Black boy (Richard Wright)
Black boy
(Richard Wright)
Black boy est-il un roman ? De même qu’il est impropre de dire que Les confessions de Jean-Jacques Rousseau est un roman, de même l’on peut dire que cette œuvre célèbre de Richard Wright n’en n’est pas un. Il conviendrait d’ajouter un qualificatif au mot roman pour mieux la définir. Black boy est en effet un récit autobiographique d’une profondeur difficilement égalable compte tenu des multiples analyses et réflexions sur la nature de l’homme, du Blanc et du Noir et de la complexité des relations qu’ils entretiennent dans un Sud américain construit dans la violence et la suprématie blanche et qui n’offre à la postérité que « son héritage de crimes et de sang » et son fardeau d’angoisse pour les opprimés.
En lisant ce livre, toute personne noire ou « racisée » ne peut s’empêcher de se poser cette question : qu’est-ce que ça fait aux Blancs de ce XXIe siècle de voir vivre à leurs côtés des Noirs sur lesquels leurs ancêtres avaient le droit de vie et de mort ? Il semblerait que certains propos qui parfois leur échappent comme des escarbilles d’un feu mal éteint ne seraient que la preuve de la nature profondément méchante de l’homme blanc que les règles des sociétés modernes ont du mal à transformer. Et celui qui, comme Richard Wright, vit dans une société où cette nature blanche s’exprime sans frein ne peut que constamment se demander « ce qui rend les Blancs si méchants ». Du début à la fin de cette œuvre, il cherche à sonder la profondeur du cœur et de l’esprit de l’homme blanc pour savoir "où se donne le branle" de sa méchanceté, en d'autres termes où réside l'impulsion initiale semblable à une bile qui empoisonne l'esprit du Blanc.
Le Blanc serait-il fait pour vivre méchant ? Dans ce Sud américain, quand un Noir meurt, on dit simplement qu’il « avait été pris par la mort Blanche, ce fléau dont la menace était suspendue au-dessus de la tête de chaque mâle noir ». C’est encore ce que se disent de nombreuses familles noires dans les Etats-Unis de ce XXIe siècle où des Blancs s’engagent dans la police pour pouvoir perpétuer légalement et donc impunément une tradition de verseur du sang des Noirs.
Et ce fléau a, peu à peu et imperceptiblement modelé le comportement des Noirs au point de lui avoir donné une réalité tangible que chaque lecteur découvrira dans les personnages de Shorty capable de recevoir volontairement des coups de pied pour de l’argent, et de Harrison qui, pour le même but, accepte de se battre à la demande des Blancs contre un autre Noir qui ne lui a rien fait. L’un et l’autre symbolisent tous les Noirs qui ont intégré le racisme comme un jeu de rôle traditionnel ; un jeu de rôle dont les règles sont tracées par des Blancs qui vous font comprendre clairement que vous vivez dans une culture blanche et non dans une civilisation à dimension humaine, que vous vivez dans « un pays où les aspirations des Noirs sont circonscrites, délimitées ».
Mais Black boy n'est pas que cela ; c'est un livre aux facettes multiples : réflexions sur le pouvoir de la lecture, sur l’éducation religieuse, sur la relation entre le pouvoir et la religion, sur le pouvoir de la faim sur les corps et l’esprit, sur certaines inclinations attachées à l’homme noir comme le vol et le mensonge qui méritent d’être connues de tous… Aussi, aux enseignants des lycées et des universités, je demande d’oublier Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau au moment de choisir pour la jeunesse l’étude d’un ouvrage autobiographique. Ne pas préférer Black boy, c’est accepter de vivre dans un monde où l’autorité de l’Etat et la tradition sont tout et l’intelligence et la perception des faits ne seraient rien.
°J'avais promis à Liss Kihindou de commencer par "Un enfant du pays" du même auteur. Promesse non tenue parce que j'avais "Black boy" sous la main.
Raphaël ADJOBI
Titre : Black boy, 445 pages.
Auteur : Richard Wright
Editeur : Gallimard, collection Folio, 1985.