Manifeste pour les "produits" de haute nécessité
Manifeste pour les "produits" de haute nécessité
Ma place à la fois dans le monde du travail et la société de consommation me donnait depuis quelques années le sentiment d'être embarqué dans un train tiré à folle allure par le capitalisme. Quiconque en descend est soit écrasé soit perdu à jamais sur le bord de la voie. Ce petit manifeste me faire comprendre que cette image n'est point irrationnelle mais la peinture exacte d'une triste réalité. Le terme "déconstruire" signifierait alors trouver les moyens d'arrêter ce train, ou lui imprimer un rythme qui serait conforme à la vie de ceux qu'il transporte.
Ce manifeste fait suite au mouvement social qui s'est installé en Guadeloupe et en Martinique en janvier et février 2009. Ceux qui l'ont lu n'ont certainement pas manqué d'y repenser lors des récents troubles survenus à l'île de la Réunion en février 2012. Ses rédacteurs ont vu dans l'ampleur et la profondeur de l'âme du mouvement, plus qu'une colère contre les békés. Pour eux, les affres de la "hausse des prix" ou de la "vie chère" ne sont que les résultantes du libéralisme économique qui condamne chacun de nous à n'être qu' « un consommateur » ou « un producteur » : le consommateur ne travaillant que pour consommer ce que produit sa force de travail devenue marchandise ; et le producteur étant réduit à la seule perspective de faire des profits sans limite sur des consommateurs.
Ce texte est donc la peinture d'une économie devenue sa propre finalité. Il nous tend le miroir de la course aux nécessités immédiates, au pouvoir d'achat, au panier de la ménagère, à cette vie prosaïque à laquelle le poétique fait tant défaut. Il montre que la vie de nos hommes politiques se limite à gérer les misères les plus intolérables et à réguler les sauvageries du "Marché".
Pour accompagner le panier de la ménagère plein des produits de première nécessité, le manifeste plaide pour des produits de "haute nécessité" qui font appel à la part poétique de la vie et donc à des exigences existentielles d'un autre ordre.
Puisque le mouvement social de 2009 a montré la faillite de tous les pseudo-pouvoirs intermédiaires (régions, préfets, département, association des maires) entre les Antilles et le pouvoir central métropolitain, les rédacteurs du texte proposent l'émergence d' « une force politique de renouvellement et de projection apte à nous faire accéder à la responsabilité de nous-mêmes par nous-mêmes et au pouvoir de nous-mêmes sur nous-mêmes » ; car c'est le déficit de responsabilité qui crée l'amertume, la xénophobie, la crainte de l'autre et le manque de confiance en soi. D'autre part, selon les rédacteurs, les Antilles doivent rechercher leur autosuffisance en se fournissant en produits de toutes sortes dans les Caraïbes plutôt que de se laisser dominer par les intermédiaires entre elles et la métropole. Enfin, ils estiment nécessaire de faire en sorte que le travail « même acharné, même pénible » redevienne un lieu d'accomplissement pour l'homme.
Si les propositions contenues dans ce manifeste apparaissent quelque peu utopiques, c'est parce que nous avons constamment en tête le manque de volonté politique de nos dirigeants quand il s'agit de mettre à genoux les réseaux de grands profits comme la grande distribution ou les paradis fiscaux. Mais force est de constater qu'elles pourraient s'appliquer à d'autres populations à travers le monde. L'on pourrait même dire qu'elles s'inscrivent dans l'idée de "déconstruction ou décroissance", le nouvel ordre économico-social, dont de nombreux acteurs économiques projettent l'avènement.
Raphaël ADJOBI
Titre : Manifeste pour les "produits" de haute nécessité, 12 pages
Editeur : Edition Galaade Institut de Tout-Monde