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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
29 juillet 2010

Sékou Touré, Patrice Lumumba, mes étoiles des indépendances africaines (1)

                   Sékou Touré, Patrice Lumumba,

 

      mes étoiles des indépendances africaines (1)

 

            J'ai toujours considéré injuste le sort qui est réservé à Sékou Touré dans l'histoire de l'Afrique. Ignoré, Oublié. Quand j'ai été quelque peu instruit de l'histoire de Patrice Emery Lumumba, je me suis dit que ces deux hommes mériteraient d'être élevés au rang d'idoles de la lutte pour les libertés en Afrique. Mais approchant les tableaux de plus près, j'ai dû tempérer mes ardeurs idolâtres à l'égard de l'homme de Conakry avant de découvrir la grandeur de son combat pour la dignité de l'homme africain. Pour en arriver là, j'ai considéré les contextes et les discours qui ont causé la perte de l'un et de l'autre.

 

 

S_kou_Tour__2 Sékou Touré : C'est le 25 août 1958 à Conakry devant le général de Gaulle en tournée pour proposer aux chefs d'Etats africains son projet de Communauté franco-africaine que Sékou Touré va devenir célèbre avec sa formule « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à l'opulence dans l'esclavage ». Pendant longtemps, comme bien d'autres certainement, je m'en suis tenu à cette formule pour lui tresser des lauriers. Mais en lisant la totalité du discours, on peut vraiment se demander ce que recherchait l'homme.

 

            Partant de l'éloge de la résistance française au nazisme qu'il qualifie de « force du mal », Sékou Touré fait entendre à son hôte que les Africains sont passionnés par les valeurs essentielles qui ont animé la France durant la deuxième guerre mondiale : la Liberté et la Dignité. Raisons pour lesquelles l'Afrique s'est jointe « sans justification apparente » au combat de la France.

 

            Je pense sincèrement que dès ce préambule, de Gaulle avait compris ce à quoi Sékou Touré voulait en venir. Dès lors, il a dû commencer à trouver ce discours long et lassant en attendant les termes clairs et définitifs de la décision du chef guinéen.

 

            Sékou Touré fait ensuite le procès des « structures économiques et politiques héritées du régime colonial » qui ont freiné, selon lui, « l'épanouissement des valeurs de l'Afrique » et créé par la même occasion « le désordre moral ».  Propos audacieux et presque irrévérencieux pour ce qui est de l'expression « désordre moral » jeté à la face de son hôte. « Nous voulons corriger fondamentalement ces structures », assure-t-il. Hâtons-nous d'en finir, a dû se dire le président français.

 

            Mais Sékou Touré ne veut pas aller droit au but ; et comme pour adoucir le coup final, il parle de « la nécessité de rechercher les voies les meilleures (d'une) émancipation totale ». De Gaulle a dû se dire « pas avec moi ! » Puis l'orateur se montre philosophe parlant des multiples aspects du bonheur pour retenir le premier de tous, du moins celui qu'il croit être propre aux Africains, qui est la Dignité. « Or, il n'y a pas de Dignité sans liberté, car tout assujettissement, toute contrainte imposée et subie dégrade celui sur qui elle pèse, lui retire une part de sa qualité d'homme et en fait arbitrairement un être inférieur. NOUS PREFERONS LA PAUVRETE DANS LA LIBERTE A L'OPULENCE DANS L'ESCLAVAGE. » 

 

            Je suppose aisément qu'à partir de cet instant, le général de Gaulle n'a plus écouté l'orateur. Une fois la volonté d’indépendance clairement exprimée et entendue, son esprit a dû se focaliser sur les moyens à mettre en oeuvre pour donner une leçon à ce « prétentieux » de Sékou Touré. On a du mal à imaginer que devant unchef d'Etat considéré comme ami on puisse lancer de telles paroles. Insolence ? Manque de diplomatie ? Volonté de se faire remarquer comme un original ? On pourrait croire qu’il ya un peu de tout cela dans le comportement de Sékou Touré. J’avoue l’avoir cru aussi.

 

                       C'est seulement à la fin de son discours que l’homme de Conakry va donner sa réponse au projet de Référendum prévu pour le 28 septembre et pour lequel Charles de Gaulle a fait le déplacement en Guinée. Ce projet d'une communauté franco-africaine, Sékou Touré n'en veut pas parce qu'il n'est, selon lui, qu'un déguisement de l'empire colonial français. Aussi, il dit « NON de manière catégorique à tout aménagement du régime colonial ». Pourtant, il n'envisage pas la « solution destructive d'une séparation ».  « Nous sommes Africains et nos territoires ne sauraient être une partie de la France. Nous serons citoyens de nos Etats africains, membres de la communauté franco-africaine ». Des états africains indépendants mais librement associés à la France ; voilà ce que voulait le chef guinéen.

 

            Ce que proposait Sékou Touré, c'est ce qui sera finalement accordé aux états africains à partir de 1960 : l'indépendance des pays francophones sous contrats privilégiés avec la France. Mais puisqu'il a osé avoir eu raison trop tôt, on le lui fera payer très cher.

 

 

                                                          La punition

 

            Dans son allocution, le leader guinéen avait souligné que l'un des « attributs de souveraineté » était la monnaie ; attribut qui serait confisqué par le projet de Communauté franco-africaine que proposait Charles de Gaulle. Aussi, avait-il dans le secret fait frappé des billets guinéens par l'intermédiaire de l'Angleterre. Mais les blancs sont bien solidaires. Dès le lendemain de la mise sur le marché de cette monnaie, la France inonde la Guinée de faux billets de banque faisant ainsi capoter le rêve de Sékou Touré qui passa donc le plus clair de son temps à séparer le vrai du faux. Voilà, comment on assassine un pays pour ensuite accuser ses gouvernants d'être des incapables. Il m'a fallu une émission de la radio France Inter pour le savoir. Comme si cela ne suffisait pas, comme au temps de l'esclavage, - pas très lointain - la France a, ensuite, encouragé des oppositions au leader guinéen et les a armées. La réponse de Sékou Touré fut sanglante ! A partir de ce moment, l'homme a commencé à tirer sur tout ce qui bougeait hors de ses projets. Pour bien faire, on l'affubla de l'adjectif « paranoïaque ». Alors pendant un temps, la France envisagea s'appuyer sur la Côte d'Ivoire pour une intervention en Guinée. Mais nul ne sait pourquoi ce projet n'a finalement pas vu le jour.

 

            Force est de constater que la France a empêché Sékou Touré de montrer ce dont il était capable par pur ressentiment à son égard d’abord, ensuite pour éviter que le succès de son entreprise n’entraîne d’autres pays dans son sillage. C’est d’ailleurs la première règle que tous les colons appliquent aux colonisés, tous les dominateurs aux dominés. Hier comme aujourd'hui, les pays européens se sont appliqués et s'appliquent à faire en sorte que les rêves d'émancipation des pays pauvres se transforment en cauchemar. Sékou Touré n’est donc pas responsable de l’échec de son projet d’émancipation. La France et les valets guinéens qu’il a suscités en sont les premiers responsables. S_kou_Tour__3

 

 

                          Les raisons du ton du discours de la discorde

 

            C'est plusieurs années plus tard, sous François Mitterrand, que Sékou Touré va pouvoir expliquer le ton ferme et presque irrévérencieux de son discours d'août 1958. Les copies de sa conférence de presse devant les journalistes français circulent aujourd'hui dans les Kiosques du sud de la Côte d'Ivoire. Sékou Touré y est excellent, clair, méthodique... et lassant parce que toujours trop long. Heureusement que j'ai eu connaissance de cet enregistrement ; sinon je m'en serais tenu à mon premier sentiment et aurais fait de l'homme un insolent, un prétentieux.  

 

            Ce que l'on peut retenir, c'est que tous les partis africains francophones avaient, à l'époque coloniale, demandé à ce qu'il soit noté dans le projet de Référendum sur la nouvelle communauté franco-africaine « que les pays africains seraient libres, le moment venu, d'évoluer vers l'indépendance. » Devinez qui était le rapporteur de la réunion des partis africains proposant cette clause à Charles de Gaulle ? Sékou Touré ! Mais le général de Gaulle a estimé sa position, et donc son projet, non négociable ; « la constitution même lointaine de self-governments est à écarter » (Conférence africaine française de Brazzaville / 30 janvier- 8 février 1944 /Paris, 1945 ; cité par Jacques Dumont, in « L'amère patrie », p. 120, éd. Fayard). A Brazzaville, en réponse aux partis africains, le général réaffirme la souveraineté inconditionnelle et non négociable de la France : « Il appartient à la nation française et il n'appartient qu'à elle de procéder le moment venu aux réformes impériales de structure qu'elle décidera dans sa souveraineté. »(Cité par Jacques Dumont, in « L'amère patrie », p. 120). Quelle arrogance ! Quel mépris ! Quelle France fière de sa puissance et de son autorité !

 

            C'est donc clairement face à cette fermeté de Charles de gaulle et devant l'attitude de ses amis africains qui pliaient l'échine que Sékou Touré a pris ses responsabilités pour dire que la demande dont il est le rapporteur est également non négociable ! Voilà donc ce qu'il faut savoir pour comprendre le discours d'août 1958 ; un discours de combat pour l'indépendance de l'Afrique. C'est un devoir pour tous les Africains de ne pas oublier le combat de celui qui n'a jamais voulu renoncer à sa dignité devant l'arrogance et le mépris de la France. En brisant le projet de Sékou Touré pour ne pas voir paraître son rayonnement, c'est la vraie indépendance de l'Afrique que de Gaulle a confisqué et que ses successeurs s'emploieront à entretenir. Quant à ceux qui persisteraient à rendre Sékou Touré seul responsable de l'échec de son pays, malgré les détails historiques que je donne ici, je répondrais en paraphrasant notre ami Rudy Edme (blogueur haïtien) que ce n'est pas parce qu'un pays a fracassé son destin qu'il n'avait pas le droit de se révolter. 

 ° Sékou Touré, Patrice Lumumba (2)

Raphaël ADJOBI

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26 juillet 2010

Côte d'Ivoire : le combat de Théophile Kouamouo, arrêté pour "vol" de document administratif

Côte d'Ivoire : le combat de Théophile Kouamouo,

   arrêté pour « vol » de document administratif 

               Th_ophile_Kouamouo Au moment où je mets ce billet en ligne, j'ignore tout du déroulement du procès devant fixer le sort du journaliste Théophile Kouamouo et de ses deux confrères arrêtés à Abidjan suite à la révélation, dans Le Nouveau Courrier (n° 043 du mardi 13 juillet 2010 et jours suivants), du "livre noir de la filière café-cacao". Verdict aujourd'hui 26 juillet 2010 ?

            Le 13 juillet, alors en vacances en Côte d'Ivoire depuis une semaine, j'achète pour la première fois un numéro du Nouveau Courrier. Ne me souvenant pas du nom du journal, j’avais demandé à la libraire : « n'avez-vous pas le journal de mon ami Théophile kouamouo ? » Après avoir trouvé l'objet grâce à l'un des vendeurs plus au fait des publications, elle me le tend en disant : « parmi tous les journaux que vous voyez, vous n'achetez que celui de votre ami ? » Sourires ! Du journal acheté au Plateau (quartier des affaires), je ne lirai que l'éditorial de Théophile Kouamouo, « Indépendants... grâce à vous ! » et quelques éléments du « dossier noir de la filière café-cacao (1) ». Je m'étais même promis d'acheter les deux numéros suivants afin d'avoir la totalité de ce dossier. Malheureusement, les vacances ont eu raison de mon désir. Mais toute la journée, c'est le contenu de l'éditorial qui m'a poursuivi. J'étais sûr de tenir là des éléments qui me serviront un jour contre les Africains qui ne tarissent pas d'éloge à l'égard de la presse française, et contre les journalistes français méprisants quand il s'agit de parler de leurs confrères africains qu’ils jugent moins professionnels.

Th_ophile_Kouamouo_2            La veille de mon départ pour la France, le 20 juillet, j'achète - à Bonoua - un autre numéro du Nouveau Courrier sans même jeter un regard à sa Une. Deux jours après,  en France, c'est sur Internet, grâce au Pangolin, puis à Gangouéus, que je découvre l'arrestation de Théophile Kouamouo. Je cours aussitôt à ma valise non encore totalement défaite et en sors mes deux journaux ! J'avais l'information à portée de main depuis la Côte d'Ivoire dans le dernier numéro acheté !

            Je ne voudrais pas ici m'attarder davantage sur ma négligence due certainement à mon esprit de vacancier remettant toutes mes lectures à plus tard. Je voudrais tout simplement joindre ma voix à mes amis internautes (Le pangolin, Gangouéus, Hilaire, Africanus) pour dire mon soutien à Théophile et à ses confrères dans l'épreuve qu'ils traversent et que j'espère de courte durée. Toutefois, je voudrais pousser plus loin mon propos en soulignant un fait qui me semble d'une grande importance. Généralement, les héros meurent par ce qui a fait leur gloire ; et parce qu'ils n'ont pas voulu changer d'esprit et de combat au moment de leur perte, ils demeurent des héros dans nos coeurs.

            Ce qui a fait la réputation de Théophile Kouamouo aux yeux des Internautes et de bon nombre de ses lecteurs, c'est le refus d'abdiquer devant les ennemis de la vérité souvent partisans de « la Ligne éditoriale » qu’affectionnent les journaux français. C'est ce combat qu'il menait encore dans son article « Indépendants... grâce à vous ! » évoqué plus haut. Il y parle de la liberté de presse aujourd'hui menacée en France - pour ne pas dire inexistante - par le fait que le journal Le Monde, considéré par tous comme le repère de la liberté en matière de journalisme,  venait d'être racheté en ce mois de juillet 2010 « par un conglomérat privé. Un conglomérat dans lequel on retrouve Pierre Bergé, figure de l'industrie du luxe en France et mécène - qui a apporté son soutien lors de la dernière présidentielle à la socialiste Ségolène Royale - ; Xavier Niel, entrepreneur médiatique qui possède le fournisseur d'accès Internet Free ; et Mathieu Pigasse, banquier. »

            Ce que notre ami Théophile Kouamouo dénonce, c'est le fait qu'aujourd'hui, tous les grands journaux français soient entre les mains de conglomérats privés. Un phénomène occidental qu'il juge dangereux pour la démocratie. En effet, pour être indépendant, un journal doit être contrôlé par ses journalistes, « eux-mêmes regroupés dans une société de rédacteurs ». Au regard de la perte de liberté que vivent les journalistes français, Théophile Kouamouo souligne que la presse ivoirienne souvent considérée comme acquise à la cause des hommes politiques et donc moins professionnelle et indigne d'intérêt « est dans son ensemble plus libre et plus diversifiée que la presse française ». C'est sans doute de cette extrême liberté que proviennent d'ailleurs ses excès. Par contre, la Valse des journalistes français actionnée à distance par les hommes politiques par l'intermédiaire des grands patrons n'est pas ce que vivent les journalistes Ivoiriens. Ce phénomène très connu dans la presse télévisée que l'article « Rire et sanctions » du Nouvel Observateur du 1er au 7 juillet 2010 souligne touche aujourd'hui tous les grands journaux français, sans exception.

            Il convient donc de ne voir dans leur entêtement à ne point révéler la source de leur information que la volonté de Théophile Kouamouo, de Saint-Claver Oula et de Stéphane Guédé, de rester attachés à la liberté de la presse ivoirienne. Ce qu'ils vivent ne doit absolument pas être interprété comme un manque de liberté de la presse en Côte d'ivoire mais bien le contraire. C'est parce que ces jeunes journalistes sont convaincus d'exercer leur métier comme il convient dans une réelle démocratie qu'ils restent fidèles aux règles qui régissent le journalisme. D'ailleurs, selon Le Nouveau courrier du 20 juillet 2010, « le gouvernement ivoirien souhaite la libération des trois journalistes emprisonnés ». C'est donc au pouvoir judiciaire de ne pas se montrer trop zélé à satisfaire les désirs des prétendus « grands » du pays qui, n'ayant pas d'autorité sur des journalistes indépendants chercheraient à les atteindre par le pouvoir qu'ils peuvent exercer sur certaines branches de la Justice. Les journalistes n'ont commis aucun cambriolage, n'ont subtilisé aucun document. Doivent-ils être condamnés pour violation de l'article 73.3 de la loi de 2004 sur la presse stipulant que « la diffusion d'information, même exacte, est interdite si elle se rapporte au contenu d'un dossier de justice non encore évoqué en audience publique » ? (communiqué du CNP, publié par Le Nouveau Courrier du 20 juillet). Doivent-ils se taire quand une information leur tombe entre les mains ? Les journalistes ivoiriens sont déjà dans la démocratie par leur liberté de parole et d’enquête ; aux « grands » et aux différentes institutions du pays de les rejoindre.

Raphaël ADJOBI

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