                     miroir de l’homme occidental

                                                (de Marylène Patou-Mathis)

Le sauvage et le Préh

             Si la parution de ce livre a échappé à l’attention de nombreux amoureux de l’histoire des sciences humaines, c’est assurément la faute de l’auteur et de son éditeur pour le choix fantaisiste de son titre. Derrière sa formulation à la fois très généraliste et poétique, Le Sauvage et le Préhistorique, miroir de l'homme occidental cache en réalité un véritable trésor : la foisonnante et passionnante histoire des théories scientifiques du XIXe et XXe siècles et leur transformation en idéologies dévastatrices dont les conséquences persistent aujourd'hui encore. En d'autres termes, Marylène Patou-Mathis explique ici la construction scientifique du racisme et de l’eugénisme (théorie de la race pure) qui ont servi de moteurs ou de justificatifs à des actions de grande envergure menées par les Européens contre les Noirs et les Juifs durant les deux derniers siècles.

            Quand il est question du racisme ou du nazisme, bien souvent les écrits nous donnent le sentiment de voir ces sujets sous un angle particulier ou comme des phénomènes circonscrits à une époque ou à un lieu. Et quand il s'agit de remonter à leurs sources, les informations s'avèrent souvent parcellaires, peu satisfaisantes ou trop générales pour servir d'arguments explicatifs dans un débat sérieux. Ainsi, dans notre société moderne, seules les expériences vécues demeurent depuis toujours les preuves les plus solides contre les négationnistes et les attitudes complaisantes à l'égard des personnes qui tiennent publiquement des propos racistes. Avec ce livre, nous remontons à la source du racisme et de l'eugénisme, idées prétendument scientifiques qui ont durablement modifié le comportement de l'Européen à l'égard de l'Autre, particulièrement le Noir qu'il a vu apparaître des confins des contrées lointaines. 

            Depuis le XVIe siècle - avec la découverte de l'Amérique et de l'intérieur de l'Afrique - l'idée "scientifique" la plus répandue était que « la civilisation est l'aboutissement d'un long cheminement marqué par des étapes successives, ayant débuté par la sauvagerie ». Dans cette vision d'une progression linéaire de l'humanité, l'homme blanc se plaçait au sommet de la chaîne, comme l'aboutissement de cette évolution, et le "Sauvage" (l'Amérindien et le Noir) relégué au premier étage visible de l'humanité. En effet, à la faveur de la grande passion de tout collecter, tout comparer et tout hiérarchiser pour trouver la diversité ou l'unité de la nature, les Européens vont hiérarchiser aussi les êtres humains.

            Dans son livre, Marylène Patou-Mathis montre que peu à peu, surtout à partir du XIXe siècle, les recherches scientifiques vont - grâce à l'esclavage et aux débats qu'il suscite - tendre essentiellement à démontrer la place des Noirs dans "l'échelle des êtres". Tout est alors bon pour charger le Noir de tout ce qui pourrait confirmer son infériorité et justifier sa mise en esclavage puis sa colonisation. Non seulement on s'efforcera de le rapprocher du singe, mais encore on fera de sa couleur qui se situe à l'opposé du blanc - considéré comme la couleur humaine parfaite - une preuve irréfutable de son caractère primitif. Il semblait donc évident d'affirmer que des êtres aussi proches de l'animalité ont une intelligence inférieure et sont incapables de pensées métaphysiques. L'auteur montre que la diffusion du livre de Darwin au milieu du XIXè siècle ne fera que dynamiser cette tendance à hiérarchiser les êtres et à inférioriser le Noir. En clair, la science biologique s'était octroyé le monopole de la définition de l'être humain.

            Il ne faut donc pas s'étonner qu'ainsi méprisés, déshumanisés, les Noirs aient subi la barbarie des Européens qui, dès lors, pouvaient pratiquer la traite et l'esclavage sans scrupule et sans remords. D'autre part, une fois convaincus de l'infériorité des peuples dits "Sauvages", coloniser leur territoire devient une entreprise civilisatrice. Pourtant, remarque l'auteur, « certaines valeurs humanistes comme les droits de l'homme ou la laïcité ne seront jamais introduites dans les colonies ». En clair, civiliser les Sauvages certes, mais il n'est pas question de les hisser sur un même pied d'égalité avec les Blancs en leur permettant de jouir des mêmes droits.   

            Le livre souligne aussi l'apparition au milieu du XIXè siècle d'une autre facette du racisme : l'eugénisme, ce néologisme inventé par Galton pour désigner la « science de l'amélioration des lignées humaines ». Cette idéologie se souciait de démontrer l'existence d'une race parfaite. C'est de cette époque que naît le concept de "race aryenne", ce peuple imaginaire idéal qui constituerait la race la plus évoluée de l'humanité ! L'Europe avait atteint, avec cette idéologie qui va passionner des groupes extrémistes (Ku Klux Klan, nazis puis néonazis et skinheads), le paroxysme de sa volonté de hiérarchiser les êtres.

            Mais n'allez surtout pas croire que les scientifiques étaient tous et toujours du même avis. Le foisonnement des théories est d'ailleurs la grande caractéristique de cet ouvrage. Le lecteur a d'ailleurs constamment le sentiment qu'il tient entre les mains un compte rendu de la chronologie des recherches scientifiques en archéologie (outils) et en paléontologie (fossiles d'animaux) avec les controverses qui les ont nourries. Malgré cette multiplicité de théories et de controverses, le livre demeure toujours passionnant ; surtout quand il touche aux méthodes de travail de l'époque. Les premiers scientifiques n'étaient nullement des hommes de terrain mais hommes de "cabinets" ou de bureaux. Leurs travaux étaient basés sur les récits des commerçants et des colons, en d'autres termes sur des récits plus ou moins fantaisistes. Afin d'illustrer leurs travaux, à partir de la fin du 18e siècle, le pillage des objets des colonies a été réalisé de manière très organisée. Derrière cette apparente volonté de faire avancer la science dans une meilleure connaissance des régions colonisées, se cachait en fait une autre réalité : ce pillage et « ces recherches scientifiques servaient avant tout à la nation colonisatrice, à forger son identité en particulier, et non à connaître les peuples lointains, l'Autre ». En clair, l'Européen s'offrait les moyens d'asseoir de manière définitive sa suprématie dans l'ordre humain. Et cela a abouti de manière très visible à cette multitude d'expositions coloniales à travers l'Europe et l'Amérique du Nord jusqu'au début du 20è siècle.

            Pourquoi donc l'auteur n'a-t-il pas intitulé son livre "La construction scientifique du racisme" ? Sans avoir entendu parler de son contenu, on peut passer à côté de cet excellent travail de recherche avec son passionnant foisonnement de théories et de contradictions. Pourtant, sur le racisme, ce livre mérite d'occuper un rang privilégié dans toutes les bibliothèques.

Raphaël ADJOBI            

Titre : Le Sauvage et le Préhistorique,

            Miroir de l'homme occidental, 399 pages

Auteur : Marylène Patou-Mathis

Editeur : Odile Jacob

11 juin 2012

Alassane Ouattara cherche désespérément une opposition pour redorer son image

                                                  A lire sur

Alassane Dramane 0003           Mes pages politiques

   Alassane Ouattara cherche

désespérément une opposition

     pour redorer son image 

9 juin 2012

Esclaves des îles françaises ou Lettre sur les Noirs de Bernardin de Saint-Pierre

                         Esclaves des îles françaises

     (ou Lettre sur les Noirs de Bernardin de Saint-Pierre)

Esclaves des îles Frç            Ce petit livre de 71 pages est une analyse de la Lettre XII, intitulée "Des noirs", extraite du Voyage à l'Îsle de France de Jacques-Henri-Bernardin de Saint-Pierre datant de 1769. Jean-Charles Pajou qui nous présente cette lettre nous donne l'occasion de découvrir un texte de l'auteur de Paul et Virginie qui nous permet d'aller beaucoup plus loin dans la connaissance de sa défense des Noirs.

            La Lettre sur les Noirs est un texte bref de 9 pages. Elle commence par la présentation de la population de l'île faite d'Indiens Malabares de Pondichéry et d'insulaires de Madagascar. Une description physique et le caractère de chacune de ces deux communautés noires sont donnés ; puis suit la narration de la vie des esclaves. Leur seul mauvais traitement montre excellemment la sauvagerie des colons. 

             Afin de frapper l'esprit de ses contemporains, Bernardin de Saint-Pierre fait usage de formules percutantes pour ponctuer chacune de ses descriptions. Pour montrer le ridicule des colons en matière de religion, on peut lire : « le soir, de retour dans leurs cases, on les fait prier Dieu pour la prospérité de leurs maîtres ». Pour souligner l'ignominie de la technique des colons pour entretenir l'esclavage : « Nous excitons parmi eux la guerre et la discorde, afin d'avoir des esclaves à bon marché ».  Ou pour montrer comment - afin d'obtenir le café et le sucre pour le bonheur des Européens - la culture de deux végétaux a fait le malheur de deux parties du monde : « on a dépeuplé l'Amérique afin d'avoir une terre pour les planter ; on dépeuple l'Afrique afin d'avoir une nation pour la cultiver ». Enfin, Bernardin de Saint-Pierre termine son texte par s'indigner de l'attitude des philosophes qui, selon lui, « (n'ont)  parlé de l'esclavage des Noirs que pour en plaisanter ». 

            C'est donc un beau texte au ton percutant que Jean-Charles Pajou nous invite à découvrir. Dans son introduction, il nous présente non seulement la vie de Bernardin de Saint-Pierre mais aussi la lettre sur les Noirs dans l'ensemble de l'oeuvre de l'auteur. Par ailleurs, la plus grande partie de ce petit livre est constituée par l'analyse détaillée qu'il donne des vues de l'auteur de Paul et Virginie sur la question coloniale au XVIII è siècle. Le lecteur appréciera les polémiques nées autour des idées de cet écrivain ainsi que les brèves histoires des îles de France (Maurice) et de Bourbon (Réunion).

Raphaël ADJOBI

Titre : Esclaves des îles françaises

(Lettre sur les Noirs de Bernardin de Saint-Pierre), 71 pages

Présentation : Jean-Charles Pajou

Editeur : Les éditeurs Libres, 2006

3 juin 2012

Entretien avec Shlomit Abel

                               Entretien avec Shlomit Abel

                              (auteur du blog RésistanCIsraël)

Je poursuis ma série d'entretiens avec, pour la première fois, une blogeuse. Il faut avouer qu'elles ne sont pas légion sur le net. Je vous invite donc à découvrir Schlomit Abel qui tient le blog "RésistanCIsraël"Shlomit Abel 0003 résolument tourné vers les actualités ivoiriennes.

1. Qui est Shlomit Abel, derrière le blog "Résistancisraël" ?

Shlomit est une femme de 55 ans qui est montée de France en Israël il y a 17 ans, avec un époux, Eliahou Abel, et 4 enfants. C’est une aventure de foi et d’obéissance, un peu folle aux yeux de beaucoup, qui nous a poussés, mon mari et moi à nous solidariser d’Israël et du peuple juif, au point de vouloir être partie prenante de son destin, il y a plus de 26 ans de cela ; un chemin d’obéissance qui nous a poussés à faire des choix difficiles, familialement, socialement, culturellement, financièrement. 

2. Pourquoi appeler "Résistancisraël" un blog totalement dévoué aux actualités ivoiriennes ?

J’ai eu l’idée du Blog, Eliahou celle de son nom : résistanCIsraël ; c’est un seul mot, avec la Côte d’Ivoire « CI » au centre ; la résistance, pour moi à l’époque c’était le mot gravé par la huguenote Marie Durand  dans le roc,  pendant sa captivité de 38 ans (trente-huit ans !) à la « tour de Constance » d’Aigues-Mortes : une résistance que rien ni personne ne peut écraser ; elle ne dépend pas des hommes, c’est une attitude, on peut être libre, même dans les chaînes, parce que le pire dictateur ne pourra pas m’empêcher de penser, de prier, de m’élever, alors qu’il ne souhaite que m’écraser, m’anéantir... 

Israël, c’était notre point d’ancrage ; “Pour que triomphe la vérité, et que de Sion soit béni, consolé et fortifié tout le peuple ivoirien”, dit l’en-tête du blog. ResistanCIsraël, c’est la Côte d’Ivoire dans sa vocation de résistance à l’oppresseur, adossée à Israël, au Dieu d’Israël.

Bien sûr, dans mon esprit, ce blog était destiné d’abord à mes amis et connaissances, chrétiennes et juives, en France et en Israël. Ce bouleversement que j’ai connu, que j’ai communiqué à Eliahou, que nous avons vécu ensemble quand la France a bombardé le palais de SEM Laurent Gbagbo, je pensais naïvement que d’autres personnes le partageraient, partageraient le même cheminement, et que ce blog s’adresserait prioritairement aux occidentaux désireux de s’informer. En fait, il est plus visité par les africains que par les blancs. Deux fois j’ai publié un article sur un site francophone israélien que j’avais écrit pour les ivoiriens, mais je ne le ferai plus. S’il y a eu quelques réactions neutres, voire positives, l’ensemble était tellement hostile, méprisant, tellement absurde, qu’il m’a fallu trois jours pour m’en remettre. 

3. Qu'est-ce qui pousse une non-ivoirienne ne résidant pas dans le pays à s'impliquer à ce point dans le combat de la "Résistance ivoirienne" ?

La Côte d’Ivoire s’est imposée à moi, à nous, aussi radicalement qu’Israël, 25 ans plus tôt ! La découverte d’une amie de France, très branchée sur Israël, puis brusquement  fiancée à un camerounais vivant à Abidjan, m’a poussée à faire des recherches sur la Côte d’Ivoire à l’automne 2010. C’est aussi à cette période, que j’ai eu des échanges très féconds avec un “journaliste” du Nouveau Courrier, l’unique ivoirien que je “connaissais” et qui a été le témoin de ces bouleversements que je vivais ! Cet ami a disparu dans la tourmente du 11 avril 2012 ; je l’ai retrouvé quelques semaines plus tard, il m’a écrit rapidement qu’il était à l’abri, en exil ; je lui ai écrit quelques fois, et puis je ne voulais pas le mettre en danger en communiquant avec lui, parce que je pense que nous sommes un peu surveillés,... et puis maintenant, beaucoup de choses sont censurées, même ici en Israël, dernière en date, l’hymne d’Éburnie qui a disparu de notre blog! 

            Mon implication dans ce combat n’est pas le seul fait de ma volonté, c’est une cause qui m’est tombée dessus, croyez moi ! Rien ne me prédisposait à l’épouser. L’hébreu, bien que nous le comprenions et le parlions,  n’est pas notre langue maternelle ; il reste difficile pour nous d’exprimer en hébreu nos convictions, nos attentes, nos nuances... avec la Côte d’Ivoire nous retrouvions le bonheur de pouvoir communiquer dans notre langue, celle de nos origines et celle comprise de tous les Ivoiriens ! 

Je n’ai jamais milité auparavant, si ce n’est pour Israël, mais jamais avec cette vigueur, cette conviction là ! En fait, c’est la justesse du combat, la personnalité du président Laurent Gbagbo, la maturité des Ivoiriens, leur réflexion, la qualité de leurs articles, leur enracinement dans la foi, qu’elle soit chrétienne ou musulmane qui m’ont mise en route.

4. Apparemment, vous avez choisi de relayer les informations que vous puisez dans des sources diverses plutôt que de publier des productions personnelles. Pourquoi ce choix ? Pourtant, votre dernière contribution à mon blog politique a retenu l'attention du Nouveau Courrier d'Abidjan. Cela ne vous incite-t-il pas à publier pour votre compte ? 

S’il est vrai que la majorité des articles publiés sur le blog sont repris d’autres sources, il m’arrive assez souvent d’écrire ; chez moi c’est généralement sous la forme d’un cri du cœur quand je lis des monstruosités ; Eliahou, c’est d’avantage des articles de fond, de réflexion. Bien souvent, le site Koaci.com  m’aide à sortir de mes gonds et me pousse à coucher sur le papier  ma révolte ! Nos articles sont souvent relayés par d’autres sites amis, et parfois même on les retrouve sur des sites du Moyen Orient, mais pas israéliens, malheureusement ; nous sommes trop anticonformistes, et la politique israélienne étant presque totalement alignée sur celle des Etats Unis...

Nous serions en vérité très heureux, mon mari et moi, de vivre de notre plume, parce que c’est un investissement énorme, si on compte le temps passé à écrire, à sélectionner des articles, les corriger, les surligner. Parfois il y a aussi des problèmes techniques...

Si je viens d’être publiée par le Nouveau Courrier d’Abidjan, c’est vous qui me l’apprenez... Par le passé déjà, - deux fois je crois -, un article paru sur d’autres sites, avait retenu leur attention ; mais ce n’est pas le journal qui me l’a appris, ce sont d’autres blogueurs ! En fait je n’y suis pas abonnée, tout simplement parce qu’en Israël la vie est très chère, et notre situation financière loin d’être mirobolante ! Mais être relayée par le Nouveau Courrier d’Abidjan, oui c’est un honneur! 

5. Que pensez-vous des blogs africains et ivoiriens en particulier ?

L’hiver dernier, au fort de la crise ivoirienne, beaucoup de blogs africains étaient solidaires de ce que j’appellerai le viol de la Côte d’Ivoire ; d’ailleurs je les remarquais souvent à cause de leur engagement aux côtés du président Gbagbo, avant de remarquer qu’ils n’étaient pas ivoiriens ! Mon premier souvenir, c’est Cameroonvoice, Lynxtogo, Ivoirebusiness… Au fil du temps, il s’est même noué une affection, sensible parfois juste par un retour, un merci chaleureux pour une contribution, des encouragements… Pareil pour beaucoup de sites ivoiriens, où des blogueurs sont devenus des amis, des confidents : regards croisés, Abidjandirect, infodabidjan, la Côte d’Ivoire Debout, les blogs français de Saper Aude et Jean Delugio. Il y en a aussi avec lesquels je n’ai aucun lien, aucun contact, peut-être se méfient-ils de moi, peut-être est-ce le fait que je sois juive, et surtout israélienne... Au delà des blogs, il y a aussi le réseau social Facebook qui fonctionne comme une plateforme d’échanges d’informations, et où se nouent beaucoup de relations chaleureuses.

6. On dit souvent que s'engager pour une cause est formateur. Pensez-vous avoir déjà tiré quelque bénéfice de votre engagement dans la "Résistance ivoirienne" ? 

Oui certainement, cet engagement m’a ouvert les yeux sur une réalité insoupçonnée : celle d’un militantisme où il n’y a pas d’un côté ma vie privée et de l’autre les choix politiques. Étant bien entendu que ces choix sont déterminés moins par l’opposition droite-gauche – nous savons malheureusement ce qu’il en est, en France de la « gauche caviar », celle de BHL, de Jack Lang ou de Fabius… -, que par l’opposition vérité-mensonge, justice-injustice. Il en est de même en Israël, où, au fil des alternances politiques, ce qui ressort avant tout, ce sont des intérêts à sauvegarder, une indifférence presque totale à la pauvreté, à la misère et à l’injustice, des promesses jamais tenues, l’ajournement sans fin des mesures destinées au mieux être des populations fragiles.

Depuis que je suis entrée en résistance ivoirienne, je ne suis plus la même: j’ai découvert le mensonge, la fraude, la corruption et l’esclavage érigés en raison d’état !

La parole « Consolez, consolez mon peuple »,(Ésaïe 40) avait scellé mon engagement aux côtés d’Israël, quarante ans après la shoah, parce que j’avais besoin d’apporter ma réparation, une bien piètre contribution par rapport à tout le gâchis qui avait été commis, mais voilà je ne pouvais plus tourner les yeux vers le seul crucifié alors que j’avais découvert tout un peuple crucifié par ceux là même qui s’érigeaient en censeurs et qui lui avaient volé sa place ! 

« Plus jamais cela », et voilà que la France - que l’on ne peut à ce moment-là accuser d’antisémitisme puisqu’elle  vient d’être  victime de la barbarie nazie -, met en place le 25 décembre 1945, le franc CFA qui va plomber sans aucune chance de s’en sortir les colonies françaises d’Afrique - comme cadeau de Noël - à la sortie de ce traumatisme d’une guerre mondiale qui n’a pas épargné beaucoup de familles ; ça vous douche, et vous enlève vos dernières illusions!

Depuis que je suis enfant, un texte biblique a toujours été présent à mes côtés, c’est Michée 6, v. 8 « On t’a fait connaître ô homme ce qui est bon et ce le Seigneur demande de toi, c’est de pratiquer la justice, d’aimer le bien et de marcher humblement avec ton Dieu.» J’ai l’impression de le vivre pleinement dans mon engagement avec la Côte d’Ivoire. A travers lui, je renoue tout simplement avec mon véritable appel, celui d’être au service du Dieu Créateur et libérateur, et ce, depuis Israël qui est si important pour beaucoup d’ivoiriens. Avec eux et le président Gbagbo, j’ose le pari d’affirmer qu’avec Dieu, le Dieu d’Israël, il est possible de remporter la guerre contre le néo nazisme de l’Occident, contre cet asservissement totalement indigne d’une France qui a dévoyé des expressions aussi nobles qu’ « ingérence humanitaire », « communauté » internationale, pour désigner, comme lors de la conférence de Wannsee en 1941, en version déguisée, la plus horrible des dictatures en marche, qui déshumanise l’homme pour mieux l’avilir et le dépouiller. 

Je ne suis rien, je veux simplement proclamer cette vérité qui vient de Sion, cette justice qui vient d’en Haut et qui va rétablir le peuple de Côte d’Ivoire dans son droit, lui ramener son Chef. Comme dit dans l’entête du blog, depuis Jérusalem “bénir, consoler, fortifier”, c’est mon unique ambition ; et par delà mon engagement, c’est moi qui ai été infiniment comblée dans cette quête de sens pour ma vie et celle des Ivoiriens qui veulent que justice leur soit faite, ici et maintenant. 

Entretien réalisé par

Raphaël ADJOBI

28 mai 2012

Exhibitions, l'invention du sauvage

                               L’invention du sauvage

       et les exhibitions coloniales ou zoos humains

numérisation0001            Le dimanche 3 juin 2012 s'achèvera l'exposition "Exhibitions, l'invention du sauvage" au musée du quai Branly. Toutes mes excuses à mes lecteurs - surtout à mon amie et blogueuse Liss qui vient de la visiter -  pour cette présentation tardive de cet événement. Que ceux qui peuvent encore effectuer le déplacement y courent car il vaut et mérite une halte.   

            C'est la lecture de "Le sauvage et le préhistorique, miroir de l'homme occidental" de Marylène Patou-Mathis qui m'a permis de prêter attention à cette exposition qui a débuté le 29 novembre 2011. Et c'est avec beaucoup d'enthousiasme que je l'ai visitée trois semaines plus tard. Ceux qui n'ont pas osé y aller ou qui hésitent à le faire devraient franchir le pas sans plus attendre. Cette exposition est à mon avis, l'une des plus belles que la France organise dans le cadre de l'évocation de son passé colonial. 

            Si l'exhibition publique des singularités ou des malformations humaines a participé aux succès des foires en Europe et aux Etats-Unis au début du 19è siècle, la construction scientifique du racisme pour justifier l'esclavage avait orienté le regard de l'Européen vers les contrées nouvelles comme l'Afrique, l'Océanie et le Nouveau Monde. Avec la fin de la traite atlantique et l'avènement des expansions coloniales, - vers la fin de la deuxième moitié du 19è siècle - une nouvelle passion s'était emparé de l'Europe : l'étalage de son empire par des expositions coloniales ! Partout en Europe, des milliers d'Africains, d'Indonésiens et de natifs des Amériques étaient exhibés dans des foires que les états organisaient pour montrer à leurs populations la grandeur de leur oeuvre civilisatrice. Tout cela contribuera, bien sûr, au sentiment de supériorité que certains Blancs manifestent encore aujourd'hui dans des discours qui semblent remonter à un autre âge. 

            Aujourd'hui, le succès de "Cannibale" de Didier Daeninckx, qui a pour cadre l'une de ces expositions coloniales avilissantes pour tous ces êtres venus des continents lointains, montre la curiosité des jeunes français pour un passé de leur pays qu'ils n'ont pas l'occasion de découvrir dans les programmes d'enseignement de l'histoire et de la géographie. Par ailleurs, le retentissement de La Venus noire (film d'Abdellatif Kechiche) a permis pour un temps à la France entière de s'étonner de la passion étrange que l'homme blanc manifestait à l'égard de son semblable de couleur différente. 

numérisation0013            Mais comme à chaque époque les hommes se disent avoir acquis une moralité supérieure à leurs prédécesseurs, ils s'enfoncent sans le savoir dans d'autres formes de mépris de l'Autre. La connaissance de cet état de chose doit nous inciter à la vigilance. Et le rôle d'une exposition comme celle que le musée Branly propose depuis six mois est d'interpeller chacun sur l'état de sa propre conscience par rapport à son semblable, à son voisin différent par sa couleur ou sa culture.

Raphaël ADJOBI

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