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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
24 décembre 2016

Bug-Jargal (Victor Hugo)

                                                        Bug-Jargal

                                                       (Victor Hugo)

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            Ce roman de Victor Hugo n'est certainement pas celui que ses grands lecteurs préfèrent ou préfèreront. C'est un roman de jeunesse qui, bien que remanié et étoffé quelques années plus tard, porte de manière trop forte le goût romantique de son époque. L'effusion des grands sentiments atténue considérablement la vigueur de l'esprit révolutionnaire que l'on s'attendrait à y trouver.

            Bug-Jargal est en effet l'histoire romancée de la révolution en Haïti, alors Saint-Domingue. Nous sommes précisément en 1791 et même les esprits les plus prompts à s'alarmer ne s'attendaient pas à la révolte des esclaves noirs. "On méprisait trop cette classe pour la craindre" ; aussi l'a-t-on exclue du champ d'action de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Mais, deux ans plus tard, "la vengeance [...], ce fruit amer qui murit si tard" finit par devenir un volcan en ébullition.

            Pour nous plonger au cœur de la société des esclaves en révolte et nous faire découvrir à la fois leurs stratégies et leurs antagonismes, Victor Hugo fait de son héros un jeune soldat blanc prisonnier des insurgés.  Et dans cette société à feu et sang, il fait dominer l'image de Bug-Jargal, un colosse noir plein d'humanité et de grandeur et qui chante des sérénades à une Blanche dont il est amoureux ; peinture surprenante à une époque où le mépris qui animait le cœur des Blancs ne leur permettait pas de prêter aux Noirs des sentiments nobles.

            On retiendra aussi que la peinture de l'omnipotence et de la violence des chefs régnant dans les camps des insurgés faite par Victor Hugo tend à discréditer leur force, leur puissance ainsi que la grandeur de leur idéal. Cependant, la victoire sur l'armée française de bandes de révoltés subissant la tyrannie de leurs chefs prouve bien la faiblesse d'une France incapable de surpasser sa suffisance  et se complaisant dans une politique de terreur consistant à décapiter des Noirs. 

            Malgré le romantisme et ses grands sentiments qui prennent beaucoup de place, Bug-Jargal est un roman au style agréable et plein de détails historiques très instructifs quant aux pratiques des colons et leur rôle dans la politique française qui a conduit à l'embrasement de l'île appelée alors la "perle des Antilles".

Raphaël ADJOBI

Titre : Bug-Jargal, 327 pages (L'image illustrative ne correspond pas à l'édition lue)

Auteur : Victor Hugo

Editeur : L.G.F, collection Les classiques de poche, 2016.

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19 décembre 2016

Les Etats-Unis n'ont pas aboli l'esclavage ; ils l'ont fait évoluer

   Les Etats-Unis n'ont pas aboli l'esclavage ; il 'ont fait évoluer

LE 13e

            Sans doute que vous faites partie de ces millions de personnes convaincues qu’il y a aux Etats-Unis plus de prisonniers noirs que blancs parce que les premiers commettent plus de délits. Détrompez-vous ! « Juste après la guerre de Sécession (1861–1865) , les Afro-Américains étaient déjà arrêtés en masse pour des délits mineurs et forcés de travailler pour reconstruire le pays ». Aux dires de la réalisatrice du documentaire LE 13e – Ava DuVernay – cette pratique a été favorisée par le fantasme blanc selon lequel le Noir est dangereux (1). C’est d’ailleurs cette idée du Noir barbare qui a été popularisée au début du XXe siècle par le film Naissance d’une nation et donné une ardeur nouvelle au Ku Klux Klan.

            En effet, sans ce fantasme, comment pourrions-nous comprendre la ségrégation raciale et les diverses politiques de criminalisation des Noirs. C’est justement ce qu’Hélène Marzolf qui a vu le film LE 13e explique dans son bel article publié au début du mois de décembre dans Télérama. « Nixon a pourchassé les leaders des mouvements des droits civiques et exploité la guerre contre la drogue pour décimer la communauté noire. Logique poussée ensuite à son paroxysme avec Reagan, qui a notamment pénalisé lourdement le crack » puisqu’il l’a fait considéré comme un instrument génocidaire. En d'autres termes, dans les quartiers pauvres des Noirs, ceux qui en fument commettent un génocide et méritent une longue peine de prison. Enfin comme si cela ne suffisait pas, c’est Bill Clinton qui va faire exploser le nombre de Noirs incarcérés dans les années 1990. Il paraît qu’il reconnaît cette responsabilité aujourd’hui.

            Selon Hélène Marzolf, LE 13e montre excellemment « les intérêts économiques à l’œuvre derrière cette stratégie du bouc émissaire », derrière ces politiques de criminalisation des Afro-Américains. En faisant passer des lois augmentant le nombre de condamnations et la durée des peines, on favorise les activités économiques de certaines sociétés privées ! Elle cite la responsable de la justice des mineurs, Kyung-Ji KateRhee, qui explique la situation en ces termes : « Tout a été programmé pour assurer un arrivage régulier de détenus afin de générer du profit pour les investisseurs ».

            Le constat de l’état de ce pays, considéré comme le leader du monde libre, que fait la journaliste est finalement celui-ci : « Aujourd’hui, un Noir sur trois risque de se retrouver derrière les barreaux au cours de sa vie, pour un blanc sur dix-sept » ! Oui, vous avez bien lu ! Un Américain noir sur trois est condamné d’avance à faire de la prison. Tout est programmé d’avance, de telle sorte qu’aujourd’hui « il y a plus d’Afro-Américains sous supervision pénale que d’esclaves dans les années 1850 ».

            Il faut le dire haut et fort : les blancs qui ont fait les lois y ont volontairement laissé des failles suffisantes dans lesquelles ils peuvent s’engouffrer allègrement et se comporter en criminels en toute légalité. Ainsi, le 13e amendement de la Constitution américaine abolit la servitude sauf – retenez bien cette précision  – « pour un crime dont l’individu aura été dûment déclaré coupable ». Tu commets un délit, tu es reconnu coupable donc on peut t’appliquer la servitude, pour ne pas dire l’esclavage. « Peu de gens mesurent à quel point le passé esclavagiste des Etats-Unis est destructeur, omniprésent et handicapant » (Bryan Stevenson).

(1) :  Le documentaire n'est disponible que sur NETFLIX

(2) : Bryan Stevenson, avocat et militant noir, entretien publié dans le Courrier international de septembre-octobre-novembre 2016).

Raphaël ADJOBI    

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