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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

1 octobre 2022

De la nécessité de l'instruction pour tous (Raphaël ADJOBI)

        De la nécessité de l'instruction pour tous

                                                     (Raphaël ADJOBI) 

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          C’est aux familles et aux enseignants que nous nous adressons ; autant dire à tout le monde. Le grand œuvre commun de notre vie, c’est l’instruction de nos enfants et petits-enfants. Cette entreprise mérite toute note attention et tous nos soins. 

          Quand son cadre extérieur formé par les siens est assez riche, quand son cadre intérieur ou son sanctuaire que constitue l’école – ainsi que les représentations de son imaginaire nourries par ses lectures – l’est aussi, un jeune est assez fort pour ne pas être éloigné des règles sociales ou prématurément brisé par quelque vice. L’éducation domestique et l’instruction publique sont les deux mamelles de la construction de l’individu, tel que nous aimerions le voir s’épanouir sous nos yeux pour le bien de toute la société. 

          C’est parce que nombreuses étaient les familles qui n’avaient ni le temps, ni le savoir, ni les conditions nécessaires à l’instruction de leurs enfants que la République avait instauré les internats. Ces établissements étaient des lieux d’une socialisation propice à l’acquisition des connaissances que proposaient les enseignants. C’est dire qu’à la défaillance des familles que la République n’ignorait pas, celle-ci proposait une structure palliative ou de substitution. Malheureusement, dans ce siècle, en lieu et place d’une structure sociale tenant compte du temps, du savoir, et des conditions de vie qui manquent aux familles, on propose aux jeunes des animations qui ont pour seul objectif de les éloigner de l’oisiveté mère de tous les vices. En d’autres termes, la sécurité de la cité que pourrait menacer la jeunesse sans éducation et sans instruction est devenue le critère des investissements de l’État. Pour contenir cette jeunesse que l’on redoute, on fait appel à des travailleurs sociaux, à des associations et des bénévoles n’ayant aucune compétence pédagogique plutôt que d’investir dans les services de personnes qualifiées pour lui apporter des connaissances. Nos élus croient-ils pouvoir ainsi participer à l’instruction de cette jeunesse et la sortir des problèmes nés du manque de structures adéquates à ses besoins ? Non, ils savent très bien que leurs actions ne font qu’entretenir des problèmes et des illusions.

          En effet, la République a fait son choix : on n’investit pas pour des gens qu’on qualifie de racailles ! On n’investit pas pour des gens qui ne sont rien ! 

          Or, tout individu a besoin de se savoir important, qu’il est la prunelle des yeux de la République. La considération plutôt que le mépris invite tout individu à relever la tête et à aller de l’avant. Mais voilà : certains parmi nous savent que si les pauvres vont de l’avant, ils deviennent dangereux ; ils savent, au regard de l’histoire des femmes, qu’il faudra un jour consentir à partager le pouvoir s’ils commençaient par partager le savoir. Quant à nous, nous voudrions que les pauvres accèdent au savoir pour justement prendre le pouvoir : celui de se gouverner ! Une autre révolution est possible. 

Il faut remettre le français au centre de l'enseignement

(Extrait de l’Avant-propos de Il faut remettre le français au centre de l’enseignement, une autre révolution est possible – Les impliqués Éditeur, 2021 / 10 euros).

Pensez à offrir ce livre à un(e) ami(e) enseignant(e) ou aux jeunes parents comme cadeau de Noël.   

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30 août 2022

Le tour de France de Flora Tristan (Carole Reynaud-Paligot)

                   Le tour de France de Flora Tristan 

                                       (Carole Reynaud-Paligot)

Le tour de France de Flora Tristan - Carole Reynaud-Paligot

          Avec ce livre, Carole Reynaud-Paligot nous fait découvrir une figure méconnue de la lutte pour plus de justice et d’égalité en France au XIXe siècle. Le tour de France de Flora Tristan est le parcours d’une militante des droits des ouvrières et des ouvriers, à une époque où l’essor de l’industrie gonflait les villes d’une population de miséreux que menaient des patrons sans vergogne avec « un esprit étroit, mesquin, borné, méchant même ».

      C’est lors d’un séjour au Pérou, au pays de ses ancêtres, que la Franco-Péruvienne découvre l’acuité de l’injustice au point de vouer sa vie à chercher les moyens d’établir plus d’égalité entre les hommes, plus de justice pour le travail accompli. Là-bas, elle avait découvert l’esclavage des Noirs. A son retour en Europe, sans cesse, les ouvriers qu’elle rencontre et défend lui rappellent « les visages pleins de souffrances des esclaves des plantations de canne du Pérou ». Cette expérience jointe à la découverte de la condition des ouvriers londoniens dont le spectacle à ses yeux était « pire que l’esclavage » – une terre où un cheval bénéficiait d’un meilleur traitement qu’un humain – la détermine à faire de la défense des ouvriers un sacerdoce.

          Mais pour cette mission, Flora avait besoin de femmes et d’hommes de bonne volonté qui avaient le temps et l’argent pour l’aider. Pour les bourgeois qu’elle sollicitait, aider les pauvres n’était pas leur rôle mais celui de l’Église qui, selon eux, accomplissait bien sa tâche. Quant aux membres du clergé, ils donnaient clairement l’impression que si les pauvres venaient à disparaître, disparaîtrait par la même occasion l’échelle qui les conduit de la terre au Paradis ! C’est pourquoi « l’Église […] ne voulait que pratiquer la charité au lieu de contribuer à réformer la société ». En d’autres termes, environ un siècle après l’abolition du servage, l’avènement de l’industrie a réactivé les schémas sociaux du passé et les comportements qui vont avec. 

        Le tour de France de Flora Tristan est un récit agréable et palpitant grâce à la ferme volonté qui anime l’héroïne ainsi que les multiples situations auxquelles elle est confrontée et suscitent en elle de belles réflexions et propositions. En abordant les luttes ouvrières et la naissance des syndicats au XIXe siècle, ce livre montre aussi les institutions étatiques qui permettent de les contrôler. Ainsi, le conseil des prud’hommes créé par Napoléon Bonaparte en 1806 était majoritairement tenu par les patrons. Un leurre permettant aux pauvres de croire qu’ils étaient défendus alors qu’il était l’outil permettant aux ouvriers qui allaient s’y plaindre de ne plus trouver du travail. Ce livre est aussi une fenêtre sur la précaire condition féminine au XIXe siècle : la lutte pour le rétablissement du divorce, contre la tyrannie des parents, de l’Église et des institutions de l’État. Une lecture très édifiante pour tout le monde. 

Raphaël ADJOBI

Titre : Le tour de France de Flora Tristan, 95 pages

Auteur : Carole Reynaud-Paligot

Éditeur : Tautem, mai 2022.

9 août 2022

Rouge impératrice (Léonora Miano)

            Rouge impératrice

                 (Léonora Miano)

Rouge impératrice (Léonora Miano)

            Avec Rouge impératrice, Léonora Miano démontre non seulement un excellent talent de narratrice mais aussi d’analyste politique digne de la plus grande attention. Au-delà du bel amour qui naît sous le signe de l’enlèvement mais grandit admirablement entre Boya, la femme rouge, et Ilunga, le chef de l’État du Katiopa – cette Afrique enfin fraîchement unifiée – c’est l’analyse d’une histoire politique entre les populations européennes et africaines que nous propose Léonora Miano. Cela suppose donc que le lecteur ne soit pas totalement ignorant de bon nombre d’aspects de la politique coloniale et néocoloniale de la France et des nombreux griefs que les Africains lui font.

            Même si Rouge impératrice est un récit fictif au regard des personnages et des événements qui structurent leur vie, l’actualité politique qu’il présente n’est pas un véritable saut dans l’imaginaire plongeant le lecteur dans une société africaine parfaite réglant ses comptes avec l’Europe, et particulièrement avec la France. Comme pour montrer que tout changement significatif de société est le fruit d’efforts exceptionnels continus, l’autrice nous confronte aux difficultés d’un État qui vient de réussir sa révolution en s’arrachant à ses « prédateurs historiques » : établissement de l’organe dirigeant et de ses rapports avec les régions et les États étrangers, règlement de la question des contrats signés avec l’ancien colonisateur, organisation d’une armée continentale avec l’abolition des frontières coloniales, constitution d’un conseil continental, règlement du problème de la présence d’une branche des anciens colonisateurs et de leurs descendants vivant en Katiopa – ces Sinistrés, appelés ainsi parce que « partout où ils s’étaient établis, la crainte de [leur] dissolution se [faisait] désormais obsessionnelle ». Bientôt, ce denier problème devient épineux pour beaucoup, obligeant le Mokonzi (le chef de l’État) à leur proposer une alternative : « Katiopa, tu l’aimes ou tu le quittes ! » 

            On comprend aisément que Léonora Miano voudrait dans ce livre obliger le lecteur français de ce XXIe siècle à réfléchir, à travers les nombreuses analyses politiques, aux propos et aux mesures politiques de leurs gouvernants en les plaçant dans la bouche et dans les actes des colonisés devenus des dominants. Par exemple, la politique d’assimilation ayant pour but de faire perdre à chaque groupe, voire à chaque individu, son identité particulière – cette sacro-sainte laïcité – est présentée ici comme un choix raisonnable et appréciable à faire par ceux qui hier la proposaient avec arrogance. En effet, bien vite, les Sinistrés connaissent la souffrance de faire partie de la nation tout en ressentant fortement le sentiment d’en être exclus. Et c’est le cas du jeune Amaury : « Il souffrait de la distance le séparant de la population locale, de n’avoir pu fréquenter les mêmes écoles, prendre part aux mêmes réjouissances, s’incliner devant le souvenir des mêmes héros ». 

            L’autrice sait, avec les dirigeants de Katiopa, que malgré l’unité du continent, « l’apaisement n’était pas acquis, qu’il ne le serait pas avant longtemps » (p.576). Aussi, n’exclut-elle pas les jalousies et les ambitions personnelles au sommet de l’État comme pour captiver l’attention du lecteur aimant les intrigues. Cependant, la place qu’elle accorde à l’analyse des problèmes à régler au sein des sociétés africaines d’aujourd’hui et de demain rend son récit encore plus passionnant parce qu’elle confère aux personnages principaux une dimension admirable et les rapproche de notre actualité. Ce sont des personnages capables de s’accorder sur la révision de la démocratie telle que les Africains l’ont apprise des Européens, en tenant compte des expériences des sociétés africaines traditionnelles ; des personnages soucieux de la place à accorder à la pratique des religions héritées des colonisateurs qui eux-mêmes les ont délaissées au point que « ceux d’entre eux qui s’y [réfèrent] encore [passent] pour des déficients mentaux » (p. 203) ; des personnages qui, comme leurs ancêtres, attachent de l’importance à l’écologie et préservent les forêts, privilégient les transports en commun, le vélo électrique loué et la marche à pied. Et tout cela en avançant dans la modernité. 

            Afin que les premières pages du livre ne paraissent pas rapidement ardues, nous conseillons vivement au lecteur de prendre tout de suite connaissance de quelques noms locaux en consultant le glossaire qui accompagne ce beau et passionnant récit. Après cela, nous sommes certains qu’il trouvera ici – surtout s’il est intéressé par la politique ou l’Afrique – matière à réflexion sur les rapports Europe/Afrique aujourd’hui et ce qu’ils pourraient être demain. Et personne ne doit perdre de vue que les civilisations naissent, croissent et meurent ; et aussi que, selon tous les géopoliticiens, nous vivons le crépuscule de la domination européenne qui par voie de conséquence se débat pour ne pas mourir. De ce point de vue, Rouge impératrice apparaît comme un roman d’anticipation, un texte s’appuyant sur l’actualité d’aujourd’hui pour donner l’aperçu d’un futur réaliste. 

Raphaël ADJOBI 

Titre : Rouge impératrice, 641 pages

Auteur : Léonora Miano

Éditeur : Grasset ; collection Pocket 2020.

30 avril 2022

Nelson MANDELA répond aux Occidentaux : vos ennemis ne sont pas forcément mes ennemis...

Nelson MANDELA : vos ennemis ne sont pas forcément

     mes ennemis, et vos amis forcément les miens !

Nelson Mandela

 

Nelson Mandela : vos ennemis ne sont pas forcément mes ennemis, et vos amis forcément les miens !

Le 11 février 1990, au Cap, Nelson Mandela retrouvait sa liberté après 27 ans de détention. Le 21 juin 1990, au " Aaron Davis hall - city college of New York ", le journaliste Ken Adleman interpelle Nelson Mandela en ces termes : Ceux d'entre nous qui partageons votre combat pour les droits de l'homme contre l'apartheid, avons...

http://lafrancenoire.com

 

 

29 avril 2022

Journée nationale de l'abolition de l'esclavage : une exposition sur le racisme le 10 mai à Joigny (89)

La "Journée nationale de l'abolition de l'esclavage"

        aborde le thème du racisme à Joigny

Après deux ans de silence et une longue période d’incertitude sous le masque, l’association « LA FRANCE NOIRE » et la mairie de Joigny (89) renouent avec la commémoration de l’abolition de l’esclavage le 10 mai prochain en vertu du décret du 31 mars 2006.

Racisme

 

10 mai 2022 : journée nationale de l’abolition de l’esclavage - Une exposition sur le racisme à Joigny

En vertu du décret du 31 mars 2006 est célébrée chaque 10 mai la " Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition ". Depuis 2016, la ville de Joigny et l'association La France noire organisent une cérémonie autour de ce pan de notre histoire commune avec une exposition et un moment...

http://lafrancenoire.com

 

 

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19 septembre 2021

Moi, Tituba sorcière... (Maryse Condé)

                    Moi, Tituba sorcière…

                        (Un roman de Maryse Condé)

Tituba

          Voici un beau roman, écrit dans une langue agréable qui réjouira de nombreux lecteurs ; du moins ceux aimant toucher la réalité de l’histoire à travers la fiction qui s’en empare pour aller plus loin afin de donner des visages et de l’étoffe aux personnages oubliés. Les procès de sorcières, l’Europe en a perdu le compte. A toutes les époques, comme le montrait Olivia Gazalé dans Le mythe de la virilité, la femme européenne a été la proie facile des hommes. Et quand le christianisme s’en est mêlé, on a touché le paroxysme de leur folie. C’est dans cet univers des dénonciations de tout ce qui est quelque peu différent ou singulier, dans cet univers de chasse générale aux sorcières qu’une jeune esclave née d’une captive africaine va sombrer pour ne plus en sortir.

          Née d’une mère violée par les « marins blancs » – eux-mêmes esclaves des négriers comme le démontra l’anglais Thomas Clarkson à la fin du XVIIIe siècle – et chassée par son propriétaire lorsque celui-ci se rendra compte qu’elle est enceinte, Tituba grandira dans la clandestinité à la Barbade. Avant de mourir, sa mère, paria dans cette îles des Amériques esclavagistes et jouissant par conséquent d’une singulière autonomie, lui a transmis l’art des soins par les plantes que les mauvaises langues ont popularisé sous le vocable « fétichisme » pour le rendre condamnable. Et pour son malheur, bientôt l’amour arrache la jeune adolescente à son indépendance pour la lancer dans des pérégrinations avec John Indien, un esclave qui a décidé de « jouer à la perfection son rôle de nègre » pour mener auprès de ses différents maîtres et maîtresses un train de vie qui le distingue des autres esclaves domestiques.

          Moi, Tituba sorcière... est d’abord un excellent récit de la condition des esclaves noirs de maison. Les viols, la jalousie, la haine, le mépris sont le lot constant des jeunes Africaines. Et comme elles sont chargées de l’éducation des enfants, elles finissent par reconnaître qu’elles élèvent des vipères qui, le moment venu, leur arracheront le nez, ou des corbeaux qui leur crèveront les yeux. Le livre est aussi un beau réquisitoire contre les procès en sorcellerie qui frappent les femmes comme la peste. Car, même si « la déveine, c’est la sœur jumelle du nègre », les multiples procès déchirent les familles blanches et contraignent les femmes de toute condition sociale à vivre dans la peur de leurs maris. En effet, comme le dit si bien l’épouse d’un pasteur, les procès en sorcellerie, on ne peut « comparer cela qu’à une maladie que l’on croit d’abord bénigne parce qu’elle affecte des parties du corps (social) sans importance… puis qui graduellement s’attaque à des membres et à des organes vitaux ». Tituba quant à elle apprendra à ses dépens que « Blancs ou Noirs, la vie sert trop les hommes ».

Raphaël ADJOBI

Titre : Moi, Tituba sorcière… 278 pages.

Auteur : Maryse Condé.

Éditeur : Mercure de France, 1986, collection Folio, 1998, 2020.

8 septembre 2021

Montesquieu et l'esclavage (Une analyse de Raphaël ADJOBI)

                 Montesquieu et l’esclavage

                                             (Raphaël ADJOBI)

Montesquieu

          Les philosophes du XVIIIe siècle ont été nombreux à aborder le sujet de l’esclavage, mais rares sont ceux qui, comme Condorcet, ont clairement demandé son abolition par la France qui le pratiquait. Très souvent, pour éviter les foudres royales, ils se sont contentés de traiter le sujet sur un plan général. Malgré cela, Montesquieu qui passait aux yeux de certains de ses contemporains pour celui qui raconte sur les peuples étrangers des « anecdotes douteuses et historiettes fausses ou frivoles, dont quelques unes vont jusqu’au ridicule » (Destutt de Tracy) est considéré parmi nous comme l’un des premiers antiesclavagistes français. Laissant de côté le chapitre V du Livre XV de la Troisième partie de De l’esprit des lois propagé au XVIIIe siècle par les esclavagistes pour se donner bonne conscience, et présenté depuis le début du XXe siècle comme une défense des Noirs esclavagisés, nous voudrions ici, pour la première fois, montrer ce que Montesquieu pense et dit précisément de l’esclavage. Il consacre en effet de nombreux chapitres de son livre au « droit de l’esclavage », c’est-à-dire le droit de posséder des individus dits esclaves. Déjà, parler de droit dans ce domaine suppose que l’esclavage peut être justifié. Nous sommes de l’avis de Jean-Jacques Rousseau qui assure clairement que « ces mots esclave et droit, sont contradictoires ; ils s’excluent mutuellement » (Du contrat social, Première partie, ch. IV). Pas pour Montesquieu qui va le justifier, n’en déplaise à ceux qui l’ont élevé au rang d’antiesclavagiste.

Montesquieu et l'Esprit des lois

          Les premiers chapitres du Livre XV de la Troisième partie de De l’esprit des lois laissent pourtant augurer un esprit antiesclavagiste franc. Après des généralités sur l’institution de l’esclavage et sa pratique chez les Romains, il finit le chapitre II en ces termes : « L’esclavage est d’ailleurs aussi opposé au droit civil qu’au droit naturel ». On se dit alors que les chapitres qui suivent démontreront cette affirmation puisque l’on ne peut être esclave que « par la loi du maître ». D’ailleurs, comme pour montrer ses bonnes dispositions à pourfendre les esclavagistes, il donne l’exemple de ceux qui s’appuient sur leur religion pour réduire les autres en esclavage : « … la religion donne à ceux qui la professent un droit de réduire en servitude ceux qui ne la professent pas, pour travailler plus aisément à sa propagation. Ce fut cette manière de penser qui encouragea les destructeurs de l’Amérique dans leurs crimes. C’est sur cette idée qu’ils fondèrent le droit de rendre tant de peuples esclaves ; car ces brigands, qui voulaient absolument être brigands et chrétiens, étaient très dévots » (Ch. IV). Pour la première fois dans le Livre XV, la critique est précise et cinglante à l’égard d’une catégorie de la population européenne. Malheureusement, ce sera la dernière !

          Aux chapitres VII, VIII et IX, Montesquieu exprime clairement sa pensée, sans juger les autres. Il admet qu’il y a un « esclavage cruel que l’on voit parmi les hommes ». Mais il pense qu’ « il y a des pays où la chaleur énerve le corps, et affaiblit si fort le courage, que les hommes ne sont portés à un devoir pénible que par la crainte du châtiment : l’esclavage y choque donc moins la raison ». A chacun de réfléchir pour savoir les pays auxquels notre penseur renvoyait ses contemporains. Dans quelles parties du monde se situent-ils ? Et il ajoute : « Aristote veut prouver qu’il y a des esclaves par nature […]. Je crois que s’il y en a de tels, ce sont ceux dont je viens de parler ». On ne peut être plus clair pour dire que dans les pays chauds il y a des gens qui naissent naturellement esclaves ou encore que pratiquer l’esclavage sous un climat chaud « choque moins la raison ». Et il conclut satisfait : « Il faut donc borner la servitude naturelle à de certains pays particuliers de la terre » ! C’est précis et net ! Montesquieu est-il un antiesclavagiste ? Non ! Pour lui, dans les pays chauds où « les hommes (sont) paresseux, on les met dans l’esclavage » ; la servitude y est naturelle, selon lui. Rousseau et Condorcet, eux, diront qu’il n’y a pas de servitude naturelle.

          A vrai dire, la pensée de Montesquieu est ici claire sur l’esclavage des populations des pays chauds – pour ne pas dire des Noirs dans les Amériques – parce qu’il tenait à donner son avis sur un débat qui divisait les penseurs au XVIIIe siècle. Certains suggéraient d’arrêter la déportation et la mise en esclavage des Africains et proposaient de confier le travail des terres du Nouveau monde à des populations françaises. « On entend dire, tous les jours, qu’il serait bon que, parmi nous, il y eût des esclaves », fait-il remarquer au début du ch. IX. Lui se demande quels sont ceux qui vont « tirer au sort, pour savoir qui devrait former la partie de la nation (française) qui serait libre, et celle qui serait esclave » ? Voilà donc le débat franco-français au XVIIIe siècle qui a obligé Montesquieu à désigner de façon précise les populations de la terre dont la mise en esclavage « choque moins la raison » parce que « paresseuses » et que l’on ne peut rien en tirer sans le fouet. Formuler une condamnation de principe de l’esclavage pour mieux approuver ce fait de la société de son époque, c’est être absolument déraisonnable. Assurément, Mirabeau ne se trompait pas quand il disait de Montesquieu que ce « coryphée des aristocrates » n’aurait jamais employé son « esprit » que « pour justifier ce qui est ».

Raphaël ADJOBI

29 août 2021

Le meilleur des mondes (Aldous Huxley)

                   Le meilleur des mondes

                               (Aldous Huxley)

Le meilleur des mondes

          Voici un livre qui, dans les années 1970 et 1980, a bercé le parcours scolaire et universitaire de bon nombre d’étudiants. Publié au début du XXe siècle (1932) et aussitôt traduit en français, Le meilleur des mondes, alors classé parmi les utopies comme pour servir de canal d’évasion aux lecteurs, a peu à peu fini par se révéler un projet familier que les gouvernants de ce début du XXIe siècle tentent de concrétiser. Un projet de société dans laquelle le bonheur est loi ; un bonheur facile pour celui qui est conditionné pour l’accepter sans poser de question, mais trop exigeant pour celui qui veut comprendre avant de l’accepter. Un projet de construction de castes grâce à des pédagogies différenciées permettant l’établissement d’un Etat mondial parfaitement hiérarchisé depuis les premiers de cordée jusqu’aux derniers de corvée « sur le modèle de l’iceberg ; huit neuvièmes au-dessous de la ligne de flottaison, un neuvième au-dessus ». Indubitablement, près d’un siècle plus tard, la fiction d’hier a le visage du "Nouvel ordre mondial" que les puissants de ce monde tentent d’imposer grâce à des rouages contestables et contestés. Et le lecteur comprend, comme Alphonse de Lamartine, que « les utopies ne sont souvent que des vérités prématurées ».

          Sans doute, de nombreux lecteurs d’aujourd’hui rapprocheront le conditionnement scientifique des populations du livre d’Aldous Huxley de la situation sanitaire mondiale actuelle avec la politique vaccinale préconisée par les gouvernants. En effet, dans le roman, « la civilisation, c’est la stérilisation » (p.158), et en 2021 la civilisation, c’est la vaccination ! Quant à nous, nous disons qu’avant même ce que beaucoup voient comme un projet de conditionnement par la science – semblable à celui du livre – les gouvernements sont parvenus au même résultat par la propagande répétée grâce au monopole des moyens d’information qu’ils détiennent. Et justement, la modernité du livre réside essentiellement dans la subsistance dans une société mondialisée d’éléments pas assez ou mal conditionnés qui font l’objet de préoccupations considérables de la part des gouvernants et des bien conditionnés. Par exemple, dans Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley comme dans la société française de ce XXIe siècle, pour les gouvernants et les bien conditionnés, « dès que l’individu ressent autrement, la communauté est sur un sol glissant », menacée. Si vous refusez de « n’être pas simplement une cellule du corps social [...], si vous n’êtes pas asservi par le conditionnement (national), […] si vous éprouvez le désir d’être libre de quelque manière », alors vous êtes bizarre, ou mieux, un complotiste. Dans Le meilleur des mondes comme dans

Didier Raoult 3

la France de ce XXIe siècle, « pas d’effort excessif de l’esprit » : toutes les recherches scientifiques en marge de la science approuvée par les politiques sont suspectes de détruire la stabilité du système social. Oui, dans le livre comme dans la vie, « ce n’est pas seulement l’art qui est incompatible avec le bonheur ; il y a aussi la science. […] Toute découverte de la science pure est subversive en puissance ; toute science doit parfois être traitée comme un ennemi possible. Oui, même la science (doit être) soigneusement enchaînée et muselée » (p.278). Ainsi, dans le roman, « on envoie dans une île […] tous les gens qui, pour une raison ou une autre, ont trop individuellement pris conscience de leur moi pour pouvoir s’adapter à la vie en commun, […] tous ceux, en un mot, qui sont quelqu’un ». 

          Pour le lecteur d’aujourd’hui, Le meilleur des mondes présente le triomphe ou le règne du monde globalement civilisé parce que parfaitement conditionné et hiérarchisé, avec à sa marge une petite parcelle d’un monde sauvage servant de lieu de villégiature à ceux qui ont besoin d’une leçon ; c’est-à-dire qui ont besoin de savoir ce qu’ils seraient « s’ils n’étaient pas asservis par leur conditionnement ». Le séjour chez les sauvages n’a donc pour seul but que de permettre aux mal conditionnés d’apprécier la civilisation conditionnée.

Raphaël ADJOBI           * Merci à Jacques VALLOTTON pour la caricature.

Titre : Le meilleur des mondes, 319 pages.

Auteur : Aldous Huxley

Éditeur : Plon (traduction en 1932 par Jules Castier), collection Pocket 1977.

20 août 2021

Le clan de l'ours des cavernes (Jean M. Auel / Les enfants de la Terre)

                         Le clan de l'ours des cavernes

                                            (Jean M. Auel)

Le clan de l'ours

          Le clan de l’ours des cavernes est le premier volume de la saga préhistorique imaginée par l’Américaine Jean M. Auel sous le titre Les enfants de la terre. Publiée dans les années 1980 et traduite en français à partir de 1991, cette fiction préhistorique a connu un immense succès des deux côté de l’Atlantique. Que reste-t-il du charme de ce récit quarante ans après, quand on le passe au tamis de l’état actuel des connaissances sur la préhistoire ? 

          Au milieu du XIXe siècle, selon Marylène Patou-Mathis (L’homme préhistorique est aussi une femme – Allary, 2020), « dès la reconnaissance de l’existence d’humains préhistoriques, leurs comportements sont rapprochés de ceux des grands singes, gorilles et chimpanzés, puis de ceux des races inférieures, perçus comme primitifs. Sans avoir fait une analyse précise de leurs usages, les premiers préhistoriens donnent aux objets taillés par les préhistoriques des noms à connotation guerrière : massue, casse-tête, coup-de-poing, poignard… […] Ainsi, dans la plupart des romans, les conflits sont-ils omniprésents, en particulier entre races différentes dont les types sont souvent empruntés aux récits des explorateurs ». En effet, jusqu’au milieu du XXe siècle, les préhistoriens ont fait de la violence un élément essentiel de « la nature humaine » et même le synonyme de la puissance et de l’intelligence nécessaires pour vivre dans un monde hostile. Et souvent, c’est la femme qui est au centre de ces conflits. Selon Marylène Patou-Mathis, les « docufictions » ou documentaires censés être fidèles à la réalité, car s’appuyant sur des données archéologiques, se conforment à la vision de notre société actuelle pour enraciner en nous l’idée que les femmes n’ont joué aucun rôle dans l’évolution technique et culturelle de l’humanité. Et c’est en quelque sorte le contre-pied de cette conception de l’évolution de l’histoire humaine que la saga de Jean M. Auel a voulu prendre en faisant de son personnage principal une jeune femme et non un homme avec les attributs virils qui lui auraient permis de dominer la nature et ses ennemis. Malheureusement, les lieux communs trop nombreux dans ce premier tome le rendent peu original et même contestable.

          Dans Le clan de l’ours des cavernes, Jean M. Auel adhère totalement aux idées des premiers préhistoriens que réfute Marylène Patou-Mathis. Ici, toute la vie du clan est synonyme de virilité et de domination masculine. En toute circonstance, pour adresser la parole à un homme, la femme doit se prosterner à ses pieds et attendre le geste lui indiquant qu’il consent à l’écouter. Chose absolument ahurissante, le jeune Broud, appelé à être le chef du clan après son père, a tout pouvoir sur une jeune fille de 8 ans. Sous les yeux de tous les membres de la communauté, ce futur chef peut frapper et violer la jeune fille quand il veut et où il veut. Le lecteur ne peut s’empêcher de se demander de quelle communauté humaine l’auteur tire-t-elle son inspiration. Les sites archéologiques visités par l’auteur permettent-ils cette lecture ? Dispensent-ils la romancière d’un regard sur les peuples d’aujourd’hui ? Dans le clan, avant ses huit ou neuf ans, la jeune Ayla n’a aucun échange avec les autres enfants. Le cloisonnement des familles est total : elles circulent sans se regarder. Il faut attendre d’être entre femmes ou entre hommes pour parler librement à une personne qui n’est pas de votre famille ! Selon ce livre, les préhistoriques, les sauvages ou les primitifs ont une humanité embryonnaire.

          Le plus extraordinaire dans ce roman, c’est l’éclatante apologie du suprématisme blanc. Il n’est pas clairement dit que l’héroïne Ayla est blanche – l’anachronisme aurait été trop évident – mais il est dit qu’elle est blonde ! N’est-ce pas là de l’anachronisme ? Ayla est donc blonde et physiquement différente. Le lecteur comprend qu’elle est blanche – même si cette différence physique est considérée comme de la laideur par le clan qui l’a adoptée. Oui, Ayla est une fille adoptive issue du clan des « Autres ». Et c’est de cette différence qu’elle tient toute son intelligence : elle comprend plus vite les subtilités du langage et les connaissances qui lui sont proposées ; elle manie plus habilement les outils que même les jeunes hommes plus âgés qu’elle ont du mal à maîtriser. Elle supplante même son maître qui enseigne l’usage de la fronde. Toutes les nouvelles découvertes du clan sont ses œuvres !... Bref ! Dès la préhistoire, les humains blancs ont tout inventé ; exactement comme dans les récits européens d’aujourd’hui. 

          Si Jean M. Auel a voulu, à travers ce récit, montrer que les femmes ont joué un rôle dans l’évolution technique et culturelle de l’humanité, elle n’évite pas de sombrer dans le suprématisme blanc de son époque. Marylène Patou-Mathis dirait que comme les préhistoriens blancs de ces années-là, il était inconcevable pour la romancière américaine d’imaginer qu’un artiste préhistorique ou son modèle puisse être une femme noire. En clair, en voulant lutter contre le sexisme, Jean M. Auel se fait l’apôtre de la suprématie blanche.

Raphaël ADJOBI

Titre : Le clan de l’ours des cavernes, 537 pages.

Auteur : Jean M. Auel

Editions : Presses de la cité, 1991, Collection Pocket.

20 juillet 2021

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