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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
25 juillet 2017

La ligne idéologique financière et colonialiste d'Emmanuel Macron enfin tracée !

    La ligne idéologique financière et colonialiste

                   d'Emmanuel Macron enfin tracée ! 

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            Compte tenu de sa soudaine irruption sur la scène politique nationale puis internationale, nombreux sont les Français et les étrangers qui n’avaient aucune opinion sur M. Emmanuel Macron. Alors tous évitaient sagement de le juger avant de le voir à l’œuvre ou tout au moins de connaître ses pensées.

            Pendant la campagne présidentielle, la manière dont il avait fermement fait taire la polémique née à droite et à l’extrême-droite autour de sa déclaration selon laquelle la colonisation est un crime contre l’humanité avait séduit. En effet, après avoir ouvertement clamé que sa génération ne pouvait vivre à l’ombre d’un traumatisme qu’elle n’a pas connu, il avait ajouté avec une rare franchise que « la colonisation a entraîné la négation du peuple algérien ; que cela a produit une guerre qui n’était pas digne de la France ».

            Avec ces mots, Emmanuel Macron avait clairement semblé se situer aux antipodes des fiers héritiers du colonialisme français qui se croient obligés d’entretenir dans l’opinion publique une imaginaire supériorité sur les autres peuples. Dès lors, nous étions nombreux à penser que sa jeunesse serait pour notre pays un gage de probité intellectuelle et morale devant les drames humains, loin des discours coloniaux et paternalistes habituels.

            Mais voilà que très vite il aligne deux propos méprisants : « le kwassa-kwassa pêche peu ! il amène du comorien » et « dans une gare, on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ».

            Si l’évocation du « kwassa-kwassa (qui) amène du comorien » nous a renvoyés au drame de Mayotte depuis qu'elle est séparée des Comores et rattachée à la France, tout le monde a semblé tomber d’accord pour qualifier son propos de plaisanterie de mauvais goût. Mais quand Monsieur Macron a opposé ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien, il nous a clairement placés en face d’une idéologie financière selon laquelle celui qui génère de l’argent est intéressant, et celui qui ne rapporte rien, n’est rien !

            Comment peut-on en France se taire quand un président dit qu’il y a parmi nous deux catégories de personnes, celles qui réussissent et celles qui ne sont rien ? Comment peut-on ne pas être convaincu que quiconque est capable de mépriser l’autre avec une telle violence est prêt à tous les maux, à toutes les entreprises funestes ? Nous n’avons pas attendu longtemps pour être éclairés sur sa vision de l’humanité. C’est lors du G20 qu’il va montrer à la terre entière qu’à l’ENA, de génération en génération, tout le monde trempe ses lèvres dans la même coupe et en ressort avec la même ivresse colonialiste.

            Evoquant les problèmes de l’Afrique – à ses yeux insurmontables – M. Macron dit, dépité : « quand des pays ont encore aujourd’hui sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ! »

            L’omniprésence militaire française dans les pays francophones et les multiples coups d’Etat orchestrés dans de nombreuses contrées d’Afrique pour piller sans résistance leurs matières premières ne seront-ils donc jamais dans la bouche d’un président français comme les freins au développement de ce continent ? A dire vrai, d’un gouvernant à l’autre, d’une génération à l’autre, on évite d’évoquer les nécessaires mesures décolonisatrices pouvant générer un essor économique de l'Afrique francophone hors du giron de la France, parce que les ressources de ces anciennes colonies, on y tient !

            Voici d’ailleurs clairement énoncés par Just-Jean Etienne Roy, en 1860, les principes essentiels de la colonisation sur les terres lointaines et auxquelles nos dirigeants jurent fidélité à tout jamais. Aucun de nous ne doit se permettre de les ignorer, car le sous-développement de l'Afrique n'est pas "civilisationnel" comme l'affirme M. Macron ; il n'est pas  une condition ou une situation propre à l'Afrique.

            Selon Just-Jean Etienne Roy, depuis la fin de l’esclavage en 1848, la gestion de ses colonies des Amériques et de l’océan indien puis celles conquises en Afrique ont inspiré à la France des mesures suprêmes : outre le fait qu’elles doivent être pour les « produits du sol et de l’industrie de la mère patrie des débouchés […] constamment ouverts », il faut « favoriser l’agriculture coloniale, c’est-à-dire les denrées destinées à la consommation de la métropole ; exiger de ces établissements (colonies) qu’ils ne vendissent leur récolte qu’à la métropole ; et enfin leur interdire d’élever les denrées récoltées à l’état de produit manufacturé ». En d’autres termes, éviter l’industrialisation et donc le développement de ces colonies.

            Voilà donc clairement ce que sont les pays africains pour la France et les règles immuables auxquelles elle les soumet et qui les empêchent d’être véritablement indépendants et développés. Voilà pourquoi le rapport Vedrine affirme sans vergogne que « l’Afrique est l’avenir de la France ». On oublie d’ajouter que dans ce cas, l’Afrique n’a pas d’avenir pour elle-même par la seule responsabilité de la France. Car on ne peut être à la fois esclave et libre.

            Occultant cette réalité de fait, aujourd’hui comme hier, on ressort l’argument compréhensible par le commun des Français - qu'on prend pour un imbécile prêt à tout croire - on clame haut et fort que le problème de l’Afrique, c’est sa surpopulation ; une surpopulation qui serait incompatible avec le développement économique ! Pour M. Macron, la liberté des peuples africains à disposer d’eux-mêmes coûterait trop cher à la France. Rectifions ici sa grosse erreur concernant le taux de fécondité des Africaines : la moyenne n’est pas de 7 à 8 enfants, mais de 5 enfants en Afrique subsaharienne et de 4,7 sur tout le continent. Les Africains ont bien compris que ce qui coûterait trop cher à la France si elle établissait des relations normales avec leur continent, ce n’est pas nourrir le trop grand nombre d’enfants noirs mais perdre les gisements de pétrole, de  minerais en tout genre ainsi que les immenses plantations d’hévéa bien utiles pour ses industries automobiles. Les Africains savent aussi que leur continent deviendra bientôt l'un des plus grands marchés au monde grâce justement à la croissance de sa population et à l'augmentation de son niveau de vie. Et alors, comme la Chine et l'Inde, elle échappera à la petite France dont la population aura beaucoup vieilli. Elle aura alors oublié les siècles où l'esclavage la vidait régulièrement de ses forces vives. Est-il nécessaire de rappeler à M. Macron que la natalité en France n'est sur une courbe favorable que grâce aux Dom-Tom et notamment à l'immigration de l'Afrique Subsaharienne ? Ne voit-il pas que la population des pays d'Europe occidentale qui n'ont pas de régions ultramarines vieillit plus vite que celle de la France ? N'entend-t-il pas que partout on assure que l'immigration est une chance pour l’Europe devenue la Vieille parce qu'elle n'a pas su se renouveler ? Pour paraphraser Françoise Vergès (Le ventre des femmes), disons simplement que ce qui pourrait être analysé comme un apport d'énergie, une espérance, est transformé en une menace et un péril parce que l'Occident a peur que l'Afrique lui échappe. Oui, le discours de M. Macron traduit bien cette idée que pour les intérêts des capitalistes occidentaux « la fertilité des femmes du tiers-monde équivaut quasiment à une menace terroriste ».    

Les outre-mer savent que ce discours cache un crime en marche

            Si les propos de M. Macron visaient directement l’Afrique, nos compatriotes des outre-mer ont dû sentir leur cœur saigner. En effet, ils ont sûrement été replongés dans les décennies qui ont suivi 1946, année où le classement des colonies en départements suscitait des débats sur le coût de l’égalité entre ces territoires qui venaient de sortir de l'esclavage et l’hexagone. A cette époque, les hommes politiques avaient passé leur temps à réfléchir aux moyens de préserver les intérêts de la France dans ses anciennes colonies sans les développer ; c’est-à-dire en les laissant jouer leur rôle de colonies comme défini plus haut.        

            Bientôt, l’origine de tous les problèmes ou difficultés économiques de ces colonies fut trouvée ; et l’île de la Réunion fut montrée du doigt avant les Antilles : « le problème n°1, c’est la démographie, le grand mal de ce pays », assura Michel Debré en 1969 avant de souligner plus tard (1974) « la fainéantise alimentée par la naissance d’enfants nombreux sur cette île de l’océan indien ». C’était, comme le montre excellemment Françoise Vergès dans Le ventre des femmes, le bel argument sans cesse répété « pour justifier le non-développement économique, (le) contrôle des naissances et (l’)organisation de la migration ».  

            Afin de guérir la Réunion et les Antilles du fléau de la surpopulation – ce mal imaginaire français – des solutions définitives furent préconisées : l’avortement forcé de milliers de femmes suivi de la ligature de leurs trompes, et l’émigration des populations de ces îles vers la métropole. L’histoire des enfants de la Creuse et du BUMIDOM est aujourd’hui entrée dans la mémoire collective comme un crime de l’Etat français. Mais ce que l’on n’a jamais dit, c’est que le vide créé dans ces îles a été comblé par une population blanche métropolitaine.

            Les propos de M. Macron rappellent donc étrangement ceux de M. Debré. Préparerait-il aussi l'immigration des populations africaines vers la France pour montrer qu'elle est généreuse ? De même que la question de la forte natalité dans les outre-mer aurait empêché la France de développer la Réunion et les Antilles, de même aujourd’hui cet argument sert de motif pour ne pas développer Mayotte et la laisser entre les mains des ONG qui en font peu à peu un paradis sexuel. Dans la même logique, la transformation de la démographie en « problème » central du sous-développement de l’Afrique voudrait permettre aux gouvernants français d’éviter d’affronter les questions politiques et sociales de ce continent. Et pourtant, ils savent comme nous qu’on ne peut à la fois entretenir une armée dans un pays étranger, battre la monnaie de ce pays pour mieux le confisquer, se mêler de la manière dont il doit être gouverné, et accuser la fécondité des femmes de le rendre inapte à toute forme de développement.

            Elle est absolument odieuse cette France de M. Macron qui fait du contrôle du ventre des femmes – pour reprendre l’expression de Françoise Vergès – l’argument essentiel de sa mainmise sur ces anciennes colonies. Elle n'est pas belle cette France qui pense que l'Afrique est juste bonne à traire, qu'il est impossible de la développer. N'oublions jamais que quand les gouvernants d'un pays commencent à pointer du doigt un mal imaginaire dans un corps étranger, le crime n'est pas loin.

                  Raphaël ADJOBI

avec la collaboration de Luis-Nourredine PITA

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9 juillet 2017

Guerre et sexe ou la guerre des hommes et le sexe de la femme (Raphaël ADJOBI)

                                     Guerre et sexe

              La guerre des hommes et le sexe de la femme

Le sexe de la femme

            Dans le film-documentaire "Des voix au-delà de la censure" de Mor Loushy et Daniel Sivan (2015) retraçant la victoire en six jours d’Israël sur l’Egypte en 1967, on entend un jeune soldat israélien crier : « la première femme que je rencontre, je couche avec elle, même si elle a 90 ans ! » Le sexe de la femme comme moteur d’action du soldat – hautement et clairement exprimé par ce jeune homme – n’est pas propre à un peuple ni à une époque. Ce n’est pas non plus un simple écart de langage d’un soldat surexcité. Si la femme n’est pas souvent le sujet des guerres qui ont toujours secoué le monde, elle a cependant toujours été dans le cœur et l’esprit de l’homme au moment de brandir l’épée ou de sortir le fusil contre l’ennemi.

            Toutes les guerres menées dans les contrées lointaines par les empereurs, les rois et les chefs de gouvernement, toutes les croisades qu’ils ont organisées contre leurs ennemis avaient trois objectifs : affirmer la supériorité de leur force pour justifier par la même occasion leur droit ; piller les biens de l’autre tout en détruisant ou en flétrissant les marques de sa gloire ; enfin, jouir impunément du corps des femmes. Avant de se rapporter aux relations sexuelles entre le soldat et sa compagne à son retour de la guerre, au XIXe siècle, l’expression « le repos du guerrier » était depuis fort longtemps une réalité sur le lieu même de la victoire sur l’ennemi.

            Le meilleur exemple de cette pratique que nous fournit l’antiquité se trouve dans L’Iliade d’Homère. Dans ce récit, Briséis est la récompense offerte à Achille par l’armée grecque après une victoire sur l’ennemi. Cette captive dont il tombe amoureux va lui être ensuite retirée et attribuée à Agamemnon pour respecter la parole de l’oracle. S’estimant spolié, Achille refuse de combattre aux côtés des Grecs commandés par Agamemnon.

            Hier comme aujourd’hui, il est facile d’imaginer que les hommes qui partent loin de chez eux pour plusieurs mois, voire des années, éprouvent le besoin de s’unir aux femmes qu’ils rencontrent. D’autre part, s’agissant le plus souvent de femmes et de filles des vaincus, le droit de les posséder s’impose automatiquement dans l’esprit des vainqueurs investis du pouvoir de vie ou de mort. Une volonté de puissance qui fait du sexe de la femme  un élément du butin.

            Pourquoi les royaumes des siècles passés parvenaient-ils aisément à lever d’immenses armées pour des combats lointains ? Pourquoi les jeunes gens s’engageaient-ils gaiement dans les armées napoléoniennes pour des expéditions lointaines ? Echapper à la misère ainsi que jouir du respect dû à l’uniforme étaient certes des arguments séducteurs et enthousiasmants. Mais l’aventure et ses récompenses en nature insoupçonnées étaient des moteurs d’actions qu’on apprend très vite. Ainsi, jusqu’au XIXe siècle, les armées européennes étaient constituées de mercenaires étrangers attirés par l’appât du gain. Même si, aujourd’hui, dans les nations modernes, c’est le devoir national qui s’impose aux recrus, les effets des guerres - et qui les motivent aussi - sont les mêmes que ceux des siècles passés : pillage des biens, destruction des signes du pouvoirs de l’ennemi et accouplement avec les femmes.

            Inutile de s’attarder sur les pillages qui sont choses connues de tous. Les multiples musées de France et d’Europe très riches en objets d'art africains, asiatiques et amérindiens sont l’œuvre des invasions coloniales ou des voyageurs cupides. Le musée du Quai Branly à Paris peut être considéré comme la reconnaissance officielle de cette pratique. Signalons que durant la guerre des Américains et des Anglais contre l’Irak, appelée guerre du golfe, les musées de ce pays ont été littéralement vidés par les Américains. Quelques années plus tard, c’est dans la discrétion que les objets volés ont été en grande partie restitués pour satisfaire la demande insistante de l’Irak de recouvrer son patrimoine artistique (Beaux Arts magazine, octobre 2013).

                                 Après les pillages, le sexe !  

            Laissons les pillages de côté et intéressons-nous plutôt au soldat et au sexe de la femme. Quand les occasions de défaire l’ennemi et d’abuser de ses femmes et de ses filles se font rares, les armées étrangères organisent de véritables curées ! Un couple de soldats français nous en a d’ailleurs fait un récit glaçant sur Internet. De jeunes filles recrutées dans le pays, ou dirigées vers les camps des soldats par des rabatteurs, sont livrées à la sexualité débridées des hommes. Tous les soldats ayant servi durant de longues périodes dans les contrées lointaines qui nieraient cela seraient des menteurs.

            Récemment, l’armée française a été accusée d’avoir profité de la détresse de jeunes africaines entassées dans des camps de refugiés. J’ai été surpris par l’indignation des imbéciles de tous bords : ceux qui jugeaient la chose impossible et ceux qui disaient être sincèrement horrifiés par un tel comportement. Quand on fabrique des armes pour aller faire la guerre loin de ses propres frontières qu’on oublie de protéger, on se met dans les meilleures dispositions pour être coupables de tous les maux ! En tout cas, chacun doit retenir que c’est une pratique ordinaire des armées étrangères de s’offrir le corps des filles et des femmes des vaincus ou considérées comme telles parce que placées sous leur protection. Les Français ne peuvent à la fois accepter que leurs soldats, dans la force de l’âge, demeurent des mois, voire des années, dans les pays africains et s’indigner quand ils couchent avec les jeunes femmes des pays qu’ils dominent de leur présence armée ! Porter l’uniforme militaire et posséder une arme sont les signes évidents d’un pouvoir absolu sur le corps de l’autre quand on est en terre étrangère. Le coup de feu et le coup de sexe sont deux pouvoirs que le soldat exerce alternativement selon les circonstances.

            Tout le monde devrait retenir que partout où il y a eu une concentration d’hommes, on a encouragé l’établissement de maisons de prostitution. A l’époque de l’esclavage - même si les colons pouvaient allègrement abuser des femmes noires - des prostituées européennes ont été envoyées dans les Amériques par les royaumes colonisateurs. Jeune homme, j’ai même vu dans le sud de la Côte d’Ivoire un village de travailleurs étrangers dans une plantation d’ananas disposant de maisons d’habitation de prostituées. Cette mesure était vivement conseillée aux grands planteurs d’ananas pour éviter les agressions sexuelles et les liaisons amoureuses avec les autochtones. C’est le même esprit qui prévaut en Europe où l’Onu n’envoie jamais de casques bleus africains. On se souvient aussi de la précipitation avec laquelle, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la France renvoya les soldats africains chez eux, et avec quelle rigueur certains furent parqués dans un camp dans le sud. Si nos soldats aiment les missions de longue durée en Afrique, c'est parce que le repos du guerrier leur est assuré sur cette terre.

Raphaël ADJOBI    (Pour contacter l'auteur du blog, cliquer sur sa photo)

4 juillet 2017

La reine Ginga, et comment les Africains ont inventé le monde (José Eduardo Agualusa)

                                          La reine Ginga

                  et comment les Africains ont inventé le monde

                                 (José Eduardo Agualusa)

La reine Ginga

            En 1620, à vingt et un ans, le père Francisco José de Santa Cruz quitte son Pernambouc natal (une province du Brésil) pour rejoindre les frères jésuites à Sao Salvador du Congo dans la lointaine Afrique qui a vu naître sa grand-mère. Huit ou neuf mois après son arrivée, il entre comme secrétaire au service de dona Ginga, sœur du roi du Dongo, celle qui deviendra bientôt la « fameuse reine d’Angola qui terrorisait les Portugais ».

            Ce livre est une très belle immersion  dans les relations houleuses et belliqueuses que les royaumes portugais et hollandais ont entretenues au Brésil et en Angola à partir de la fin du XVIe siècle. En effet, s’il est vrai que ce récit se veut une histoire romancée de la vie politique de la reine Ginga et de ses relations avec les Portugais et les Hollandais qui se disputaient l’Angola durant son règne, il est surtout l’histoire de la colonisation de deux continents dont l’un est transformé en pourvoyeur de captifs et l’autre en broyeur d’esclaves.

            Les lecteurs apprécieront la distance constante que prend le narrateur par rapport aux préjugés européens sur l’Afrique et les Noirs. On pourrait croire que sous sa peau blanche, les sangs noir de sa grand-mère et indien de sa mère entretiennent en lui le scepticisme et le rationalisme et surtout un humanisme digne de celui de Montaigne qu’il lit avec délectation. Cependant, il est plaisant de constater que seules la sincérité et la pureté de son cœur le dirigent en toutes circonstances. 

            Grâce à l’absence de cupidité en son cœur – chose rare à une époque où négriers et « religieux ne s’intéressaient qu’au nombre de pièces qu’ils pouvaient rafler et envoyer au Brésil » - son regard distancié lui permet de se poser des questions pertinentes avec beaucoup de candeur et aussi de garder l’esprit analytique pour une meilleure connaissance de la réalité. Ainsi, les lieux communs sont éclairés et pulvérisés par des faits historiques et les discours coloniaux perdent tout leur sens devant les dictons et les fables qui rythment la pensée africaine qu'il découvre.

            On peut croire qu’en choisissant un héros candide et non point cupide, José Eduardo Agualusa a voulu aller au plus près de la vérité historique avec ce livre. Une belle façon de se débarrasser de l'habituel discours colonialiste européen. On y trouve d’ailleurs un très beau conte qui est une excellente réponse à tous les Européens qui, hier comme aujourd’hui, « pensent qu’ils ont le devoir de sauver l’Afrique », à tous les hommes politiques qui se font les fiers héritiers du colonialisme français au point de réclamer en ce XXIe siècle l’enseignement de ses prétendus bienfaits.

Raphaël ADJOBI

Titre : La reine Ginga, et comment les Africains ont inventé le monde, 232 pages

Auteur : José Eduardo Agualusa

Editeur : Editions Métailié, 2017.

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