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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
10 juillet 2009

Ces Noirs qui ont fait la France

                         Ces Noirs qui ont fait la France

 

Ces_Noirs_qui            

            Ce livre est un choix extraordinairement judicieux de figures historiques noires de l’Histoire de France. Des figures noires qui dépassent de loin beaucoup de noms pour lesquels la France brûle des encens. En le lisant, j’ai eu souvent ce mot à l’esprit : émouvant !   

            Benoît Hopquin commence son livre par le portrait du chevalier de Saint Georges dont j’ai longuement parlé dans un article en 2007. Celui qui connaît son histoire n’apprendra rien de nouveau mais aura le plaisir de le voir peint dans l’univers aristocratique de son siècle. N’oublions pas que s’il est né esclave, Saint-Georges est un noble qui a vécu comme tel malgré le racisme de ceux qu’il côtoyait. Certains portraits de ce livre sont une mine de connaissances comme celui de François-Auguste Perrinon, premier Noir polytechnicien (1832) qui fut un collaborateur de Victor Schoelcher dans le mouvement abolitionniste et associé à la rédaction de l’acte d’abolition. Le portrait de Blaise Diagne - « plus patriote dans  sa dévotion à la France que bien des Français » -  éclaire le penchant des intellectuels Sénégalais comme Lamine Gueye et Senghor à placer leur foi dans l’égalité entre Noirs et Blancs dans l’empire français au lieu de rechercher l’indépendance, c’est à dire à se montrer des ardents défenseurs de l’assimilation alors que visiblement la France méprisait cet idéal.

            C’est un véritable bonheur de découvrir des vies comme celle de Edmond Albius, cet esclave qui découvrit à 12 ans, sur l’île de la Réunion, la technique de la fécondation artificielle de la vanille alors que les savants échouaient lamentablement ; celles, révoltantes, de quelques noirs ardents combattants et résistants pendant la deuxième guerre mondiale, sauvagement passés par les armes des Nazis alors que ceux-ci épargnaient les prisonniers français blancs ; celle aussi de René Maran, le premier romancier noir couronné d’un prix littéraire français le 14 décembre 1921 à 34 ans. Après Jean-Jacques rousseau avec son Discours sur les sciences et les arts et avant Aimé Césaire avec son Discours sur le colonialisme, la préface de son roman Batouala va engendrer en France l’une des plus retentissantes polémiques littéraires du 20è siècle avec le racisme de bon nombre de critiques en prime. Portrait passionnant aussi que celui de Gaston Monnerville président du sénat pendant plus d’une vingtaine d’années. Premier et dernier sénateur noir élu en métropole, il oeuvra,  à la demande de De Gaulle, à l’établissement de la Vè République avant de devenir un farouche opposant à ce dernier. Tous, comme Césaire et Senghor ont combattu pour la France ou ont lutté pour l’équité et la justice en son sein.   

            Mais entre tous, les portraits les plus émouvants sont certainement ceux de Jean-Baptiste Belley, le député de Saint Domingue qui mènera une lutte anti-esclavagiste éblouissante ;  Louis Delgrès, qui mériterait d’être élevé au rang d’icône universelle de la liberté tant son sacrifice est immense ; et Félix Eboué, le premier résistant français sans qui l’appel du 18 juin de De Gaulle n’aurait eu aucun sens. C’est en effet Félix Eboué qui, contre l’avis de ses supérieurs et du gouvernement de Vichy et contrairement aux autres gouverneurs, va mettre l’armée du Tchad à la disposition de De Gaulle et lui conférer une certaine légitimité aux yeux des Anglais. Le fait qu’il soit le premier résistant de la dernière guerre à dormir au panthéon n’est que justice.

            Voilà donc pour les peuples noirs d’Afrique, des Caraïbes et d’ailleurs des héros illustres dont les noms - bannis ou indésirables en France - mériteraient de figurer aux frontons des écoles ou d’être portés par des rues citadines. Tout simplement parce qu’en luttant pour la France parce qu’ils étaient Français, ils ont lutté pour la justice à l’égard des Noirs. Le fait que le livre replace chacun des personnages dans l’histoire de la vie politique de son époque le rend très passionnant. Ainsi chacun d’eux apparaît comme une fenêtre sur un monde : la noblesse du 18 è siècle avec Saint Georges, les luttes abolitionnistes avec Jean-Baptiste Belley et François-Auguste Perrinon, etc… Mais les images manquent cruellement à cet ouvrage. On aimerait découvrir le portrait de Jean-Baptiste Belley que l’auteur a vu au château de Versailles ; un beau portrait, dont il fait une magnifique description. On lit ce livre conforté dans l’idée que l’abolition de l’esclavage n’est pas le fait de quelques volontés blanches philanthropes mais avant tout la réalité de luttes constantes de populations noires avec des leaders cultivés et amoureux des libertés et des règles d’équité prônées par les institutions françaises. D’autre part, ce livre montre que l’absence de figures noires dans les manuels d’histoire est une injustice, car la France compte des intellectuels noirs abolitionnistes, des officiers noirs ardents adversaires des Nazis et de leurs collaborateurs pendant que de nombreux français blancs se planquaient en zone libre ou se contentaient d’écouter l’appel de De Gaulle sans y répondre.

            Il faut signaler aussi l’excellente préface de l’auteur qui justifie ses choix. Quant à ceux qui oseraient qualifier son œuvre d’entreprise communautariste ou raciste, il répond tout simplement : « Que Saint-Georges, Delgrès, Eboué ou le tirailleur Maboulkede reprennent leur place, rien que leur place, au cœur de notre mémoire nationale, et tout sera pour le mieux. » Il rejoint ainsi la pensée de Delgrès criant aux générations futures de France : « Et toi postérité ! accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits. » Il faut espérer que cette demande de reconnaissance sera un jour satisfaite par les Français blancs. C’est d’ailleurs à eux que s’adresse avant tout ce livre qu’ils doivent considérer comme « un cours de rattrapage » d’histoire pour une connaissance plus exacte de l’Histoire de France.

 

Raphaël ADJOBI

 

 

Titre : Ces Noirs qui ont fait la France (274 pages)

Auteur : Benoît Hopquin

Editeur : Calmann-Lévy

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Commentaires
D
bonjour, je viens de découvrir et vais acheter le livre. je me demander pourquoi et comment avez vous connu, parlé de Maboulkede, 1 des 4 coloniaux inhumés dans la crypte au Mont-Valérien? merci
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R
We must have the courage to see ourselves -- and our business -- as others do
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C
Je sais que tu es plutôt dans l'essai, mais je me demandais si tu avais lu le dernier Toni Morrison "Le don". Toujours grâce à mes podcast, j'ai pu écouter une émission radio Cosmopolitaine que j'ai podcaste qui date du moi d'avril ou mai, et là l'animatrice principale a passé près d'une heure à parler avec Toni Morrison de ses livres mais surtout du dernier et je me suis dis tiens, çà devrait intéresser Saint Ralph vu les recherches historiques qu'elle a fait pour ce roman. Moi, tu t'en doutes, je n'ai vu que l'adaptation de beloved au cinéma.<br /> A bientôt<br /> Caroline
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C
Merci Saint Ralph, <br /> <br /> Je suis bien contente de lire ta note de lecture, c'est bien ce qu'on dit dans ces cas là. Comme je te le disais lors de mon précédent passage, j'ai découvert la sortie de ce bouquin pendant que j'étais à l'étranger grâce au podcast d'une émission de Laurent Ruquier à la radio. Il y'a toute une série de question qui sont posés aux chroniqueurs sur l'actualité et celle ci portait sur ce livre, il a posé l'énigme en citant quelques noms tirés du livre en demandant le lien qu'ils avaient entre eux. Tout y est passé comme réponses, mais c'est l'habitude, puis finalement, je crois que c'est Fabrice Eboué qui a trouvé la réponse, mais çà n'a pas été facile. Finalement, l'auteur a répondu aux questions de Ruquier et sa bande sur son livre et dès ce moment là, j'ai su que c'était un livre que j'aurais chez moi. Je l'avais noté quelque part, puis çà m'est revenu en venant chez toi et j'essaie sure que tu l'avais forcément lu. Ta note ne fait que confirmer mon impression et me rassure sur le fait que ce sont des portraits donc je peux les lire à mon rythme pour en profiter. Je suis en plein rush de mon côté donc j'ai peu de temps pour blogguer comme je le voudrais mais je reste présente et je repasserais. <br /> Merci encore.
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S
@ Bonjour Seck<br /> <br /> Merci pour ces mots très gentils. Je me réjouis de savoir que tu continues à apprécier ce que je fais.<br /> <br /> @ cher Gangoueus,<br /> <br /> C'est en effet une chose très intéressante que de relever dans l'histoire les figures illustres noires qui risqueraient d'être complètement oubliées si nous ne rafraîchissons pas notre mémoire de leur vie et de leurs oeuvres. De ce point de vue, le livre de Benoît Hopquin est un trésor que je conseille à tous.<br /> Ainsi donc aux Etats-Unis, les Noirs en sont même à une technique de vulgarisation des figures marquantes de leur communauté ! Tu as très bien fait de te procurer ce jeu de cartes. <br /> <br /> @ Merci Alenya<br /> <br /> Merci pour le portrait de Jean-Baptiste Belley dont l'histoire m'a beaucoup ému. La France a tort d'exclure de son histoire certains de ces élus qui ont défendu les libertés dans le cadre strict de ses institutions et son honneur sur de nombreux fronts l'arme à la main. C'est le cas de Jean-Baptiste Belley. Encore Merci.
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