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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
27 novembre 2010

Elections présidentielles en Côte d'Ivoire : qui désarmera les rebelles ?

                          Elections présidentielles en Côte d'Ivoire :

                             qui désarmera les rebelles ?

Rebelles_de_bouak_0004            Le désir des Ivoiriens de retrouver enfin la paix est admirable. C'est avec beaucoup d'espoir qu'ils ont voté en octobre dernier, et c'est avec le même espoir qu'ils se rendront aux urnes le 28 novembre 2010.  Mais à quelques heures de cette date, certains événements sont venus assombrir leur ciel et tout à coup, tout le monde semble prendre conscience que le retour à la normale sera moins automatiquement acquis par ces élections.

Les "scores soviétiques" d'Alassane Ouattara dans le Nord ?

            L'appel au recomptage des voix qui n'a pas abouti cachait en réalité des élections moins transparentes qu'on ne le croyait. Dans le Nord du pays, le bourrage des urnes a dépassé les bornes de l'imaginable. Des votants plus nombreux que les inscrits, des soupçons de participation de nombreux Burkinabé suite à l'arrestation de l'un deux, ont fini par faire croire que Alassane Ouattara a volé la deuxième place à Henri Konan Bédié. Il aurait donc roulé le candidat du PDCI dans la farine en lui demandant de se contenter d'une réclamation du bout des lèvres. En vérité, un recomptage des voix aurait invalidé le vote de nombreux bureaux du Nord et Alassane Ouattara se serait retrouvé sans doute perdant.

            Laurent Gbagbo a suivi avec le sourire et beaucoup de délectation les fausses gesticulations des deux hommes. Il s'est amusé des "scores soviétiques" d'Alassane Ouattara et n'a fait aucune réclamation parce qu'il est arrivé en tête et parce que sa victoire n'est contestée par personne.

                                  Que reste-t-il à Alassane Ouattara ?

            Sachant qu'il n'a aucune chance de battre Laurent Gbagbo, le président du RDR qui a fait du parti de Djeni Kobenan un parti du Nord et des rebelles a préparé depuis de longues dates une union avec Henri Konan Bédié. Ce dernier a appelé à voter pour lui. Mais il fallait s'y attendre : tous les autres dirigeants du PDCI - même ceux qui n'ont pas désapprouvé l'alliance il y a quelques années - ont pris la parole pour appeler à voter Laurent Gbagbo. Une chose est certaine : à l'exception de quelques voix baoulées toutes les voix du pays Akan iront à Laurent Gbagbo. Selon moi, Alassane Ouattara pourra s'estimer très heureux s'il atteint les 40% des suffrages même avec de nouveaux bourrages d'urnes dans le Nord. Jamais l'homme n'a été aussi seul et jamais Henri Konan Bédié n'a semblé un vendu aux yeux de sa propre famille politique. Même la veuve du président Houphouët-Boigny est descendue dans l'arène pour dénoncer son choix et appeler les électeurs du pays baoulé à voter pour Laurent Gbagbo.

            Ce n’est point pour autant que la marche vers la paix se fera dans la joie. Même la belle leçon de transparence dans la conquête du pouvoir que le pays a donné à l'Afrique entière en organisant un débat télévisé entre les deux candidats n’éloigne pas le spectre d’une issue décevante. Cette courtoisie républicaine affichée lors du débat n’empêchera certainement pas Alassane Ouattara d'exploiter la passion déraisonnable de ses partisans en cas de défaite. Il est à prévoir en effet que ceux-ci contestent bruyamment la victoire de l'adversaire. Si c'est le cas, je ne crois pas Alassane Ouattara assez loyal pour les appeler à la raison. Les élections peuvent être reprises dix fois, les voix recomptées dix fois, dix fois il sera vaincu. Mais dix fois, l'homme criera à l'injustice pour faire plaisir à ses partisans. A vrai dire, il ne reste à Alassane Ouattara que le désordre pour garder la tête hors de l'eau. Ces élections ont fait deux morts déjà. Quel bonheur si cela pouvait s'arrêter là. La reconnaissance immédiate de la défaite sera le premier miracle de ces élections.           

                                          Qui désarmera les rebelles ?

 

            La question du deuxième volet du miracle ivoirien n'est pas de savoir qui va remporter la victoire mais que vont faire les rebelles après la victoire de Laurent Gbagbo. Les Ivoiriens savent très bien que des lendemains qui chantent ne suivront pas immédiatement ces élections ; mais ils vont voter en se disant au fond de leur coeur que c'est la seule façon qu'il leur reste pour prouver au monde entier qu'ils n'ont jamais souhaité vivre sous le joug de n'importe quel arriviste dirigé depuis l'étranger. Et contrairement à Laurent Gbagbo qui dit qu’il se contentera d’une victoire à 50,01% des voix, ses partisans pensent qu’alors la « victoire de la dignité de l’Afrique » contre « le candidat de la françafrique » sera moins belle. 

            Alassane Ouattara est arrivé dans la vie politique comme un usurpateur. A ce propos, je vous conseille le très bel article du blogueur Obambé. Dès son arrivée en Côte d'Ivoire, il a profité de la mort du fondateur du RDR pour s'emparer de ce parti et mener son dessein. Il s'est arrangé pour être imposé comme premier ministre d'Houphouët-Boigny, et à la mort de ce dernier il a tenté de s'emparer de la présidence de la République. Après les élections de 2000, alors qu'il n'a pas trouvé scandaleux d'être écarté par Robert Guéï, il a crié que le pouvoir était dans la rue pour essayer une nouvelle fois d'accéder au pouvoir. Cette fois, c'est avec son ancien bourreau qu'il forme une vaine alliance pour obtenir le vote des baoulés que ses rebelles ont massacrés après avoir pris la capitale de leur région (Bouaké). Aujourd'hui, ces rebelles tiennent des meeting publics pour expliquer aux populations du Nord que c'est Allassane Ouattara qu'ils doivent élire parce que c'est lui qui leur a acheté les armes (le film chez Obambé). Au regard de tout cela, je me demande ce qui reste encore à prouver pour faire de cet homme un criminel.

Raphaël ADJOBI

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14 novembre 2010

La prochaine fois, le feu (de James Baldwin)

                    La prochaine fois, le feu

 

                                              (James Baldwin)

 

 

La_prochaine_fois__le_feu            En lisant l’introduction d’Albert Memmi, une sourde frayeur s’empare de vous. Vous ne pouvez vous empêcher de vous demander dans quel monde vous allez plonger. Dès les premières pages du long discours que constitue ce livre, le narrateur se propose de nous révéler « les racines de (la) querelle » qui oppose les Noirs américains à leur pays. On se dit alors : "bon, si ça ne tient qu'à cela..." Mais très vite vous comprenez que cette querelle rejoint l'opposition universelle entre Noirs et Blancs. C'est en clair, la mise en évidence des racines de cette radicale opposition née de la différence de couleur sur laquelle le Blanc a établi son pouvoir et donc sa supériorité qu'il prétend conforme à la volonté divine (le mythe de Cham). Tout ce qui fait que « bien avant que l’enfant noir ne le perçoive et plus longtemps encore avant qu’il ne la comprenne, il a commencé à en subir les effets, à être conditionné par elle », à se mépriser.

            A ce moment du livre, le lecteur ne peut qu'écarquiller les yeux avec la soif de savoir. Pour révéler les racines de cet antagonisme Noir-Blanc, le narrateur va jusqu’au fond de lui-même puiser les sentiments communs aux Noirs, sentiments produits en eux par un monde blanc et chrétien. C’est dans ces sentiments profonds faits d’une encre rouge incandescente que Baldwin a plongé sa plume pour écrire ce texte au ton cru, effroyablement juste et d’une aveuglante clarté.

            Certes, comme disait Montaigne, nous savons tous que « chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition ». Mais, pour ce qui est de l'homme noir, Baldwin montre de manière convaincante qu'il porte en plus de cela la condition que l’homme blanc lui a assignée dans la société des hommes. Partout en effet, écrit-il, les Noirs ne comprennent pas pourquoi les Blancs les traitent comme ils le font. Cette persécution gratuite – parce qu’elle n’a rien à voir avec ce qu’ils ont pu faire – est incompréhensible. Confiné dans son ghetto d'opprimé, les sentiments du Noir sont devenus, comme par voie de conséquence, impénétrables à la pensée blanche. La communication entre Noir et Blanc est rendue impossible. La peinture qu'il fait alors des Noirs opprimés donne la sensation d'entendre gronder une sourde colère, que l'on entendra bientôt ces forces souterraines crier : "Apocalypse now !"

            Oui, "Apocalypse now" aurait pu être le titre du livre. Et si Baldwin l'avait écrit dans les dernières années qui ont précédé la chute des deux tours jumelles aux Etats-Unis, on l'aurait certainement accusé d'avoir inspiré ce crime ou on l'aurait élevé aux nues pour l'avoir prophétisée.

            Forcément, ce pouvoir criminel des Blancs qui ne peut être respecté - parce que construit sur le vol des libertés des Noirs - suscite le besoin de le « bafouer ». Mais, selon Baldwin, ce pouvoir blanc court lui-même inéluctablement à sa perte. Ce livre permet en effet, d’entrevoir la mondialisation actuelle et les diverses formes de luttes qui l’alimentent sous un angle que l’on pourrait appeler « religieux », puisqu’il y apparaît en filigrane un conflit de la pensée et du pouvoir blanc chrétien contre les forces qui émergent de la nature des êtres opprimés. C’est dire que nous vivons une sorte de fin du pouvoir historique de la chrétienté dans les domaines politique et moral. Ce livre est une Bible, une Bible noire ! Car, on peut croire avec Baldwin que les Blancs, aujourd’hui minoritaires sur cette terre mais dont la domination est fondée sur de fausses allégations divines (le mythe de Cham), doivent désormais, impitoyablement, voir se retourner contre eux l’épée dont ils se sont si longtemps servi contre les autres. A ce moment du livre, le lecteur ne peut qu'entrevoir les feux de l'Apocalypse de la Bible.   

            Heureusement, malgré des déchirantes vérités, ce livre est une œuvre d’une humanité bouleversante puisqu’il indique de manière claire l’alternative, seule capable d’arrêter cette course infernale de la pensée blanche nourrie par la chrétienté vers sa fin. Mais ce qui fait que le ton reste effroyable, c'est que ceux qui en détiennent la clef n'en sont nullement conscients. Oui, « les Blancs […] auront bien assez à faire à apprendre à s’accepter et à s’aimer eux-mêmes et les uns et les autres, et lorsqu’ils auront accompli cela […] le problème noir n’existera plus parce qu’il n’aura plus de raison d’être. » Seul donc l’amour peut sauver le monde ! Mais les Blancs en sont-ils capables ? Qui pourrait les réveiller pour qu'ils arrêtent cette machine infernale qui va les emporter et certainement nous avec eux ? La deuxième solution, - un pendant de l’amour – c’est « transcender les réalités sociales et religieuses ». Malheureusement, nous évoluons comme des aveugles vers le précipice !

            Il y a dans ce livre des vérités crues que les Blancs gagneraient à lire et à relire pour savoir ce que les Noirs, dans leur état de servitude, de discriminés, de méprisés, pensent d’eux. Ainsi, ils rendront les sentiments des Noirs pénétrables à leurs pensées. Noir ou Blanc, si vous avez envie de sentir vos tripes remuer au fond de vous-même, si vous voulez, un instant, regarder en face de bouleversantes vérités sur les sentiments des Noirs dans ce monde blanc, lisez ce livre.

°Merci à Liss qui m’a permis de découvrir cette œuvre inoubliable.

 

N.B. Le mythe de Cham : Selon la Bible, Cham, l'un des trois fils de Noé l'aurait vu nu alors qu'il dormait après s'être enivré. Noé maudit alors Canaan, le fils de Cham, à servir d'esclave à ses frères. La chrétienté va se servir de ce récit biblique pour justifier l'esclavage des Noirs en affirmant qu'ils sont les descendants de Canaan et donc de Cham.

Raphaël ADJOBI 

Titre : La prochaine fois, le feu ; 137 pages.

Auteur : James Baldwin

Editeur : Gallimard, Collection Folio. 

8 novembre 2010

Les élections présidentielles en Côte d'Iboire : des leçons pour la démocratie en Afrique

    Les élections présidentielles en Côte d'Ivoire :

           des leçons pour la démocratie en Afrique

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            Les Ivoiriens ont relevé le premier défi sur le chemin qui mène au miracle qu'ils veulent réaliser : un premier tour sans heurt. Est-ce l'effet de la lassitude due à la vie éprouvante qui leur est imposée depuis 2002 par la guerre venue du Nord ? 

            Certainement la soif de trouver une vie normale et pacifique est à l'origine de ce calme et de cette grande dignité. Cependant, à ce réel désir de paix il faut ajouter un esprit nouveau d'une grande importance. Pour la première fois, des règles simples et claires ont été respectées. Oui, il faut souligner cet aspect des choses car le respect des règles est loin d'être le souci des Ivoiriens et des Africains en général. Il serait bon que lors des élections, les pays africains exigent que les candidats ne fassent pas d’interventions publiques avant la proclamation officielle des résultats. Les Ivoiriens ont réussi le premier tour de leurs élections grâce au respect de cette règle. Deuxièmement, les pays africains devraient imposer aux candidats l'obligation de ne pas quitter le territoire national entre les deux tours. Le Président sénégalais Wade recevant Alassane Ouattara au lendemain des résultats s'est mêlé de ce qui ne le regarde pas. Et ce dernier a montré par ce voyage précipité la preuve qu'il est une marionnette de l'étranger.

            La proclamation des résultats prévue trois jours après les votes a suscité quelques remous, de l'impatience. Pour éviter que l'action de la commission électorale indépendante ne paraisse suspecte au peuple, ne serait-il pas préférable que les résultats soient communiqués au fur et à mesure des dépouillements ? Certes, il vaut mieux aller lentement mais sûrement dans ce genre de procédure. Mais en publiant les résultats région par région, chacun verrait clairement l'évolution de la situation de son candidat comme une évidente réalité.

            Enfin, la grande quantité de bulletins nuls doit retenir l'attention de tous et exiger des démonstrations en image à la télévision, longtemps avant le jour décisif.

            Analyse des résultats et du visage du 2è tour

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            Quand il s'agit d'élections en Afrique, les observateurs européens pointent toujours du doigt le vote ethnique comme s'il est un mal en soi. Le vote ethnique n'est pas plus méprisable que le vote partisan ou clanique que pratiquent les Européens puisqu’ils votent de moins en moins pour les idées. Les Africains n'ont pas à se mépriser pour cela. L'essentiel est de savoir, dans un cas comme dans l'autre, reconnaître sa défaite. Et savoir reconnaître sa défaite n'est pas le point fort des Africains. J'y reviendrai.

            Au regard de la carte montrant les bassins électoraux des candidats, seul Alassane Ouattara bénéficie du vote exclusif du Nord tenu par les rebelles et donc un vote exclusivement ethnique. Henri Konan Bédié triomphe dans sa zone ethnique également mais s'adjuge le vote des populations du sud-ouest et échappe ainsi au vote exclusivement ethnique. Quant à Gbagbo Laurent, issu d'une ethnie de taille insignifiante de l’ouest, il bénéficie d'un vote national à l'exception du Nord, le fief des rebelles. En d'autres termes, le vote ethnique ou partisan ne donne la victoire absolue à aucun des candidats. Un mélange des ethnies ou des partis du pays s'avère donc nécessaire à la victoire de l’un ou l’autre candidat.

            L'accord passé entre Alassane Ouattara et Konan Bédié est un accord de raison entre deux chefs de partis. Un calcul très Européen ! Or, les sensibilités des populations ne suivent pas les bannières des partis politiques mais les hommes et ce qu'ils représentent à leurs yeux. Que représente chacun des deux derniers candidats aux yeux de la majorité des Ivoiriens ? Peut-on croire que l'électorat de Bédié, constitué majoritairement de la population du pays baoulé qui a le plus souffert des atrocités des rebelles, pourrait donner ses voix à leur commanditaire Alassane Ouattara ? Si cela se produit, alors nous aurons compris que les Ivoiriens donnent un autre sens aux événements qui ont déchiré leur pays durant huit ans. Cela voudra dire qu'il n'y a eu ni victime ni coupable. Pour aller plus loin dans les relations Bédié-Alassane, je vous propose de lire l’article de Delugio.

                           Un mot des incidents

            Mis à part le rebelle abattu à Abidjan et la brève contestation des résultats par les partisans d’Henri Konan Bédié, les incidents notés sont à mettre à l'actif des partisans d’Alassane Ouattara : Le jeudi 4 novembre à Abobo - quartier d'Abidjan - des partisans du RDR d'Alassane Ouattara ont assiégé la mairie de cette localité accusant le maire (RDR) de cacher des urnes encore pleines et donc des bulletins non comptabilisés. A Paris, C'est un militant RDR (encore !) dans toute sa splendeur du délinquant ivoirien égaré qui a jeté l'urne par la fenêtre d'un bureau de vote tout simplement parce qu'il a trouvé des bulletins dans l'urne à son arrivée. Le pauvre ignorait sans doute que le vote par correspondance existe en France. Enfin, la fraude officiellement constatée vient du Nord du pays où les performances excessives du candidat du RDR vont laisser une marque indélébile : Madinani, dans la région du Denguélé, qui comptait officiellement 9.970 inscrits, Alassane Ouattara a obtenu... 11.144 voix ! Il fallait le faire. Heureusement, la fraude officielle de Madinani, les saccages à Paris et les irrégularités qu'on croit avoir noté ça et là ne sont nullement significatives au point de remettre en question ce premier tour que tous les observateurs considèrent comme un succès. Le manque d’expérience dans la pratique de la démocratie est cause de ces balbutiements.

            Je termine en posant la question essentielle à laquelle personne n'a la réponse : si les voix de Bédié vont à Laurent Gbagbo et qu'il gagne les élections, qui désarmera les rebelles ? Alassane Ouattara qui, en huit ans, n'a jamais lancé d'appel à leur adresse pour qu'ils abandonnent les armes le fera-t-il enfin cette fois ? L’ONU s’en chargera-t-elle ? Le miracle ne semble guère évident.

            Bravo et merci au blogueur Charlie qui a été très efficace dans la communication des résultats.                         

Raphaël ADJOBI

2 novembre 2010

Les parias de l'art (un poème de Serge Moreau)

                             Les parias de l’art

                             (Un poème de Serge Moreau)      

A Liss, qui a vécu d’espoir de lire ce poème promis depuis bientôt un an. Qu’elle trouve ici, non pas « le feu » (Baldwin) mais « Les parias de l’art » délicatement déposé au pied du lit de sa longue attente.

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C’est pendant l’été 2009, lors d’une visite faite au musée de Noyers-sur-Serein dans l’Yonne (prononcez Noyère), que j’ai découvert ce magnifique poème. Pour ma part, c’est l’un des plus beaux sur l’image du poète. Dans l’imaginaire populaire, il semble que depuis l’Antiquité le poète a toujours été représenté comme ayant la tête aux nues et les pieds trébuchant sur la pierre du chemin. Baudelaire en a fait un albatros dont les ailes de géant l’empêchent de voler une fois installé sur la terre commune. C’est en effet un être des hauteurs, des rêveries, un être qui côtoie l’immensité céleste. Cette vision baudelairienne est encore très proche de celle que l’on prête à l’imaginaire populaire, avec l’aspect pitoyable plus accentué. Par contre, avec Serge Moreau, le poète devient douloureusement humain. Ce n’est point l’être aux dimensions célestes qu’il nous propose, mais l’artiste parmi les artistes, l’artisan parmi les hommes. Et l’on découvre que dans sa dimension sociale, le poète n’est pas moins à plaindre que lorsqu’il est présenté comme étranger parmi les hommes parce qu’ayant constamment la tête perdue dans « ces rêveries merveilleuses ».     

                    Les parias de l’art

            Les poètes sont les parias de l’art,

            Dans la longue parade des artistes

            Qui arrivent de toutes parts

            Leurs chariots sont les plus tristes.

            En tête, sur les chariots dorés, avancent les comédiens,

            Les chanteurs, les jeunes premières,

            Les bonimenteurs, les clowns, les musiciens,

            On y voit même, parfois, des écuyères.

            Voici les gens de plume, appelés écrivains ;

            On dit que certains seraient très riches

            Mais inutile de chercher en vain

            Où sont les nègres de ceux qui trichent.

            Puis suivent, en rangs serrés :

            Architectes, peintres, humoristes,

            Dessinateurs, illustrateurs inspirés,

            Quelques acrobates, quelques journalistes.

            Passent encore beaucoup de grands personnages

            Qui n’ont généralement rien fait.

            Cependant ils présentent si belle image

            Qu’on les balade à grands frais.

            Bons derniers, longtemps après

            Sur des charrettes incroyables

            Brinqueballent des êtres délabrés

            Dans un anonymat pitoyable.

            Ils progressent, malgré tout, ainsi

            Dans leur misère orgueilleuse,

            Depuis des siècles endurcis

            Soutenus par des rêveries merveilleuses.

            Personne ne salue ces pauvres illuminés

            Pas même ces chamarrés vieillards

            Qui regardent passer, comme des condamnés

            Les poètes, qui sont les parias de l’art.

                          Serge Moreau

            Serges Moreau est un poète bourguignon originaire de l’Yonne (89). Il a passé son enfance à Noyers-sur-Serein – classé parmi les plus beaux villages de France - puis à Joigny. Il vit actuellement à Laroche Saint-Cydroine où j’ai pu le rencontrer plus d’un an après mon coup de foudre pour son poème. L’homme est également un grand collectionneur de boîtes métalliques qui ne manquent pas de susciter la curiosité de ses visiteurs.

Raphaël ADJOBI

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