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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
26 janvier 2018

Ouvrir la voix (Amandine Gay) et l'association La France noire

                                          Ouvrir la voix

                                           (Amandine Gay)

images Ouvrir la voix

Le cinéma Agnès Varda de Joigny nous a permis de voir, le dimanche 21 janvier, "Ouvrir la voix", le documentaire de Amandine Gay sur le vécu quotidien des françaises noires dans une France dont la norme est la couleur blanche.

            Ce documentaire qui donne la parole aux femmes françaises et belges nous permet de découvrir les multiples facettes du racisme qui jalonnent leur vie. Des mots de rejet des camarades de la maternelle qui vous marquent pour la vie, à ceux plus sournois qui vous ferment les portes de certains circuits professionnels, en passant par les mots qui animalisent et chosifient, ce film-documentaire est un vrai miroir tendu à la majorité blanche de notre pays. Trop souvent, nous vivons avec des personnes qui ignorent totalement que leurs gestes, leurs mots, les normes qu'ils affectionnent et défendent sont pour ces femmes noires de vraies meurtrissures. A leurs yeux, une femme noire n'a rien à voir avec une femme blanche ! Leurs mots le montrent, le prouvent.

Amandine Gay - Docum

            Ce film-documentaire mérite d'être accompagné d'un débat à chaque projection ! Il est tout à fait frustrant de rentrer chez soi après l'avoir vu sans avoir échangé avec quelqu'un, sans savoir comment il a été reçu par nos compatriotes blancs.

            Retenons tout simplement que de la même façon que l'on n'en faisait pas assez pour les handicapés ou pour ceux qui ont une orientation sexuelle différente, de même il n'y a pas assez d'éducation pour enrailler le racisme. Le sage dit que la nature a créé des différences mais que c'est la société qui en fait des inégalités. Il convient donc d'apprendre à mieux connaître l'autre pour respecter sa différence.

            L'association La France noire envisage une projection-débat de ce film documentaire à Joigny dans le courant de cette année 2018 avec la participation des lycéens.    

Raphaël ADJOBI 

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23 janvier 2018

Le procès de l'Amérique (Ta-Nehisi COATES)

                                   Le procès de l'Amérique

                                           (Ta-Nehisi Coates)

Le proècès de l'Amérique

            Assurément, Toni Morrison a raison de voir en Ta-Nehisi Coates le digne successeur de James Baldwin, l'auteur de La prochaine fois le feu. En effet, d'une œuvre à l'autre, la voix de Ta-Nehisi tonne juste. Dans Le procès de l'Amérique, cette voix "dévoile les astuces et les artifices qui embrouillent, et laisse apparaître la cohérence et les finalités de ces organismes privés ou parapublics, ayant pour mission [...] d'épargner à l'Amérique blanche une promiscuité dont les effets les plus redoutés ne sont pas le métissage, mais la dévaluation immobilière et [...] l'inquiétant sentiment d'égalité que pourraient éprouver les Noirs s'ils étaient traités en citoyens protégés par les lois". Ces mots repris à la préface signée par Christiane Taubira résument excellemment l'esprit du livre.

            Le procès de l'Amérique est en effet l'effrayant exposé des nombreuses techniques mises en place à travers le temps pour permettre la prédation contre tous les Noirs qui aspirent à vivre comme les citoyens blancs. C'est comme le prix à payer pour le passage du statut de sujet à celui de citoyen dans le système colonial français. Mais aux Etats-Unis, Noirs et Blancs vivent sur le même territoire et le rite de passage est extrêmement douloureux parce que l'objectif premier est qu'il n'y ait pas de passage du tout !

            De la même façon que par le passé "les maîtres blancs échangeaient des tuyaux sur la reproduction de la main-d'œuvre, la meilleure façon de la faire travailler et les punitions efficaces" à lui infliger, de même à l'heure de la démocratie, les Blancs s'échangent les techniques à mettre en place pour exproprier les agriculteurs noirs, pour empêcher les citadins noirs d'être propriétaires de leur maison, pour les obliger à vivre endettés le restant de leurs jours s'ils s'entêtent à le devenir, pour les dissuader d'avoir des prétentions à vivre dans les mêmes quartiers que les Blancs, pour faire rater aux enfants noirs la possibilité de faire des études...

            C'est ici l'occasion de dire avec force à tous les Noirs à travers le monde - et surtout à ceux qui croient avoir l'insigne honneur d'être désignés parmi nous comme les représentants de l'élite noire française - qui dissertent avec arrogance sur ce qu'ils appellent la grande tendance des Africains-Américains à végéter dans la misère, que les ghettos existent aux Etats-Unis parce qu'on a trop longtemps refusé aux Noirs les privilèges dont jouissent leurs compatriotes blancs. Il est certain qu'après la lecture de ce livre, vous ne pourrez qu'avoir beaucoup de respect pour le combat des Noirs Américains, et surtout pour ceux qui sont aujourd'hui leurs porte-voix. Chacun comprendra clairement qu'il est criminel pour n'importe quelle nation de constater un mal spécifique à une catégorie de sa population et refuser de proposer une solution spécifique au nom de la prétendue égalité de traitement des citoyens.

Raphaël ADJOBI

Titre : Le procès de l'Amérique, 123 pages (Traduit par Karine Lalechère).

Auteur : Ta-Nehisi Coates

Editeur : Autrement, 2017.  

Note : Selon Jean-Louis Borloo, la France fait la même chose, et doit donc se corriger.  

10 janvier 2018

Il faut apprendre le passé des Français noirs (Raphaël ADJOBI)

      Il faut apprendre le passé des Français noirs

        (Un entretien accordé à L'Yonne républicaine 89)

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Voici l'article de Sophie Thomas, de L'Yonne Républicaine (89), suite à notre entretien du 9 janvier 2018. Si les Noirs de France faisaient quelque peu attention au contenu des manuels scolaires qui jalonnent les études de leurs enfants, ils comprendraient l'importance de l'existence de La France noire et lui apporteraient leur soutien. Car tous les livres qui sont à la base de leur formation ne contiennent "rien d'une quelconque histoire les concernant [...].Tous ces bouquins ne disent rien de bien sur eux"(Magyd Cherfi, Ma part de Gaulois, 2016). Cliquez donc ici pour lire avec attention l'article.

Si chaque année, chaque Français noir adhérait à 2 ou 3 associations, les combats que nous menons avanceraient efficacement au lieu de piétiner. Je suis moi-même membre de quatre associations : La France noire (siège à Joigny 89) , Afrik'aucoeur (siège à Auxerre 89), Les amis de Laurent Gbagbo (siège à Paris), et les Les Inventifs (siège à Dijon 21). C'est ainsi que l'on fait avancer les causes qui nous tiennent à cœur et non pas en se contentant de dire "oh, c'est bien !"

L'adhésion annuelle à la France noire est de 20€. Rejoignez-nous: La France noire, 53 rue des Saints, 89300 Joigny - Tel : 06.82.22.17.74 (NOTRE BLOG : https://lafrancenoire.com/blog/)

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Le P'tit Maillotin et le cours d'histoire

 

6 janvier 2018

L'Afrique répond au discours sur les bienfaits de la colonisation française (Une réflexion de Raphaël ADJOBI)

                                       L'Afrique répond

   au discours sur les bienfaits de la colonisation française

           (Toute la beauté de cet article se trouve dans l'avant-dernier paragraphe)

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            L'idée "scientifique" européenne dominante au XVIe siècle - aidée sans doute par la découverte de l'Amérique et de l'intérieur de l'Afrique - était que "la civilisation est l'aboutissement d'un long cheminement marqué par des étapes successives, ayant débuté par la sauvagerie" (1). Une conception linéaire de l'humanité qui fait des peuples d'Afrique et des Amériques des sauvages relégués à l'étage inférieure et le Blanc, le civilisé, au plus haut sommet de l'échelle humaine ; conception qui sera nourrie plus tard par les théories des penseurs du XVIIIe siècle pour justifier l'esclavage. S'appuyant sur cet esprit pseudo-scientifique, Montesquieu soutient que certains peuples méritent d'être tenus en esclavage et d'autres non : "il faut borner la servitude naturelle à de certains pays particuliers" ; forcément à ceux où "parce que les hommes (sont) paresseux, on les (met) en esclavage" (Chap. VIII, Livre XV). En effet, selon lui, en Europe, c'est "parce que les lois (sont) mal faites (qu') on a trouvé des hommes paresseux" à mettre en esclavage (id.).

            Malgré la multiplication des abolitions de l'esclavage dans les colonies européennes des Amériques à partir du milieu du XIXe siècle, les travaux de Darwin viendront dynamiser la tendance à hiérarchiser les êtres et à inférioriser les Noirs. Convaincus de l'infériorité des peuples dit "sauvages", coloniser leurs territoires devient alors une entreprise civilisatrice. Bien entendu, ces peuples infériorisés sont tenus à l'écart des valeurs humanistes comme les Droits de l'homme et la laïcité. Civiliser "le sauvage", oui, mais il n'est pas question de le hisser sur le même pied d'égalité que le Blanc, en lui permettant de jouir des mêmes droits.

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            Il ne faut donc pas s'étonner que les hommes de lettres et les politiques soient si convaincus de l'impérieuse nécessité de coloniser l'Afrique, de la débarrasser des pratiques et des valeurs incompréhensibles afin d'élever ses populations au rang de peuples civilisés ! Le discours de Jules Ferry devant les députés le 28 juillet 1855 est très éclairant sur cette vision européenne de l'humanité : "les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures". Il importe "que les nations européennes s'acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation". Oui, pour les Français du XIXe et du début du XXe siècle, civiliser l'autre dit "le sauvage" était un devoir de tout peuple européen parce que jouissant d'une supériorité naturelle.

            Aussi, comme Victor Hugo, tous les politiques et tous les intellectuels de ces époques voyaient dans la colonisation un apport du bonheur aux peuples africains. Mais surtout, tous savaient que la colonisation était le moyen qui restait à la France de résoudre ses propres problèmes. Victor Hugo pouvait donc dire avec force conviction à ses compatriotes : "Emparez-vous de cette terre. Prenez-la [...]. Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup, résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires [...]. Croissez, cultivez, colonisez, multipliez ; et que, sur cette terre, de plus en plus dégagée des prêtres et des princes, l'esprit divin s'affirme par la paix et l'esprit humain par la liberté" (2).

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            La colonisation, la destruction des croyances et des structures politiques et sociales africaines ("dégagée des prêtres et des princes"), l'expropriation des biens et des terres ("emparez-vous de cette terre") pour transformer les prolétaires européens en riches propriétaires, tout cela constituait aux yeux de la France politique et intellectuelle une entreprise civilisatrice dispensatrice de paix et de liberté ! Et le discours n'a pas varié en ce début du XXIe siècle où le paysan et l'homme politique sorti de l'ENA sont fiers de clamer qu'ils ont appris aux Africains et aux Noirs en général à travailler, qu'ils leur ont apporté la civilisation chrétienne et leur ont appris à parler notre noble langue française au lieu de leurs charabias africains ( Référence au Chicago Tribune, 1891, cité par Ta-Nehisi Coates in Le procès de l'Amérique).

            Cependant, il suffit de prendre du recul et d'écouter l'Afrique pour voir le vrai visage de la France qui s'attribue le titre de bienfaitrice, ainsi que le caractère criminel de son entreprise. Comme son discours procède souvent par image, le vieux continent - comme on l'appelle - nous propose une parabole :

            Un singe se promenait dans la forêt. Il sautait d'un arbre à l'autre, lorsqu'il se trouva devant une lagune, et en la regardant entre peur et ravissement - car tous les singes ont peur de l'eau - il vit un poisson nageant dans la vase épaisse, près du bord. "Quelle horreur ! pensa le singe. Ce petit animal sans bras ni jambes est tombé à l'eau et il est en train de se noyer". Le singe, qui était un bon singe, se fit beaucoup de souci. Il voulait sauver le petit animal, mais la terreur l'en empêchait. A la fin, il s'arma de courage, plongea, attrapa le poisson et le tira vers le bord. Il réussit à se hisser sur la terre ferme et resta là, tout content, à regarder le poisson qui faisait des bonds. "J'ai fait une bonne action, pensa le singe, voyez comme il est heureux !" (3)  

            Ce qui fait le plus peur aujourd'hui, c'est qu'à force de s'allier à eux dans leur entreprise prétendument bienfaitrice, certains poissons eux-mêmes commencent à croire les singes. VIDO DE René VAUTIER : https://www.youtube.com/watch?v=tDe74hMhFZg   

Raphaël ADJOBI

(1) Le sauvage et le préhistorique, Marylène Patou-Mathys, 2011)

(2) 18 mai 1879, lors du banquet anniversaire de l'abolition de l'esclavage en présence de Victor Schœlcher.

(3) Extrait de La Reine Ginga et comment les africains ont inventé le monde, José Eduardo Agualusa, édit. Métalié, 2017.   

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